Le sculpteur australien a su devenir une vedette sans jouer les stars. Dans le public, personne ne saurait d'ailleurs dire la tête qu'a cet homme, installé à Londres depuis 1982. Heureusement qu'un long film, dirigé par Gautier Deblonde, documente son travail à l'intérieur! Un travail extrêmement lent. Extrêmement minutieux. L'Anglo-saxon produit quelques pièces par an.
Tout le monde le sait maintenant. Ron Mueck donne des statues hyperréalistes. Une couche de silicone parfait l'illusion. Il y a même de vrais poils et de vrais cheveux. Quant aux vêtements, ils se voient taillés sur mesure, ou plutôt sur démesure. Aucune pièce n'est en effet à échelle humaine. «Cela n'aurait aucun intérêt», assure l'artiste. «Nous croisons déjà assez de gens dans la rue chaque jour.» Le sujets se retrouvent donc miniaturisés, ou alors agrandis à l'extrême. Aucun rapport avec les imitations de la réalité que produisait l'Américain Duane Hanson (1925-1996) dans les grandes années du pop art. Nous sommes ici dans l'univers des voyages de Gulliver...
Le résultat se révèle fatalement autre. Il existe un constat social désespérant chez Hanson. Mueck transcende. Il s'agit là d'un œuvre purement poétique, ouvert à toutes les interprétations. Aucune provocation comme chez Maurizio Cattelan, qui ne fabrique par ailleurs pas ses sculptures lui-même. A nous, spectateurs, de voir ce que nous inspire cette microscopique femme nue, ployant sous des fagots, ce gigantesque poulet pendu, sobrement intitulé «Nature morte», ou cet homme nu dans un authentique bateau de bois. Des créations bénéficiant ici d'une large zone vide autour d'elles. Il faut dire que l'actuelle exposition ne comporte que neuf réalisations de Mueck. Une bonne chose finalement. Tant d'expositions actuelles souffrent de remplissage...
Un ancien du "Muppet Show" et du cinéma
Mais qui est Ron Mueck? Eh bien, l'homme est né en 1958 à Melbourne. Ascendance prometteuse. Son père fabrique des jouets en bois. Sa mère des poupées de chiffon. Ron, qui s'installe à Londres en 1982, commence par le cinéma et la télévision. Il est derrière certaines figurines du «Muppet Show». Il collabore aussi avec Jim Henson pour le film «Labyrinth» en 1986.
En 1990, l'Australien fonde sa propre boîte. Elle travaille pour la publicité. Mais Ron sculpte déjà. Ses réalisations impressionnent sa belle-mère, qui n'est pas n'importe qui. Il s'agit de Paula Rego. La Portugaise n'est sans doute pas très connue sous nos latitudes. En Angleterre, il sa'git d'une superstar. Et chez elle, n'en parlons pas! Ou plutôt parlons-en. Cascais a dédié à la femme peintre un musée entier, qui a ouvert ses portes en 2009.
Débuts avec le cadavre paternel
Ron collabore avec Paula pour une pièce en trois dimensions. Elle le présente à Charles Saatschi. En 1997, ce dernier retient le débutant pour le très médiatique «Sensation» à la Royal Academy. Ron y présente «Dead Dad». Il s'agit d'une sculpture représentant le cadavre de papa. On croirait le vrai, si la figurine n'était pas d'une taille aussi réduite.
La prochaine grande étape se situe en 2001. Une statue de cinq mètres de haut d'un garçonnet accroupi ouvre la Biennale de Venise, à l'Arsenale. Les visiteurs ne parlent que d'elle. L'année d'après, un musée australien achète sa femme enceinte 800.000 dollars du pays. Un record pour un créateur national. En 2005, Jean Clair emprunte un autre de ses géants pour l'exposition à succès «La Mélancolie», au Grand Palais. La Fondation Cartier embraie en 2006 avec une rétrospective.
Introuvable sur le marché
Depuis, on voit Mueck partout, quand les organisateurs arrivent à obtenir une de ses œuvres. Les collectionneurs, eux, doivent se serrer la ceinture. Rien sur le marché, ou presque. De temps en temps une pièce, une seule chez son galeriste Anthony d'Offay. Mais déjà réservée. On chercherait inutilement Mueck à Art/Basel, où les autres stars du moment (qui, elles, surproduisent) se vendent comme des petits pains. Mueck est moins un commerçant qu'un artiste.
Egger Ph.