Les jeunes Romands consomment toujours plus de X. Dépendance, attentes excessives, comparaisons néfastes, les conséquences de cette tendance inquiètent.
«Rien ne me fait autant vibrer que le porno, même pas une vraie femme dans mon lit!» Le personnage principal du film américain «Don Jon», sorti dans les salles romandes en début d’année, est accro au porno. A tel point qu’il préfère le plaisir solitaire devant son écran aux relations avec sa partenaire, incarnée pourtant par la très sensuelle Scarlett Johansson.
Cette nouvelle fiction hollywoodienne met en lumière un phénomène bien réel. «L’addiction à la pornographie concerne principalement les garçons, qui y trouvent une voie directe vers la jouissance, constate la sexologue genevoise Marie-Hélène Stauffacher. Le plaisir solitaire devient tellement facile que celui à deux paraît alors compliqué. Les pannes, les imperfections ou la difficulté d’accorder les corps n’existent pas dans l’imaginaire pornographique, il est donc plus facile de s’y réfugier pour atteindre le plaisir.»
Les couples de moins de 25 ans qui consultent la sexologue pour des problèmes provoqués par le porno sont de plus en plus nombreux. «Beaucoup développent des complexes par rapport à leur partenaire, poursuit Marie-Hélène Stauffacher. Les filles craignent de ne pas être de bonnes amantes et les garçons ont peur de ne pas être assez performants. Les images véhiculées par le porno provoquent des comparaisons néfastes et poussent les jeunes à idéaliser les corps et les pratiques sexuelles.»
En octobre dernier, les résultats d’une enquête Ifop, menée auprès de 1000 Français âgés de 15 à 24 ans, révélait une nette évolution des pratiques sexuelles des jeunes avec les nouvelles technologies. Baptisés «génération YouPorn» par les auteurs, les personnes interrogées sont près de 70%, pour les garçons, et 35%, pour les filles, à avoir déjà surfé sur un site pornographique, soit une augmentation de 30% en sept ans. L’accessibilité aux contenus X aurait, toujours selon l’enquête, tendance à banaliser certaines pratiques considérées comme hard. La proportion de jeunes ayant déjà pratiqué l’éjaculation faciale ou la sodomie a doublé en 20 ans.
«Les jeunes femmes que je reçois me révèlent souvent être mal à l’aise face à certaines demandes de leur partenaire», poursuit la sexologue Marie-Hélène Stauffacher. Encore majoritairement réalisés par des hommes et pour les hommes, les films pornographiques alimentent davantage les fantasmes masculins. «Ils confortent une vision très stéréotypée de la sexualité, note la sociologue Clothilde Palazzo, professeure à la Haute Ecole de travail social du Valais. Les jeunes femmes souffrent le plus de cette déferlante pornographique car elles se retrouvent plus fréquemment confrontées à des pratiques visant en priorité la jouissance masculine.»
Les jeunes qui commencent très tôt à regarder du porno, alors qu’ils sont encore inexpérimentés, se construisent une fausse image de la réalité. «Faire son éducation sexuelle par la pornographie provoque de mauvais réflexes, explique la sexologue Marie-Hélène Stauffacher. L’hypersexualité, la stimulation à outrance peut provoquer des problèmes comme l’éjaculation précoce. Alors qu’ils sont encore à l’aube de leur sexualité, je dois souvent réapprendre aux jeunes couples qui me consultent le fonctionnement du plaisir.»
TEMOIGNAGES
ELODIE 19 ans, Genève
«C’est quelque chose dont on ne parle pas»
«Je suis tombée par hasard sur des vidéos pornos en surfant sur Internet et les ai regardées par curiosité. Je trouve que ces films ne reflètent pas du tout la réalité. Je pense que beaucoup d’hommes en regardent, mais c’est quelque chose dont on ne parle pas. Cela me fait peur d’imaginer l’influence que le porno peut avoir sur les garçons. S’imaginer que c’est réel, c’est s’exposer à de grandes déceptions ou risquer de se comporter de manière inadéquate avec sa partenaire.»
MÉLANIE 24 ans, Genève
«C’est un sujet tabou chez les filles»
«J’ai commencé vers 20 ans à regarder des films pornos. J’avais déjà une vie sexuelle construite, je n’ai donc pas l’impression que cela a influencé mes pratiques. Cependant, je peux comprendre que le mythe de la performance véhiculé puisse être complexant pour certains garçons. Je l’ai constaté chez d’anciens partenaires. Je réalise aussi que ces films sont clairement tournés pour un public masculin, mais je les apprécie malgré tout et ne m’en cache pas, même si c’est un sujet tabou chez les filles.»
ARTHUR 21 ans, Genève
«J’étais moins excité lors de mes rapports réels»
«De 16 ans à 20 ans, j’avais pour habitude de regarder régulièrement des films pornos. Mais j’ai complètement arrêté il y a un an car j’ai réalisé que cela atténuait ma sensibilité, que j’étais moins excité lors de mes rapports réels. Je devenais moins sensible à la nudité et à l’érotisme. L’imagerie porno a eu des répercussions néfastes sur mes fantasmes. En faisant une recherche sur Internet, j’ai réalisé que je n’étais pas le seul dans ce cas et que cela pouvait mener à de réels troubles de l’érection. Ça m’a fait flipper.»
SIMON 25 ans, Nyon
«Regarder du porno nourrit mes fantasmes»
«J’ai pour habitude de regarder des bribes de films pornos environ tous les deux jours, via Internet. Le premier que j’ai vu était un film érotique, à la télé, je devais avoir 11 ans. Regarder du porno nourrit mes fantasmes: situations, positions, nombre de partenaires… Le mauvais point, c’est que l’excitation que cela me procure me donne envie de consommer les femmes de manière express. Mais il faut discerner la fiction de la réalité, se comparer à un acteur de porno, c’est comme se comparer à un athlète des Jeux olympiques!»