La télémédecine a déjà transformé le monde de la santé en l’affranchissant des distances. Mais sa révolution n’en est qu’à ses débuts.
Nous sommes le 7 septembre 2001. Dans un des blocs chirurgicaux de l’Hôpital de Strasbourg, une patiente subit avec succès une ablation de la vésicule biliaire. Un geste courant? Oui, à ceci près que le chirurgien se trouve à plus de 6’000 km de la malade, opérée par le biais d’un robot baptisé Zeus. Avec bien d’autres, «l’opération Lindbergh» contribuait à faire entrer la médecine dans une nouvelle ère. Douze ans plus tard, la puissance de calcul croissante de terminaux toujours plus mobiles et la généralisation du haut débit ont changé les pratiques médicales en profondeur, dans toutes les disciplines et partout dans le monde. Consultation déportée, échanges entre confrères à des fins d’expertise, transmission et interprétation des paramètres d’un patient…
La médecine à distance réunit une large gamme d’actes et de soins, du plus banal au plus complexe, de la vidéoconférence à la chirurgie robotique. Ces technologies permettent aussi aux personnes âgées ou handicapées de rester à leur domicile plutôt que de se déplacer. «Les dispositifs mobiles dont ces patients sont équipés envoient aux professionnels des informations qui permettent de suivre leur état, explique Alain Junger, responsable des systèmes d’information à la Direction des soins du CHUV. Nous pouvons répondre à leurs questions ou à leurs inquiétudes sans qu’ils aient à se déplacer, et réagir rapidement le cas échéant.» Après une opération ou en cas d’affection de longue durée, la même logique permet d’éviter aux convalescents de multiplier des allers-retours épuisants — et coûteux.
Réactivité high-tech
«L’impact quotidien des nouvelles technologies est considérable, notamment en matière de soins infirmiers, note Alain Junger. Le CHUV est truffé d’outils qui permettent le telenursing des patients hospitalisés.» Au-delà des signes classiques (rythmes cardiaque et respiratoire, tension artérielle…), médecins et infirmiers sont ainsi en mesure de connaître en permanence, par écrans interposés, le taux d’oxygène dans le sang d’un patient, mais aussi de savoir s’il se déplace ou dans quelle position il se trouve.
Ces outils permettent une réactivité souvent déterminante, dans la médecine d’urgence en particulier. «En cas d’accident ischémique, la fenêtre thérapeutique est courte, indique le professeur Mikael Mazighi, du Service de neurologie de l’Hôpital Bichat à Paris. Après l’apparition des premiers symptômes, nous ne disposons que de quatre heures trente pour déclencher une thrombolyse intraveineuse. Le cerveau d’une victime d’AVC perd chaque minute 2 millions de neurones: la vitesse de réaction est essentielle pour libérer une artère cérébrale obstruée par un caillot.» Or, ce soin ne peut être prescrit que par des neurologues. La télémédecine permet de gagner des minutes précieuses pour les personnes éloignées d’un «stroke center». Les urgentistes contactent des neurologues qui examinent le patient par caméra interposée, précisent l’examen clinique, consultent le scanner ou l’IRM et décident du traitement approprié, administré sur place par leurs confrères. En termes techniques, les possibilités semblent sans fin, dans tous les domaines, selon Alain Junger.
Collaboration des spécialistes
Pour Andy Fischer, directeur de Medgate, plus grand service de télémédecine suisse et président de la Société internationale de télémédecine et de cybersanté, la pratique de la consultation à distance pourrait gagner en efficacité en améliorant la collaboration entre les différents acteurs (médecins traitants, spécialistes et hôpitaux) impliqués dans une prise en charge. «Lorsqu’un praticien répond par téléphone à un patient, il doit pouvoir, si nécessaire, le diriger vers un collègue ou vers un établissement hospitalier. Le transfert de données digitales réunies lors de la téléconsultation doit pouvoir se faire facilement.»
Une bonne collaboration nécessite également une harmonisation du langage utilisé dans les e-communications. «Le nombre de données transmises et interprétées est tel qu’il est nécessaire de se doter d’une terminologie commune, estime Alain Junger. Nous devons standardiser la communication clinique.»
Medgate a intégré l’an dernier, en plus de 1’000 médecins et 15 cliniques, de nouveaux partenaires dans son réseau «Medgate Partner network»: les pharmaciens. «Dans 200 pharmacies suisses, les patients peuvent bénéficier d’une consultation à distance avec l’un de nos médecins, explique le directeur de l’entreprise. L’objectif étant toujours de faciliter au maximum l’accès aux soins.»
Crainte d’une médecine désincarnée
Si la télémédecine suscite l’enthousiasme, elle crée quelques craintes également. L’absence de contact physique est l’une d’entre elles. Car la simple présence du praticien est pour beaucoup de patients la première étape du traitement. Tous les praticiens connaissent l’importance du langage corporel et des attitudes d’une personne en consultation. L’outil numérique le plus performant du monde ne transmet pas l’atmosphère d’une salle de soins, le stress des malades, les odeurs ou ce qui se passe hors du champ des caméras.
«La télémédecine ne remet pas en cause le lien entre le médecin et le patient, estime Alain Junger. Ce n’est pas l’ordinateur ou l’écran qui fait le soin. Ces outils sont un support rassurant dans bien des cas. Aujourd’hui comme hier, la sensibilité et l’intelligence du soignant comme du soigné restent déterminantes. Même à travers un écran, ce sont toujours deux êtres humains qui se font face.»
Une aubaine pour les déserts médicaux
L’accès aux soins pour les personnes résidant dans des zones reculées s’est amélioré ces dernières années grâce aux nouvelles technologies de la communication. En Inde par exemple, un habitant d’une région rurale peut aujourd’hui retirer un médicament en pharmacie sur présentation du SMS de prescription envoyé par le centre de télémédecine gratuit dont il dépend.
La fondation Terre des Hommes — aide à l’enfance a lancé début 2014, grâce au soutien de la Bill & Melinda Gates Foundation, la mise en place d’un projet de télémédecine au Burkina Faso. «Un enfant sur huit n’atteint pas l’âge de 5 ans dans les régions rurales du pays principalement à cause de diagnostics erronés, explique Thierry Agagliate, chef du projet de l’ONG suisse. Les infirmiers de 400 centres de santé de brousse auront accès à des tablettes de dernière génération, qui leur permettront d’être reliés en temps réel à des médecins de l’hôpital de leur district. Par ailleurs, les hôpitaux de référence pourront aussi accéder aux dossiers électroniques de patients de ces centres de brousse, détecter les tendances épidémiologiques pour ainsi mieux comprendre les difficultés qu’ils rencontrent.»