Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

mardi 10 juin 2014

10 juin 1944 : Oradour-sur-Glane


 "Pour les nouvelles générations, 
la paix est quelque chose de normal"

Robert Hébras 
un des six survivants du massacre d'Oradour-sur-Glane 


Oradour-sur-Glane est une commune française située dans le département de la Haute-Vienne, en région Limousin. Ses habitants sont appelés les Radounauds ou Radounaux (forme très peu usitée).

Le nom d'Oradour-sur-Glane reste attaché au massacre de sa population par la division SS Das Reich le 10 juin 1944. La petite cité est aujourd'hui divisée en deux entités, dont le centre de la mémoire constitue en quelque sorte le trait d'union : l'ancien village, conservé à l'état de ruine, qui témoigne des souffrances infligées aux hommes, femmes et enfants de cette petite bourgade, et le nouveau village, reconstruit quelques centaines de mètres plus loin.



Le massacre d’Oradour-sur-Glane

Le massacre d’Oradour-sur-Glane est la destruction, le 10 juin 1944, de ce village de la Haute-Vienne, situé à environ vingt kilomètres au nord-ouest de Limoges, et le massacre de sa population (642 victimes), par un détachement du 1er bataillon du 4e régiment de Panzergrenadier Der Führer appartenant à la Panzerdivision Das Reich de la Waffen-SS. Il s'agit du plus grand massacre de civils commis en France par les armées allemandes, assez semblable à ceux de Marzabotto, ou de Distomo (ce dernier perpétré lui aussi le 10 juin 1944), qui transposent sur le front de l'Ouest des pratiques courantes sur le front de l'Est.

Après le débarquement allié en Normandie, le 6 juin, la division Waffen SS entreprend, le 8, de se positionner dans la région de Tulle et Limoges pour une opération de ratissage contre la résistance. 8500 hommes environ participent à ce déplacement en laissant une « traînée sanglante » sur le trajet. Le 9 juin la formation Waffen SS atteint Limoges, Guéret, Argenton-sur-Creuse. Partout il y a des massacres, des pillages, des incendies.

SS-Brigadeführer Heinz Lammerding


10 juin 1944; Les Alliés ont débarqué depuis quelques jours en Normandie. La 2.SS.Panzerdivision "Das Reich", commandée par le SS-Brigadeführer Heinz Lammerding, est stationnée dans le sud-ouest de la France et doit, à cette date, combattre la Résistance dans le Limousin qui multiplie ses actions depuis le 6 juin. 

En effet, Tulle a été, de manière éphémère, libérée par les FPT le 8 juin, puis repris par les S.S. du bataillon de reconnaissance de la division « Das Reich » le lendemain, entraînant en représailles la pendaison de 99 hommes. 

SS-Sturmbannführer Helmut Kämpfe 


A l’aube du 10 juin, le lieutenant S.S. Karl Gerlach, du 2.SS.Sturmgeschützabteilung, rend compte à l’état-major du régiment Der Führer à Limoges de sa capture par les résistants la veille et qu’il avait réussi à s’échapper. Le 9, la garnison de Guéret est attaquée par la Résistance. Le 3ème bataillon du régiment « Der Führer » du SS-Sturmbannführer Helmut Kämpfe est envoyé à Guéret afin de soutenir les unités locales. Au retour de l’expédition, Kämpfe est enlevé par les maquisards, provoquant un grand émoi parmi les S.S. à Limoges. 

SS-Stubaf Adolf Diekmann

Le SS-Stubaf Adolf Diekmann, commandant du 1er bataillon de ce même régiment, apprend le matin du 10 la disparition de Kämpfe. 

Le groupe de reconnaissance qui commet, le 9 juin, le massacre de Tulle, et deux régiments de Panzergrenadier, investissent la région de Limoges pour préparer le positionnement de la division dans le secteur afin de réduire les maquis. Le 1er bataillon du 4e régiment Der Führer, sous les ordres du commandant Adolf Diekmann, est cantonné autour de Saint-Junien, à 12 km d'Oradour.

Pour tarir le soutien de la population aux maquis et diminuer l'activité de ceux-ci par crainte de représailles, les SS préparent une action visant, selon Bruno Kartheuser, à produire un effet maximal de terreur. Les raisons du choix d'Oradour pour cette action restent mal éclaircies et controversées, en raison de la disparition des personnes, du silence des documents ainsi que du caractère « elliptique » de l'unique témoignage disponible relatif aux réunions entre Allemands et Miliciens. Ce qui conduit J.J. Fouché à reconnaître que « leur contenu, les participants, leur nombre et ce qu'ils dirent demeure ignoré, à l'exception toutefois de deux indications : une demande d'otages — le chiffre de 40 a été avancé à la réunion de Saint-Junien — et la recherche d'un officier disparu ». J.J. Fouché soutient cependant l'hypothèse selon laquelle « les SS ont construit leur justification du massacre avant même de le perpétrer », au contraire de G. Penaud qui affirme que cette « opération de désinformation » fut programmée par Diekmann juste avant de quitter les lieux.

Les 9 et 10 juin, le massacre fait l'objet d'au moins trois réunions de préparation réunissant des membres de la Milice, de la SIPO et de la 2e Panzerdivision SS Das Reich. D'après l'enquête menée par le commissaire Arnet en septembre 194439, le 10 juin au matin, convoqués par le général Heinz Lammerding, le sous-chef de la Gestapo de Limoges, l'Oberscharführer Joachim Kleist et son interprète, Eugène Patry, quatre miliciens, sous la conduite de Pitrud, rencontrent le Sturmbannführer Adolf Diekmann, à l'hôtel de la Gare à Saint-Junien : « C'est là, sur une banale table de café, dans la salle du rez-de-chaussée de ce petit hôtel […] que fut décidée et réglée la destruction d'Oradour, au cours d'une conversation qui dura plus d'une heure ». 

Vers treize heures trente, deux colonnes quittent Saint-Junien, la plus importante d'entre elles, qui comporte huit camions, deux blindés à chenilles et un motocycliste de liaison prenant la direction d'Oradour-sur-Glane ; elle est commandée par le Sturmbannführer Adolf Diekmann, qui prend la tête du convoi à bord d'un blindé à chenilles. Trois sections de la 3e compagnie, auxquelles il fait ajouter la section de commandement de la compagnie et celle du bataillon, soit un total d'environ deux cents hommes munis d'armes légères — fusils, grenades, mitrailleuses (MG42), fusils lance-fumigène et lance-grenades — et une section de mitrailleuses lourdes, se dirigent vers Oradour. Au moment du départ, le chef de la 1re section, Heinz Barth, déclare : « Ça va chauffer : on va voir de quoi les Alsaciens sont capables ».

Un kilomètre avant l'arrivée au village, la colonne s'arrête pour la distribution des ordres aux officiers et sous-officiers. Un premier groupe de cinq à huit véhicules entre dans le village par l'est, via le pont de la Glane, vers 13 h 45 : à ce moment, l'encerclement du village est déjà effectué par 120 hommes environ. Selon un des témoins, Clément Boussardier, qui assiste au passage des camions et des automitrailleuses à chenilles, « les hommes étaient tous armés soit de mousquetons, de fusils mitrailleurs ou de mitraillettes. Ils dirigeaient leurs armes en direction des maisons. […] Les Allemands étaient en tenue bariolée et leur attitude de tireur, prêt à faire feu, avait impressionné ». Ce déploiement de forces ne suscite aucune panique, ni appréhension particulière : si le pharmacien et d'autres commerçants baissent leurs stores métalliques, le coiffeur va s'acheter du tabac pendant que son commis s'occupe d'un client. Les habitants du bourg, qui n'avaient pratiquement jamais vu d'Allemands, regardaient arriver les SS sans plaisir, certes, mais avec plus de curiosité que de crainte.

Cependant, « de nombreux habitants tentèrent de s'enfuir ou de se cacher », entre 130 et 150, ce qui dénote un courage certain car « il fallait avoir une expérience de la peur et une motivation forte pour ne pas obéir aux ordres SS ».



Convoqué par le commandant Adolf Diekmann, le docteur Desourteaux, président de la délégation spéciale désigné par le régime de Vichy qui fait office de maire, fait appel au crieur public pour ordonner aux habitants et aux personnes de passage au bourg, particulièrement nombreuses en raison d'une distribution de viande et de tabac, de rejoindre le champ de foire ; la majorité de la population obéit aux ordres persuadée qu'il s'agit d'un contrôle de routine. L'inquiétude des habitants est encore mesurée pendant le rassemblement et avant la séparation des hommes et des femmes et des enfants : M. Compain, le pâtissier, dont le magasin donnait directement sur la place va jusqu'à demander à un soldat allemand s'il ne peut pas aller vérifier la cuisson de gâteaux qu'il venait de mettre au four et s'entend répondre, en français, qu'on va s'en occuper.

Les SS forcent les habitants de la périphérie à aller vers le centre en direction de la place du champ de foire. Le rabattage est systématique et concerne tous les habitants. Des survivants témoignent. Marcel Darthout, âgé de vingt ans et marié depuis dix mois, tente de fuir par les jardins en direction de la Glane : « arrivé au bout du jardin, je me suis aperçu que les Allemands déployés en tirailleurs cernaient le bourg, ce qui m'a obligé à revenir à la maison. Peu de temps après, un Allemand est venu faire irruption dans notre cuisine. Il tenait un fusil à la main et, avec son canon, il nous a poussés dehors, ma femme, ma mère et moi, sans ménagement » ; Mathieu Borie, diffuseur des journaux clandestins du Mouvement de Libération Nationale, constate que « au fur et à mesure de leur avance, ils ont ramassé tous les habitants grands et petits, jeunes et vieux, d'Oradour pour les conduire place du Champ de Foire. Ils passaient dans chaque immeuble se trouvant dans le quartier de leur passage, défonçant portes et fenêtres si c'était nécessaire ». 

La rafle inclut également les quatre écoles de la commune, soit 191 enfants, 2 instituteurs et 5 institutrices : bien que l'on soit un samedi après-midi, les enfants sont rassemblés dans les écoles, en raison d'une visite médicale ; elle concerne également les habitants des fermes et maisons situées à l'extérieur du bourg. D'après Marcel Darthout, « des camionnettes apportaient sans cesse des gens des villages environnants qui avaient été appréhendés à domicile. C'est ainsi qu'il y avait là des agriculteurs des Brandes et de Bellevue ». Selon un autre témoin, Clément Boussardier, « les gens continuaient d'arriver de partout. […] Des coups de feu isolés ont été tirés aux alentours. Les automitrailleuses faisaient le va-et-vient dans le bourg. Une autochenille qui passait dans le champ ramenait de temps à autre les paysans qu'ils y avaient ramassés. Au bout d’une heure sont arrivés les écoliers avec les instituteurs et institutrices »; Mme Binet, la directrice de l'école de filles [en congé de maladie] poussée à coups de crosse, arrive en pyjama et revêtue de son manteau. 

Les fuyards ou ceux qui ne peuvent se déplacer sont immédiatement abattus. Lors de son procès à Berlin-Est, en 1983, Heinz Barth reconnaît qu'il a personnellement donné l'ordre à l'un de ses subordonnés d'abattre, conformément aux instructions, une personne âgée incapable de se rendre sur le lieu du rassemblement général; selon A. Hivernaud, une vieille femme, courbée sur ses bâtons et qui n'avançait pas assez vite, fut abattue à coups de mitraillette. « Le rassemblement a été violent, avec de la casse, bris de portes et fenêtres, avec des coups de feu et des morts. Tout le monde n'a pas obéi » et si certains habitants réussissent à passer au travers des mailles du filet, la majorité de la population est rassemblée sur le champ de foire.

Le rassemblement des habitants achevé vers 14 h 45, un des Waffen-SS alsaciens traduit aux 200 à 250 hommes présents les propos du commandant Diekmann : les SS ont entendu parler d'une cache d'armes et de munitions à Oradour et demandent à tous ceux qui possèdent une arme de faire un pas en avant. On les menace de mettre le feu aux maisons afin de faire sauter le dépôt clandestin. Devant l'absence de réaction, l'officier demande au maire de lui désigner trente otages, qui lui répond qu'il ne lui est pas possible de satisfaire une telle exigence, assure que les habitants du bourg n'ont pas connaissance d'un tel dépôt et se porte garant pour eux. Selon l'un des survivants, Robert Hébras, alors âgé de dix-huit ans, le commandant demande au maire de le suivre et ils font un aller-retour à la mairie. De retour sur le champ de foire, M. Desourteaux maintient son refus et se propose comme otage avec, le cas échéant, ses plus proches parents. 

À cette proposition, l'officier s'esclaffe et crie « beaucoup de charges! » Vers 15 heures, les femmes et les enfants sont conduits dans l'église après des scènes d'adieux déchirantes. L'interprète réitère la demande de dénonciation : « nous allons opérer des perquisitions. Pendant ce temps, nous allons vous rassembler dans les granges. Si vous connaissez quelques-uns de ces dépôts, nous vous enjoignons de les faire connaître ». Selon Marcel Darthout, « aucun dépôt ne fut signalé et pour cause, il n'y en avait pas dans le village qui était parfaitement tranquille et où chacun s'occupait uniquement de son petit commerce ou de la culture de ses terres ».

Après une heure d'attente, les hommes sont conduits dans divers locaux repérés par les SS. Vers 15 h 40, une motrice de tramway en essai arrive de Limoges, avec trois employés à bord, et stoppe peu avant le pont sur la Glane. Une cale doit être placée afin de maintenir l'engin immobile. L'un d'eux descend au moment où passe un groupe d'hommes raflés dans les hameaux alentour, groupe encadré par quelques soldats. Cet employé qui est descendu est immédiatement abattu et son corps jeté dans la rivière. Les deux autres sont emmenés auprès d'un officier qui, après examen de leurs papiers, leur ordonne de rejoindre leur machine et de retourner à Limoges. Certains auteurs, pour expliquer le meurtre de cet employé qui n'était pas en service (il venait à Oradour pour voir un artisan), avancent qu'il aurait pu esquisser un geste ou un mouvement vers ses collègues.



Les 180 hommes et jeunes gens de plus de quatorze ans sont répartis dans six lieux d'exécution, par groupes d'une trentaine de personnes. « Pendant que, toujours tenus sous la menace des fusils, les hommes devaient vider chacun de ces locaux de tous les objets qu'ils contenaient, un SS balayait soigneusement un large espace devant la porte, puis y installait une mitrailleuse et la mettait en batterie face au local ». « Malgré cette situation inquiétante, chacun reprenait confiance, certain qu'il n'existait aucun dépôt d'armes dans le village. 

La fouille terminée, le malentendu serait dissipé et tout le monde serait relâché. Ce n'était après tout qu'une question de patience ». Le tir des mitrailleuses en batterie devant les lieux de rétention des hommes se déclenche vers 16 heures. Selon Heinz Barth, « à l'intérieur, les hommes étaient énervés. […] Alors j'ai ordonné Feu ! et tous ont tiré. Moi-même, j'en ai tué environ douze ou quinze. On a mitraillé une demi-minute, une minute. […] Ils tombaient tout bêtement ». Marcel Darthout témoigne : « nous avons perçu le bruit d'une détonation venant de l'extérieur, suivi d'une rafale d'arme automatique. Aussitôt, sur un commandement bref, les six Allemands déchargèrent leurs armes sur nous. […] En quelques secondes, j'ai été recouvert de cadavres tandis que les mitrailleuses lâchaient encore leurs rafales ; j'ai entendu les gémissements des blessés. […] Lorsque les rafales eurent cessé, les Allemands se sont approchés de nous pour exterminer à bout portant quelques-uns parmi nous ». Les corps sont ensuite recouverts de paille, de foin et de fagots auxquels les SS mettent le feu. Le témoignage de Marcel Darthout est confirmé point par point par celui de Matthieu Borie : la « première rafale a été dirigée contre nos jambes » ; « puis, l'opération faite, ces Messieurs les bourreaux partent tous, nous laissant seuls. Je les entends, chez le buraliste, par la porte derrière le hangar. Les verres tintent, les bouchons des bouteilles sautent, le poste de T.S.F. marche à plein ». Le même scénario se répète dans tous les lieux où sont assassinés les hommes : le garage Potaraud, le chai Denis, le garage Desourteaux, et les granges Laudy, Milord et Bouchoule ; partout trois ordres se succèdent : le début des tirs, l'achèvement des blessés et le déclenchement de l'incendie. Dans la plupart des lieux d'exécution, le feu a été allumé sur des hommes encore vivants.

« Jusqu'au dernier instant, à l'ultime seconde du déclenchement de la mitraille, ceux qui étaient devenus des otages en attente d'une exécution n'ont pas imaginé la conséquence de leur situation. […] Ils ne pouvaient pas y croire et ils n'y ont pas cru. La surprise des victimes a été totale. La manœuvre des Waffen-SS avait réussi : l'exécution s'est passée dans le calme, sans difficulté et sans panique ». Du groupe de soixante-deux prisonniers dont fait partie Marcel Darthout, six s'échappent du bâtiment, dont un est tué par une sentinelle49. Les cinq évadés survivants sont les seuls rescapés des fusillades.

Les SS qui ne participent pas aux meurtres, soit quatre à cinq hommes de chaque peloton, parcourent le village en se livrant au pillage, emportant argent et bijoux, tissus et produits alimentaires, instruments de musique et bicyclettes, mais aussi volailles, porcs, moutons et veaux. Au fur et à mesure du pillage, les bâtiments sont systématiquement incendiés, ce qui nécessite de multiples départs de feu. Débusqués par les pillards ou chassés de leur cachette par les incendies, de nombreux habitants qui avaient échappé à la rafle sont massacrés isolément ou en petits groupes, hommes, femmes et enfants confondus. En entendant la fusillade et constatant que les enfants ne sont pas rentrés de l'école, des habitants des faubourgs se rendent à Oradour où ils sont abattus : « Oradour est un gouffre dont on ne revient pas ».



Parmi les 350 femmes et enfants enfermés dans l'église, seule Marguerite Rouffanche86, âgée de 47 ans, parvient à s'échapper. Son témoignage est unique, mais il est corroboré par les dépositions de plusieurs SS lors du procès de Bordeaux ou de sa préparation. La première personne à recueillir à l'hôpital le récit de la blessée est Pierre Poitevin, un membre éminent des Mouvements unis de la Résistance : « elle raconte ce qu'elle a vécu, calmement, posément, sans jamais varier ses déclarations. Si elle omet un détail et qu'on le lui rappelle, elle répond simplement oui, j'oubliais de le dire ». Le 13 juin, le préfet de Limoges reçoit également son témoignage, dont il fait un résumé. Ce récit est repris dans une note du 10 juillet adressée à la Commission d'Armistice franco-allemande de Wiesbaden par le secrétaire d'État à la défense.

Marguerite Rouffanche renouvelle son témoignage en novembre 1944 :

« Entassés dans le lieu saint, nous attendîmes, de plus en plus inquiets, la fin des préparatifs auxquels nous assistions. Vers 16 heures, des soldats âgés d'une vingtaine d'années placèrent dans la nef, près du chœur, une sorte de caisse assez volumineuse de laquelle dépassaient des cordons qu'ils laissèrent traîner sur le sol. Ces cordons ayant été allumés, le feu fut communiqué à l'engin dans lequel une forte explosion se produisit et d'où une épaisse fumée noire et suffocante se dégagea. Les femmes et les enfants à demi asphyxiés et hurlant d'épouvante affluèrent vers les parties de l'église où l'air était encore respirable. C'est ainsi que la porte de la sacristie fut enfoncée sous la poussée irrésistible d'un groupe épouvanté. J'y pénétrai à la suite et, résignée, je m'assis sur une marche d'escalier. Ma fille vint m'y rejoindre. Les Allemands, s'étant aperçus que cette pièce était envahie, abattirent sauvagement ceux qui venaient y chercher refuge. Ma fille fut tuée près de moi d'un coup de feu tiré de l'extérieur. Je dus la vie à l'idée de fermer les yeux et de simuler la mort. Une fusillade éclata dans l'église. Puis de la paille, des fagots, des chaises furent jetés pêle-mêle sur les corps qui gisaient sur les dalles. Ayant échappé à la tuerie et n'ayant reçu aucune blessure, je profitai d'un nuage de fumée pour me glisser derrière le maître-autel. Il existe dans cette partie de l'église trois fenêtres. Je me dirigeai vers la plus grande qui est celle du milieu et, à l'aide d'un escabeau qui servait à allumer les cierges, je tentai de l'atteindre. Je ne sais alors comment j'ai fait, mais mes forces étaient décuplées. Je me suis hissée jusqu'à elle, comme j'ai pu. Le vitrail était brisé, je me suis précipitée par l'ouverture qui s'offrait à moi. J'ai fait un saut de plus de trois mètres, puis je me suis enfuie jusqu'au jardin du presbytère. Ayant levé les yeux, je me suis aperçue que j'avais été suivie dans mon escalade par une femme qui, du haut de la fenêtre, me tendait son bébé. Elle se laissa choir près de moi. Les Allemands alertés par les cris de l'enfant nous mitraillèrent. Ma compagne et le poupon furent tués. Je fus moi-même blessée en gagnant un jardin voisin. »

Selon les dépositions de plusieurs participants au massacre, la charge explosive qui doit faire s'effondrer l'église n'est pas suffisante pour atteindre son objectif. « La destruction de la voûte de l'église échoua. La suite du massacre releva-t-elle d'un ordre ou d'une initiative de sous-officiers SS ? Vraisemblablement de la conjonction d'un ordre et d'initiatives individuelles : les récits des exécuteurs décrivent quelque chose proche d'un délire du champ de bataille, lorsque des hommes libèrent toute leur violence, avec l'autorisation de leur hiérarchie. Mais il n'y a pas eu de bataille ». Toujours selon les dépositions des assassins, après l'explosion de la charge, des SS « entrent à l'intérieur de l'église où ils ont tiré des rafales de mitraillettes, tandis que d'autres SS ont lancé des grenades à main à l'intérieur du même édifice, sans aucun doute pour achever la population » ; « au moment où le feu a été mis à l'église, on entendait toujours des cris à l'intérieur, mais moins qu'au début, ce qui prouve que, lorsqu'on y a mis le feu, des personnes étaient encore vivantes ou agonisantes ».



Après 18 heures, un ingénieur des chemins de fer, Jean Pallier, arrive en camion en vue du village. Il raconte : « Au sommet d'une côte, nous avons pu apercevoir le bourg qui n'était plus qu'un immense brasier ». Il est arrêté avec ses compagnons de voyage à trois cents mètres de l'entrée du village et autorisé à rester sur place après une fouille. Il est ensuite rejoint par les passagers du tramway parti de Limoges habitant Oradour ou s'y rendant. En tentant de rejoindre le bourg à travers champs, J. Pallier constate que la localité est complètement cernée par un cordon de troupes en armes. Le groupe d'une quinzaine de personnes est arrêté vers 20 heures et, après plusieurs vérifications d'identité, relâché avec ordre de s'éloigner du village ; un sous-officier parlant correctement le français déclare aux membres de la petite troupe : « Vous pouvez dire que vous avez de la chance ». Le massacre est terminé.

À l'exception d'une section de garde, les SS quittent Oradour entre 21 heures et 22 h 30. Les SS passent la nuit dans la maison Dupic, dans laquelle seront retrouvées plusieurs centaines de bouteilles de vins vieux et de champagne récemment vidées. Selon un témoin qui voit passer les Allemands, « dans cette colonne allemande, j'ai remarqué plusieurs automobiles conduite intérieure. […] Parmi les camions militaires se trouvait l'auto appartenant à M. Dupic, marchand et négociant en tissus à Oradour. […] Il y avait la camionnette du marchand de vins. […] Sur l'un des camions, un Allemand jouait de l'accordéon. Il était juché sur le haut du véhicule qui était très chargé. Il y avait des sacs, des ballots ».

Le 11, puis le 12 juin, des groupes de SS reviennent à Oradour pour enterrer les cadavres et rendre leur identification impossible, reproduisant une pratique usuelle sur le front de l'Est. Dans sa déposition relative au 11 juin, le sergent Boos explique : « J'ai personnellement déblayé l'église. […] je portais des gants pour cette besogne. Je prenais les cadavres et les restes, les sortais de l'église et les mettais dans un tombeau creusé à cet effet. Pendant ce travail, une ligne de sentinelles était en position […] et tirait sur les civils qui s'approchaient de la forêt ». Un autre SS déclare : « Le lendemain, nous sommes revenus pour enterrer les morts. […] J'étais dans l'église pour sortir les cadavres, en nombre inconnu tant ils étaient brûlés, cadavres de femmes et d'enfants. Nous les avons enterrés derrière l'église et nous sommes partis ».


Les criminels

Une enveloppe retrouvée sur place a permis d’identifier, grâce au secteur postal indiqué dessus (15 807 D), l’unité responsable du crime, ce secteur correspondant à celui de la 3e compagnie du régiment "Der Führer". 

 disparut en juillet 1944,il est retrouve en suisse en 1985


Cette compagnie, commandée par le capitaine SS Otto-Erich Kahn, se composait d’une section de commandement et de trois (ou quatre selon les témoignages) sections de combat. 


SS-Ustuf Heinz Barth


Egon Töpfer chefsde section dans la 3ème compagnie

Lothar Klaar, chefsde section dans la 3ème compagnie








Quant aux officiers, Diekmann est mort sur le front de Normandie le 29 juin au sud-ouest de Caen. Toepfer et Klaar ont disparu dans ce même secteur. Le général Lammerding n'a jamais été inquiété, tout comme le capitaine Kahn (respectivement décédés en 1971 et en 1977). Seul le sous-lieutenant Barth a été jugé en 1983 à Berlin. Bien que condamné à la prison à vie, il a été libéré en 1997 et est décédé le 6 août 2007. 

SS-Panzergrenadier-Regiment 4 Der Führer : 3 240 hommes (deux bataillons motorisés et 1 mécanisé). Sylvester Stadler, commandant du régiment ; 
Adolf Diekmann, commandant du I. bataillon et 
Otto Weidinger qui devient le commandant du régiment le 14 juin.

En cliquant sur l'image, vous accédez au site du procès de Bordeaux en 1953




Interview de Robert Hébras qui fait partie des six survivants du massacre d'Oradour-sur-Glane 


Robert Hébras avait 18 ans le 10 juin 1944. 
Sa mère et ses soeurs n'ont pas survécu à la fureur barbare des nazis. 
© Jean-Pierre Muller / AFP



Le 10 juin 1944, Robert Hébras avait 18 ans. Enfermé dans une grange avec d'autres hommes pour être fusillé, il n'a pu survivre qu'en se faisant passer pour mort sous les cadavres de ses amis avant de s'enfuir. Victimes de la barbarie nazie, 642 personnes sont mortes à Oradour-sur-Glane. Robert Hébras fait partie des six rescapés. Sa mère et ses soeurs n'ont pas eu cette chance. 

Avec les commémorations du Débarquement et du massacre d'Oradour, pensez-vous que l'on rend suffisamment hommage aux hommes qui ont fait ou qui ont subi la guerre ? 

On leur rend hommage comme il faut. À Oradour, c'est nous qui, après le procès de Bordeaux (où sont jugés en 1953 vingt et un accusés du massacre, NDLR*), avions refusé la présence de l'État. Pendant des années, il y a eu une coupure. Mais c'est du passé, tout ça. Aujourd'hui, l'État fait ce qu'il doit faire en Normandie, à Oradour et partout où cela doit être fait.

Vous avez été au plus près de la barbarie. Est-ce que cela a changé votre perception de la nature humaine ?

Oui. Je suis désolé d'avoir cette pensée, mais oui. Je suis déçu par l'homme. Mon désespoir, c'est de voir que la nature humaine n'a pas changé en soixante-dix ans. L'homme a toujours envie de se battre. Pour moi, il est orgueilleux, mauvais et ne pense qu'à lui-même. Soixante-dix ans ont passé depuis la barbarie nazie, et c'est tout juste si on peut se sentir en sécurité en sortant de chez soi. On le voit dans le monde, en Syrie, avec les attentats... D'où l'importance du devoir de mémoire, surtout avec les jeunes, pour se rendre compte de ce qu'est l'homme. 

En revendiquant un fort sentiment pro-européen, vous semblez pourtant garder quelques espoirs. Que pensez-vous de la forte abstention aux élections européennes ?

Oui, je suis pro-européen, car je pense que si la terre est mal faite, on a pu, grâce à l'Europe, éviter beaucoup de choses. Grâce à l'Europe, ça fait quand même soixante-dix ans que l'on ne se bat plus avec nos voisins ! Aujourd'hui, je suis triste de voir le taux d'abstention aux européennes, surtout chez les jeunes. Ce n'est peut-être pas un oubli, car comme les jeunes générations n'ont rien vécu, elles ne s'imaginent pas qu'un drame comme Oradour ou que les horreurs de la Seconde Guerre mondiale puissent exister. Pour les nouvelles générations, la paix est quelque chose de normal. Tant mieux ! Mais il ne faut pas oublier le passé, car on ne sait jamais de quoi l'avenir est fait. J'ai des petits-enfants, c'est à eux que je pense en disant ça. 

Il semblerait que les SS qui ont perpétré le massacre d'Oradour savaient pertinemment que les victimes n'étaient pas des résistants. Pourquoi, selon vous, ont-ils commis ces atrocités ?

Je ne sais pas. C'était sans doute un acte pour terroriser les populations. Mais toute ma vie, j'ai eu cette question : pourquoi Oradour ? Au final, si ça n'avait pas été Oradour, cela aurait été un autre village, je pense. 

Sur les 130 hommes qui composaient la division SS en charge des massacres à Oradour, presque tous ont été identifiés, sauf une quinzaine. Pourquoi n'ont-ils pas été condamnés et leurs peines appliquées ? 

Je ne sais pas. Je suis déçu qu'on ne les ait pas cherchés plus tôt. Je ne comprends pas. Vous savez, j'ai survécu au drame, le reste, ce n'est pas de mes compétences. 

Vous avez toujours vécu à Oradour ou dans un périmètre de dix kilomètres. Vous n'avez jamais voulu partir ?

Non, mais c'est pour le travail que je suis resté, car c'est ici que j'ai réussi. Mon métier me plaisait, j'étais satisfait. Je ne suis pas resté pour rester. Pour moi, il y a mon histoire et il y a ma vie professionnelle. Ce sont deux choses bien différentes ! J'ai bien séparé les choses. Vous savez, peu importe ce qui arrive, il faut continuer à vivre ! Dans mon travail, je n'ai jamais parlé d'Oradour. Sans les médias, personne ne saurait dans mon entourage professionnel que je suis un survivant. 

Comment survit-on à un tel traumatisme ? 

On n'a pas le choix ! Ou on repart dans la vie, on se fait honneur dans la vie, ou on se supprime. Il n'y a pas d'alternative. C'est continuer ou arrêter définitivement. 

Vous qui avez tant oeuvré pour un rapprochement franco-allemand, pourriez-vous aller jusqu'à pardonner à vos bourreaux ?

Ça dépend de quelle façon ça serait demandé. Il faudrait que la personne soit sincère. 

Pour aller plus loin :

À l'occasion des soixante-dix ans du massacre d'Oradour-sur-Glane, France 3 Limousin diffuse sur son site internet un "long format numérique", sorte de webdocumentaire qui retrace l'histoire de cette journée tragique et revient sur les grandes commémorations. Un reportage à ne pas manquer, notamment pour son traitement innovant et ses images aériennes du village filmées avec un drone.

* Le 12 janvier 1953 s'ouvre le procès de Bordeaux, au cours duquel 21 accusés du massacre d'Oradour sont jugés. Les survivants, dont Robert Hébras, sont entendus comme simples témoins et non pas comme victimes, ce qui provoque leur frustration et leur déception. Le mois suivant, l'adoption de la loi d'amnistie rendra caduques la majorité des condamnations attribuées à Bordeaux dans un souci d'unité nationale, la participation de 14 Alsaciens au massacre ayant été mise sur le compte de l'embrigadement de force (un seul reconnaîtra s'être volontairement engagé dans les SS). Au final, aucune des condamnations ne seront mises à exécution. Cela vaut aussi pour les 7 Allemands inculpés. Furieux, les habitants d'Oradour décident dès lors de "boycotter" l'État français

Marie de Douhet 



Egger Ph.