Suite au viol et au meurtre de deux adolescentes qui se rendaient aux champs pour se soulager, les femmes réclament des toilettes.
Les villageois se rassemblent à l’endroit où les adolescentes ont été retrouvées pendues à un manguier.
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Faute de latrines dans de nombreux villages indiens, les habitantes attendent la tombée de la nuit pour aller aux champs, loin des maisons. C’est à ce moment de la journée qu’elles se sentent le plus en insécurité. Une peur justifiée, comme le prouvent le viol et le meurtre de deux adolescentes.
Deux cousines de 12 et 14 ans, des intouchables («dalits»), ont été retrouvées pendues mercredi dernier à un manguier, à Katrashadatganj, un village pauvre de l’Uttar Pradesh (nord).
Les deux adolescentes ont été agressées alors qu’elles se rendaient dans un champ pour aller aux toilettes, dans l’obscurité, selon leurs proches. La police a indiqué qu’elles avaient été violées, puis pendues par leurs agresseurs.
Cinq hommes ont été arrêtés, a annoncé samedi la police. Trois ont été inculpés de meurtre et de viol en réunion, tandis que les deux autres, des policiers, sont accusés de complicité criminelle.
Observées et insultées
«La sécurité a toujours été un problème», déclare la tante d’une des deux victimes, dont les meurtres soulignent une nouvelle fois la violence infligée aux femmes en Inde. «Les hommes, surtout ceux qui appartiennent à une classe plus élevée, nous observent et nous insultent.»
Le calvaire des deux jeunes filles a fait les gros titres de la presse indienne et internationale, un an et demi après le viol collectif d’une étudiante de la classe moyenne à Delhi, qui avait succombé à ses blessures.
La violence est identique mais les circonstances diffèrent. Les deux adolescentes, qui ne peuvent être nommées selon la loi indienne, ont été agressées car leur maison et leur village ne possèdent pas de latrine.
L’Unicef estime que près de 594 millions d’Indiens - soit presque la moitié de la population - doivent aller se soulager dans la nature. Pour préserver leur intimité, beaucoup de femmes attendent la nuit tombée, au risque de faire mauvaises rencontres, dans l’obscurité.
De grands risques
«C’est le moment où une femme se sent le plus vulnérable et penser que des femmes doivent prendre de tels risques juste pour aller aux toilettes est choquant», déclare à l’AFP Carolyne Wheeler, qui travaille pour l’ONG Water-Aid.
Tous les responsables politiques indiens s’accordent à souligner les maux, sanitaires et sociaux, causés par ce manque de toilettes.
Fin 2013, cinq mois avant son élection à la tête du pays, l’actuel premier ministre Narendra Modi avait indiqué que son parti nationaliste hindou ferait passer la construction de WC avant celle de temples. «D’abord des toilettes. Les temples pour plus tard», avait-il lancé.
Indifférence crasse
Mais les défis sont immenses dans ce pays doté d’infrastructures mal en point, voire inexistantes. L’Inde rurale manque des toilettes, mais aussi de routes en bon état, d’électricité en continu et d’eau courante.
Dans les régions les plus rurales et les plus pauvres, les habitants ont le sentiment que leurs besoins passeront toujours au second plan, derrière ceux des urbains et de la classe moyenne émergente.
Lorsqu’une journaliste s’est enquise du nombre de viols en Uttar Pradesh, le ministre en charge de cet Etat, le socialiste Akhilesh Yadav, lui a répondu: «Vous n’avez pas été attaquée, n’est-ce pas? Bon, et bien alors? Tant mieux et merci.»
Il a tenté de se rattraper un peu plus tard en qualifiant le meurtre des deux jeunes filles de «malheureux» et en demandant une justice accélérée pour les coupables présumés.
Au moins des sanitaires
Dans un entretien à l’AFP, une proche des victimes dit vouloir que les coupables soient jugés et condamnés. Et elle veut aussi la construction de sanitaires dans le village.
«Je n’ai pas peur en général de la campagne, de la forêt, des serpents ou des animaux sauvages. Mais je me sens nerveuse lorsque je vais aux champs pour me soulager», dit-elle. «Je veux que le gouvernement nous construise des toilettes dans le village, je veux au moins ça.»
ATS