La cuisine militaire Suisse n’est plus ce qu’elle était. Les centres de subsistance de l’armée ont désormais érigé les quatre S – sain, simple, suffisant, succulent – en vertus cardinales.
L'Armée ne servira plus que de la nouriture 100% helvétique à ses soldats, à partir de janvier 2015, répondant ainsi à des inquiétudes formulées par la Protection suisse des animaux (PSA).
L'armée a envisagé cette mesure suite à des articles parus dans la presse. Il apparaissait notamment que du lapin hongrois était proposé, notamment pour des questions de coûts. Pour nourrir un soldat, le quartier-maître dispose d'un budget quotidien de 8 francs 50.
Une intervention de la PSA a permis de trouver une solution avec les éleveurs et paysans suisses, a confirmé à l'ats Daniel Reist, porte-parole de l'armée. Il revenait sur une information parue dans «Le Matin Dimanche», la «SonntagsZeitung» et la «NZZ am Sonntag».
«Toute la nourriture servie proviendra exclusivement d'éleveurs ou de producteurs suisses», a-t-il poursuivi. Pour le poisson, on servira des produits labellisés respectueux de la dignité animale.
Coût total de l'opération: 1,5 million de francs, qui viendront s'ajouter au budget actuel de 63 millions consacré à la nourriture de la troupe. Par jour et par soldat, cet ajustement représente 25 centimes.
La cuisine militaire prend du galon
L'armée suisse s'adressera dès l'an prochain à des éleveurs ou producteurs suisses. (photo: Keystone/Gaetan Bally)
Les Suisses sont champions du monde de la cuisine militaire. Sur le terrain, les cantines helvétiques se sont même réformées, dit-on. Pour en avoir le cœur net, enquête au centre de subsistance de Thoune.
La cuisine militaire n’est plus ce qu’elle était.
Réorganisée autour de centres de subsistance confiés à la gestion de civils, l’armée forme désormais des apprentis de cuisine. Son chargé de formation est aussi le coach de grands chefs. Son équipe remporte de prestigieux concours internationaux et dispute en ce moment même les Olympiades de la spécialité à Erfurt, en Allemagne. Quant à son nouveau livre de recettes, il répond aux «principes de la diététique moderne».
Le règlement 60.003 invite à «donner la préférence aux produits régionaux et de saison» et à suivre les recommandations de l’Office fédéral de la santé publique, soit, entre autres, cinq fruits et légumes par jour. Les 31 centres de subsistance de notre grande muette ont érigé les quatre S – sain, simple, suffisant, succulent – en vertus cardinales.
Conscients que l’information ne souffre aucune compromission, nous avons mené l’enquête au centre de subsistance de Thoune.
Un matin d’octobre qui éclate de soleil et de douceur de vivre. Passé les treillis, au-delà de la guérite, une atmosphère étrangement silencieuse, presque sereine.
Bienvenue à Thoune, place d’armes dévolue aux chars, à la maintenance et à la formation, notamment celle des chefs de cuisine. L’adjudant-chef Martin est notre guide sur un site en chantier, où deux conteneurs gigantesques – dites «système de subsistance mobile» – tiennent lieu de cuisine provisoire, en attendant le bâtiment définitif. A la veille du week-end, mille deux cents soldats, de milice ou de carrière, s’activent sur la place d’armes; il n’en restera qu’une centaine en fin de journée.
Fils de restaurateurs ayant grandi dans l’établissement familial à la vallée de Joux, Jean-Michel Martin est cuisinier de formation. La quarantaine musclée dans sa tenue léopard, il a fait sa tournée des bonnes adresses et des palaces, du Bristol à Bad Ragaz au Zermatterhof, à Zermatt, avant d’embrasser la carrière militaire en 1994. Adjudant-chef, formateur et spécialiste de la cuisine militaire, il a mené l’équipe suisse de cuisine militaire jusqu’aux titres enviés de championne du monde et championne «olympique» de cette discipline méconnue. Plus insolite encore, notre homme a une expérience peu commune de la grande cuisine – il a notamment été le coach de Franck Giovannini, de l’Hôtel de ville de Crissier, lors de sa préparation au Bocuse d’or, en 2011.
Cela dit, l’adjudant-chef Martin est bien placé pour se souvenir que la tambouille des soldats a connu des jours moins glorieux. Les fourriers ont longtemps été choisis parmi des non-professionnels: «Ils étaient mécaniciens, maçons ou tout autre chose au civil; aujourd’hui, fourriers et cuisiniers de troupe sont systématiquement issus des métiers de bouche. Surtout, les réformes d’Armée XXI ont redistribué les cartes, instaurant une trentaine de centres de subsistance, des sites permanents gérés par un civil. Sous sa responsabilité: fourrier et chef, commis, apprentis, soit une brigade d’une dizaine de personnes.»
Des louches et des écumoires géantes, un robot universel à hauteur de béret, des râpes de la taille d’une soucoupe volante, des casseroles d’une centaine de litres, y compris les nouveautés technologiques récentes et autres fours-vapeur combinés: «Le matériel est le même que dans les cuisines collectives», précise notre adjudant-chef. S’y ajoutent les fameux centres de subsistance mobiles, permettant aux pioupious de manger chaud jusque sur l’alpage le plus inaccessible. Une dépense somptuaire qui fit grogner à l’unisson les partisans de la suppression de l’armée et les tenants de la «ligne dure», prompts à taxer les recrues actuelles de chochottes… Hmmm.
Au-delà des fameux pianos mobiles, un hangar vaste et lumineux abrite le réfectoire. Deux cuistots détaillent les dernières carottes pour la salade. La brigade sera la première à passer à table, vite fait. A 11h30, les premiers sont en rang. Un peu de potage de maïs au curcuma? On fait suivre avec salade mêlée, rôti de veau, jus au romarin, navets et pommes croquettes, corbeille de fruits frais. Honnêtement, le rôti de veau – mijoté à basse température pendant la nuit – est plutôt bon. Les croquettes sont sèches et farineuses, les navets honnêtes, le potage est excellent.
La Gamelle d’or? Ce concours lancé pour tester la qualité culinaire des différents centres de subsistance. «L’hygiène est correcte, la variété des plats satisfaisante et la viande très bonne», note Jean-Michel Martin.
Douze trente précises, dernier claquement de talons, dernier treillis annoncé partant, l’affaire sera pliée. Mille deux cents repas servis et phagocytés en trois quarts d’heure. Cent cinquante à prévoir pour ce vendredi soir. Un des défis est de faire face à ces grandes variations de nombre. La mission tient à assurer, surtout, la subsistance «selon les besoins: entre 2000 et 6000 calories par jour. Un sanitaire basé à Moudon ne reçoit pas le même apport calorique que le grenadier d’Isone.»
Menace sur le ravioli?
L’armée prend aussi en compte les changements sociaux et les considérations religieuses: «Il faut pouvoir fournir de la nourriture lyophilisée de trekking et proposer des plats végétariens et respectueux des différentes confessions.»
Feuilletons le manuel de recettes, introduit en 2009. Salade de carottes à l’orange, polenta tessinoise, risotto aux champignons, filets de féra à la neuchâteloise, gratin méditerranéen. En plus des rösti bernois et des croûtes au fromage. Oui, la cuisine militaire a fait sa révolution. Grâce aux sites permanents, les raviolis en boîte, grand classique du premier jour d’école de recrues, sont peut-être menacés de disparition.
Voici 20 ans, le budget à disposition était de 4 francs 50 par jour et par tête; il est aujourd’hui de 8.50. Le poulet et le lapin étaient en principe interdits, tout comme le vin dans la fondue. «Il y a aujourd’hui plus de souplesse, et l’assortiment de denrées de base ne fournit plus que 70 à 80% des repas de la troupe – qui fait appel pour le reste et les produits frais à des fournisseurs locaux».
Menace sur le ravioli? Dans le réfectoire, un grand panneau à dorures récupéré dans un palace bernois indique, juste à côté du chaudron de potage: «Salon Empire». Alors, la vie de palace, nos militaires?
Egger Ph.