L'esthétique n'est pas le fort de cet architecte
Dans le genre mocheté,
Vincent Mangeat est en Super League
Fribourg sans Vincent Mangeat
Fribourg avec Vincent Mangeat
L'architecte surprend les autorités avec son projet de bâtir 100 logements sur le pont de Zaehringen,
désormais interdit à la circulation.
L'utopique projet de logements sur le pont de Zaehringen que dévoilait l'architecte nyonnais Vincent Mangeat (ici en juin 2013 lors de l'inauguration de la maison de l'Ecriture, à Montricher)
Un pavé dans la mare. Ou plutôt dans la Sarine, qui coule sous l’emblématique pont de Zaehringen. C’est ainsi qu’il faut comprendre le concept dévoilé mardi à Fribourg par Vincent Mangeat. Le célèbre architecte de Nyon rêve de construire 102 appartements à loyer modéré sur cet ouvrage long de 165 m. Un projet qui ne répond à aucun mandat, public ou privé. «Pour une fois, c’est à l’architecte d’inventer la question, de provoquer le débat», lance le bouillant septuagénaire. Qui souhaite apporter sa contribution à la densification des villes «en réutilisant leur patrimoine historique».
Débat il y aura, à n’en pas douter, dans la Cité des Zaehringen. Le pont dont il est question ici, édifié en 1924, relie le quartier de la Cathédrale à celui du Schoenberg. L’ouverture du spectaculaire pont de la Poya, en aval de la rivière, l’a débarrassé du trafic automobile. Depuis la mi-octobre, seuls les bus, les cyclistes et les piétons empruntent cet axe auparavant surchargé. Comment le revaloriser? Les autorités locales y réfléchissent depuis belle lurette, dans le cadre d’un projet de revitalisation du bourg historique. «Nous ne voulons pas considérer le pont comme un élément séparé, mais comme faisant partie de cet ensemble», souligne le syndic, Pierre-Alain Clément. La folle proposition de Vincent Mangeat l’a pris de court hier. «Mais toute idée est bonne à prendre!»
Le père de la tour de glace de l’Expo universelle de Séville n’a pas laissé que de bons souvenirs à Fribourg. En 2011, écarté d’un concours d’architecture, il s’est opposé à un projet d’aménagement du centre-ville, bloquant tout le processus durant un an… «C’est une affaire classée», dédramatise Pierre-Alain Clément. L’Exécutif prendra connaissance avec intérêt de «l’offrande» du visionnaire vaudois. Car ce dernier, au-delà du coup d’éclat, a bien l’intention de «pousser son projet» le plus loin possible.
Accueillir 350 habitants
«Nous avons investi du temps et de l’énergie pour étudier tous les détails», confirme Pierre Wahlen, l’associé de Mangeat. Le duo a notamment fait vérifier la stabilité de l’ouvrage par des experts. Il envisage une structure de bois et de métal surmontant le tablier du pont, mais en laissant un passage dédié aux transports publics et à la mobilité douce. Les logements, lumineux et écologiques, pourraient accueillir 350 habitants au total. «Au rez-de-chaussée, on peut imaginer un bistrot, des commerces, une garderie d’enfants, que sais-je encore?» énumère Vincent Mangeat.
Le règlement des constructions autoriserait-il une telle aventure? Le professeur honoraire d’architecture à l’EPFL balaie cette réserve: «Adaptons les lois à l’idée, au lieu de faire l’inverse!» Quant aux coûts de cette construction hors norme, il évoque prudemment une fourchette de 3000 à 4000 francs par mètre carré. Soit une quarantaine de millions. «On économiserait les habituels frais liés au terrassement et aux fondations, puisque tout existe déjà.» Plus terre à terre, Pierre Wahlen songe à un droit de superficie que la Ville octroierait à d’éventuels investisseurs.
Vincent Mangeat revient à l’essentiel. Pour lui, il faut lutter contre l’éparpillement de l’habitat, économiser le territoire, créer les conditions «pour mieux vivre ensemble». Marre des villas qui grignotent la périphérie des cités! Tout en planchant sur le projet fribourgeois, son bureau a identifié une quarantaine de lieux, en Suisse, susceptibles de s’inspirer de cette réflexion. Il cite Bâle, Lucerne, Genève (le pont Butin). «On n’a rien inventé. L’idée des ponts habités est vieille comme le monde», dit le bâtisseur, en évoquant le pont Rialto de Venise et le Ponte Vecchio de Florence.