Le trompe-l'œil est un genre pictural destiné à jouer sur la confusion de la perception du spectateur qui, sachant qu'il est devant un tableau, une surface plane peinte, est malgré tout, trompé sur les moyens d'obtenir cette illusion.
Une des premières entreprises de la peinture étant de figurer d’abord sur des murs, puis des toiles, des images de notre environnement, cette figuration a mené à des lois de perspective et développé une technicité picturale qui reste une des grandes directions de l’art.
Jeu de séduction et de confusion du spectateur, le trompe-l’œil a porté très évidemment son choix plus volontiers vers des sujets inanimés ou statiques.
Le domaine du trompe-l’œil ne se limite pas au tableau ; lorsqu’il en dépasse le cadre, il envahit le mur tout entier et devient une peinture murale. L’architecture y est alors figurée selon les lois de la perspective pour le spectateur ; elle peut aussi, dans une illusion saisissante, être un vrai trompe-l’œil architectural.
Malgré tout ne confondons pas tromperie efficace et représentation picturale très réaliste : un objet qui sort du cadre et peint sur le bord du tableau est souvent un trompe-l’œil destiné à montrer que le reste du tableau n’en est pas un (voir les écrits de Daniel Arasse : Le Détail, pour une histoire rapprochée de la peinture), une vue en perspective dans un cadre est une représentation, une perspective peinte dans le décor même pour en prolonger la réalité, un trompe-l’œil, comme les moulures et fenêtres décorant les façades italiennes de la Ligurie.
On pourrait s’étonner, à notre époque, de ce retour soudain, si contraire à l’évolution de la peinture contemporaine qui s'est progressivement déchargée de tous les éléments constitutifs de cet art au point d'en abandonner la matière même, support et couleur, après que le dessin, la composition et le sujet en ont été successivement écartés. Ce sont ces réductions qui ont caractérisé la démarche de l'art moderne, c'est-à-dire les changements qui se sont produits à partir de 1820 et du romantisme, accentués par les impressionnistes, puis par les cubistes, les fauves, jusqu'à l'abstraction et au conceptualisme.
Les trompe-l’œil, ces peintures qui étaient oubliées depuis deux siècles en Europe, les Américains les avaient, eux, admirés au cours du XIXe siècle et s'en étaient même engoués au moment où l'Europe découvrait l'impressionnisme.
L'anecdote célèbre rapportée par Pline l'Ancien le naturaliste, d'après qui Zeuxis avait peint des raisins sur lesquels s'étaient jetés des oiseaux, trompés par l'exécution parfaite, une foule d'autres récits de même ordre nous indiquent que dès les débuts de la peinture, on cherchait avant tout l'identité de la chose peinte avec son modèle.
Malgré la pauvreté des moyens techniques dont ils disposaient, les décorateurs romains étaient parvenus à imiter le relief à même les murs pour simuler la sculpture et les éléments d'architecture : colonnes, chapiteaux, soubassements, statues, enrichissant à moindres frais les intérieurs. À l'aube du réveil de la civilisation sous la forme de la peinture irréaliste Giotto commence par utiliser des trompe-l’œil dans sa décoration de la chapelle Scrovegni (1305) à Padoue, et toute la peinture illustrative en découle : à Florence son élève Taddeo Gaddi imite son exemple dans le chœur de Santa Maria Novella (v. 1338), mais il faut attendre plus d'un siècle pour que leurs successeurs Masolino da Panicale et Masaccio renouvellent cet exploit.
L'invention de la peinture à l'huile qui permettait le modelé s'est traduite immédiatement par l'imitation de la sculpture sur les volets des tableaux d'église, par son inventeur même, Van Eyck. Toutes les peintures de ses proches successeurs: Rogier van der Weyden, Memling, Mabuse, le triptyque de l'Annonciation d'Aix ont été classées par les historiens d'art dans le genre de la « peinture sculpturale ». En Italie, le XVe siècle nous amène Antonello de Messine, dont le Saint Jérôme de la National Gallery est un magnifique trompe-l’œil sauf en ce qui concerne la dimension, réduite. Le Vénitien Carlo Crivelli peint un trompe-l’œil réussi avec sa Vierge à l’enfant du musée de New York.
Il a soin, en outre, d'orner chacun de ses tableaux par des fruits et des légumes en grandeur réelle, qui n'ont d'autre but que d'en affirmer la réalité. En 1504, enfin, Jacopo de Brabari, Vénitien, exécute à Vienne un prototype des trompe-l’œil qui suivront, qui est en même temps la première nature morte, sous la forme d'une perdrix suspendue à un mur avec deux gantelets de fer (Munich, Alte Pinakothek).
Au XVIIe siècle italien, la peinture se détourne du réalisme pour développer ses possibilités illustratives dans de grandes dimensions décoratives. Toutefois, Raphaël n'hésite pas à souligner ses fresques grandioses du Vatican par des soubassements en camaïeu imitant la sculpture : Michel-Ange accomplit le plus grand trompe-l’œil de tous les temps avec le plafond de la Chapelle Sixtine. Sandro Botticelli et ses confrères du Quattrocento, l'avaient déjà entourée par les images des papes en fausses sculptures.
En Hollande, au XVIIe siècle, les sujets sont moins ambitieux. La nature morte y atteint un sommet. Le trompe-l’œil en est une sorte de maniérisme qui tente d'annexer la troisième dimension en réduisant la profondeur de champ et en accentuant le contraste clair-foncé. Cependant, l'évolution diffère selon qu'il s'agit de trompe-l’œil décoratifs à grande échelle ou de tableaux de petits formats conçus pour amuser les spectateurs, qui sourient quand ils s'aperçoivent que ce qu'ils ont pris pour un relief est parfaitement plat.
En effet, le relief s'apprécie surtout par la mise au point du cristallin qui s'épaissit pour accommoder la vue de près. La distance, la profondeur se ressentent par la sensation du croisement des regards œil droit/œil gauche qui forment un angle d'autant plus ouvert que l'objet se rapproche. L'effort détermine une légère tension musculaire qui nous renseigne sur la proximité de l'objet regardé.
Il convient de ne pas confondre les deux genres de trompe-l’œil, celui qui se voit de loin et celui qu'on regarde de près : le trompe-l’œil décoratif, ou monumental, ou mural, et le trompe-l’œil de chevalet. Le trompe-l’œil mural s'apparente au décor de théâtre. On ne sait pas d'ailleurs si les fameux raisins de Zeuxis ne figuraient pas sur une scène. Le théâtre antique étant en plein air, rien n'empêchait les oiseaux d'y accéder. Dans ce cas, le peintre grec s'était donné une peine inutile, car l'éloignement de la scène permet une facture expéditive étant donnée la définition approximative requise. Les peintres de décor n'ont pas besoin de pinceau double zéro, ils utilisent des balais, au sol.
Les peintres décorateurs qui exécutent les trompe-l’œil à grande échelle, comme ceux qui décorent, en Italie, les plafonds des églises, au XVIIe siècle où, de nos jours, les pignons des immeubles peuvent adopter un traitement différent selon qu'il s'agit du rez-de-chaussée ou du 7e étage.
Le trompe-l’œil tend à restituer le sujet avec la plus grande vérité possible, principalement en donnant l’illusion du relief. Pour y parvenir, le peintre n'utilise qu'une profondeur restreinte et le contraste d'un premier plan clair se détachant sur un arrière-plan sombre. On peut dire qu'il est la forme la plus accusée du réalisme, en donnant à ce terme son sens technique et non son sens littéraire. Dans le réalisme de Courbet. Le terme s'applique surtout au sujet, plus encore qu'à la manière de le traiter. Au cours de leur œuvre, et même en l'absence de celle-ci1. Vers la fin du XVIIe siècle, le « trompe-l’œilliste » le plus fécond, Cornelis Norbertus Gysbrechts, ne se contentant pas de la forme rectangulaire, réalise la découpe compliquée d'un chevalet contre lequel il dispose un tableau, retourne une palette, ajoute une nature morte et une miniature, le tout découpé dans le bois. À la même époque, sans qu'on sache s'il avait vu cette découpe, un Vénitien travaillant dans le midi de la France avait réalisé un autre chevalet, couvert de tableaux différents et encore plus compliqué, qui est resté la propriété - et la gloire - du musée d'Avignon. Gysbrechts avait encore conçu un autre « chantourné » : un vide-poches garni d'objets divers et il paraît que Samuel Van Hoogstraten (1627-1678) garnissait son atelier de découpe imitant divers objets dans le but de surprendre ses visiteurs, mais elles ont disparu et les trompe-l’œil qu'il nous a laissés sont de forme rectangulaire, mise à part cette curieuse vue d'intérieur à trois dimensions de la National Gallery qui se regarde par un œilleton.
Gysbrechts a aussi inventé le tableau retourné, sujet maintes fois repris par des artistes ne craignant pas la répétition. Posé sur le sol, ce trompe-l’œil sera pris pour un tableau en attente d'être accroché, mais il risque de recevoir, dans une exposition, quelques coups de pieds de visiteurs distraits. Le même inconvénient guetterait les imitateurs d'Oudry et de Chardin, qui conçurent des écrans coupe-vent destinés à fermer les cheminées pendant la belle saison, lorsqu'on n'y fait plus de feu, Oudry avec un chien devant une jatte, Chardin avec la nappe d'une table desservie. De nos jours il faudrait y ajouter la cheminée elle-même, car peu d'immeubles modernes en sont pourvus.
Les céramistes ont imité la cage d'oiseau avec une faïence plate découpée, habitée par un perroquet. Mais dans une cage il est un élément embarrassant à traduire, c'est le vide, la transparence d'une grille, dont les intervalles, les vides ont peu de chance de se trouver de la même couleur que le mur sur lequel on l'appliquera. Aussi, dans bien des cas aurait-on avantage à présenter le trompe-l’œil sur un fond de la couleur des vides du tableau plutôt que de lui mettre un cadre.
Il serait souhaitable de s'évader du sempiternel rectangle, mais nos yeux y restent contraints, puisque l'ellipse des XVIe et XVIIe siècles après une tentative de réapparition au XIXe siècle est condamnée à moisir dans les greniers malgré l'aspect gracieux de ses rondeurs. Des « trompe-l’œillistes » ont tenté de revaloriser le cercle, mais le losange, les polygones, l'étoile, restent à l'écart, et devront peut-être attendre le prochain siècle pour sortir du néant.
Puisque nous sommes condamnés au rectangle à perpétuité, tâchons de découvrir parmi les objets rectangulaires, usuels, ceux qui sont susceptibles de s'adapter au trompe-l’œil : porte, fenêtre, panneau d'affichage ou de présentation, étagère (très fréquemment utilisée), armoire, vestiaire, bibliothèque, réfrigérateur, coffre-fort, ardoise d'écolier, cageot de légumes, cabine de douche ou d'essayage, boîte d'herbier, d'insectes, de reptiles ou de minéraux, cartes postales, épreuves photographiques, paquets-poste ficelés et affranchis ont déjà connu leur interprétation en trompe-l’œil. À chacun de regarder, dans la rue, dans les intérieurs, dans les magasins, dans les revues pour y découvrir des modes de présentation inusités, mais toujours fondés sur la forme rectangulaire du tableau, genre noble et de prix élevé.
On a utilisé le placement horizontal, vu de dessus sur une table basse pour des objets plats (Foujita, Ducordeau). L'illusion est plus difficile que dans la position verticale sur un mur, car le spectateur voit toujours les objets représentés, de biais, alors que l'angle de la vision doit être perpendiculaire pour que l'illusion subsiste quand on approche.
Quelques exemples
Egger Ph.