Pour l'ambassadeur Jean-Jacques de Dardel, l'avion solaire résume bien notre pays et ses valeurs à l'étranger.
Le vice-gouverneur de la province du Jiangsu, Xu Ming, visite la tente de «Solar Impulse» avec l’ambassadeur Jean-Jacques de Dardel.
Image: SOLAR IMPULSE/PIZZOLANTE/REZO.CH
Solar Impulse en Chine? Un bonheur pour Jean-Jacques de Dardel. Agé de 60 ans, le diplomate est un grand fan de la libellule solaire d’André Borschberg et de Bertrand Piccard. Nommé à la tête de l’ambassade de Suisse à Pékin début 2014, il suit l’aventure aux premières loges. Et il n’a pas boudé son plaisir en recevant des officiels chinois pour un souper de gala à Nankin, il y a trois jours, sous les ailes de l’avion. Enthousiasme en haute altitude.
Vous portez toujours ces boutons de manchettes à l’effigie de Solar Impulse?
En tout cas très assidûment ces jours! (Rires.) C’est un cadeau de Bertrand Piccard. J’étais ambassadeur en Belgique lors du premier vol international et j’ai aidé à faire parler du projet. Puis j’étais en poste en France lors du premier vol intercontinental de Solar Impulse pour rallier le Maroc. Ici, je suis beaucoup intervenu pour rendre possible la traversée de la Chine. Nous avons sympathisé. Ils n’ont pas eu souvent besoin de moi, mais je les suis avec énormément d’intérêt. Je m’enthousiasme pour ce tour du monde.
Pourquoi?
Ces aventuriers apportent un message fort en matière de développement durable et de respect de l’environnement. Solar Impulse illustre le fait que, quand on veut, on peut. Ils ne font pas uniquement cela pour la beauté du geste mais pour amener les jeunes générations à penser différemment. C’est un coup émotionnel et intellectuel qui peut débloquer les esprits à travers le monde. Mais ma vision la plus forte de Solar Impulse, c’est encore celle du modèle suisse.
Vous parlez du logo suisse sur l’avion?
Le drapeau, oui, mais aussi le modèle d’un pays qui s’illustre par ses capacités d’innovation et d’excellence de sa recherche. La Suisse n’a pas plus d’ensoleillement que ses voisins, mais elle possède de la créativité. Et l’une des réussites de la recherche suisse, c’est l’ouverture. Nous avons plus de chercheurs et de professeurs étrangers dans nos universités que la moyenne européenne, nous avons plus d’étudiants étrangers chez nous que d’autres. Ce qui fait que le brassage d’idées et les étincelles de créativité sont beaucoup favorisés chez nous. C’est un grand bien que nous ne devrions absolument pas perdre.
Solar Impulse serait donc une image de la libre circulation des personnes?
On pourrait s’amuser à ce genre de parallèle, d’autant plus que la «libre circulation» accordée à Solar Impulse en Chine n’allait pas de soi. Elle a été difficile à obtenir, elle a dû être expliquée. Petit à petit, des gens qui n’étaient pas habitués à ce genre de requête se sont rendu compte qu’il n’y avait rien à perdre mais tout à gagner dans cette histoire. Nous avions un intérêt commun avec les autorités, c’est celui de sensibiliser la population aux énergies propres, et Solar Impulse apporte de la substance à ce message. La libre circulation des idées, lorsqu’elles sont bonnes pour l’humanité, permet de bénéficier de l’apport des autres. Alors oui, cela rappelle les histoires de libre circulation des personnes telle que nous l’entendons en Europe.
C’est donc la Suisse qui circule à travers cet avion?
Une bonne part de la Suisse, oui. Il y a une centaine d’organismes publics ou privés qui font partie de l’aventure. Pensez à toutes ces start-up qui ont inventé des produits et qui ont fait avancer leur recherche avec Solar Impulse. C’est énorme, c’est un réseau poussé par les envies individuelles agencées naturellement. C’est typique du modèle suisse. Mon seul regret, c’est que l’aspect suisse de ce tour du monde reste assez modeste. Dans les pays traversés jusqu’à présent, la couverture médiatique était excellente, mais la référence à la Suisse reste assez faible. Il est plus facile pour les médias de focaliser sur l’exploit, alors que Solar Impulse, c’est bien plus que cela.
Soixante-cinq ans d’échanges et d’«amitié» avec la Chine populaire
Jean-Jacques de Dardel était loin de découvrir la Chine lorsqu’il a été nommé l’an dernier à la tête de l’ambassade de Suisse à Pékin (la plus grande dans le monde avec une centaine d’employés et 120 collaborateurs rattachés). Son père était diplomate à Hongkong entre 1950 et 1953. Plus tard, il a voyagé en Chine avec sa femme, diplômée en études chinoises. C’était il y a vingt-neuf ans. «Un pays alors fascinant, mais totalement différent de ce qu’il est aujourd’hui.»
Pour lui le développement de la Chine est admirable: «Je ne connais pas un autre pays dans le monde ni dans l’histoire de l’humanité qui ait réussi à sortir plus de 600 millions de gens de la pauvreté en l’espace de moins d’une génération. Qui dit mieux? L’espérance de vie
a doublé en une génération.Le développement économique a augmenté le taux de bonheur et de satisfaction de la population.»
La médaille a son revers: le même développement aboutit à des inégalités sociales. Et provoque une pollution énorme de l’environnement. «Les autorités en ont pris conscience et font tout ce qui est possible aujourd’hui pour développer les cleantechs, raison pour laquelle Solar Impulse et son message arrivent au bon moment.»
Quant aux droits humains, ils n’ont pas suivi le même développement. «Il y a encore beaucoup de progrès à faire selon nos critères en matière de respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression», reconnaît Jean-Jacques de Dardel,qui souligne le dialogue sur les droits de l’homme poursuivi depuis 1991 entre la Suisse et la Chine, à la demande de cette dernière.
La Suisse et la Chine fêtent cette année leurs 65 ans d’«amitié» – la Suisse avait été l'un des premiers pays occidentaux à reconnaître la République populaire de Chine, en 1950. C’est surtout les relations économiques qui sont mises sur le devant de la scène. La Suisse a des échanges commerciaux plus importants avec la Chine qu’avec la France. Relations intenses, renforcées par un accord de libre-échange en vigueur depuis 2014 et, bientôt, l’entrée de la Suisse dans la nouvelle Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB).
Jean-Jacques de Dardel n’a pas du tout l’impression de représenter des nains chez des géants: «En fait, je représente ici la vingtième puissance économique mondiale, dont le produit national brut (PNB) se monte à un dixième de celui de la Chine.»