Les Soldats d’Odin veulent se substituer à la police pour lutter contre l’insécurité depuis l’arrivée en octobre de centaines de demandeurs d’asile. © Keystone
Dans plusieurs petites villes de Finlande, des habitants se sont constitués en milice. Leur but : lutter contre l’arrivée des immigrés et la supposée délinquance qu’ils provoqueraient.
Ils affirment être plus de 500, avec des ramifications dans plusieurs villes de Finlande et des sympathisants à l’étranger. Le groupe d’autodéfense Soldiers of Odin a été créé en octobre, dans la commune de Kemi, en Laponie, dans le nord du pays, à une trentaine de kilomètres de la ville de Tornio, à la frontière avec la Suède. C’est par là que sont arrivés des centaines de demandeurs d’asile cet automne, principalement Irakiens, après avoir traversé l’Europe, dans l’espoir de rejoindre la Finlande, où ils espéraient obtenir rapidement le regroupement familial. Plusieurs week-ends d’affilée en octobre, des manifestants se sont rassemblés à la frontière, pour leur bloquer le passage. A Kemi, un groupe d’hommes en noir commence à patrouiller dans les rues. Sur leurs vestes Bomber, le portrait d’Odin, le dieu le plus puissant de la mythologie nordique, flanqué d’un drapeau finlandais. Sur leur page Facebook, ils assurent ne pas être armés et enjoignent «les patriotes et ceux qui critiquent l’immigration» à les rejoindre, pour lutter contre l’insécurité causée par ceux qu’ils désignent comme «les intrus islamiques». Ils se proposent d’être «les yeux et les oreilles de la police». Dans ce pays de 5,5 millions d’habitants, devenu en 2015 la quatrième terre d’accueil des réfugiés en Europe proportionnellement à sa population, avec 32 000 demandeurs d’asile, le mouvement provoque un certain malaise. D’autant qu’il semble se propager, ces dernières semaines, à d’autres villes du pays. Plus de 22 000 internautes lui ont apporté leur soutien, sur Facebook. Et des groupes similaires ont été créés chez les voisins nordiques.
Vague d’indignation
Si certains membres du gouvernement se sont empressés de condamner son existence, demandant même, comme le ministre des Finances, Alexander Stubb, son interdiction, d’autres se sont montrés plus prudents. L’organisation de la jeunesse du parti des Vrais Finlandais, la formation populiste qui siège au gouvernement depuis l’année dernière, lui a même témoigné son soutien. Son patron, Sebastian Tynkkynen, renvoie à des incidents lors de la nuit de la Saint-Sylvestre à Helsinki, soutenant que «des activités préventives menées par des bénévoles sont plus que bienvenues».
Selon la police, quinze plaintes ont été enregistrées, concernant le réveillon du nouvel an, dont douze pour agressions sexuelles, une pour viol et deux pour tentative de viols. Les suspects identifiés sont tous des «demandeurs d’asile». Ceux qui courent toujours «ont été décrits comme des personnes étrangères». En novembre, le viol d’une fille de 14 ans, dans la commune de Kempele (nord-ouest de la Finlande) et l’arrestation d’un demandeur d’asile de 17 ans avaient déjà provoqué une vague d’indignation dans le pays. Après une manifestation, réunissant 300 personnes, le centre d’hébergement pour mineurs non accompagnés de Kempele avait été fermé. Dans une commune voisine, les réfugiés avaient reçu pour instruction d’«éviter d’approcher les jeunes filles finlandaises pour leur propre sécurité».
«Désespérés»
A Kemi, cependant, rien de tout cela. «C’est une petite ville paisible, où il ne se passe vraiment pas grand-chose», témoigne Katja Hietala, une maman de 35 ans, qui prépare une thèse d’économie. L’arrivée de plusieurs centaines de réfugiés en octobre, via la frontière finno-suédoise, a bien semé le chaos pendant deux semaines dans le centre-ville : «Il n’y avait pas de places d’hébergement, mais les bénévoles sont intervenus et tout s’est passé dans le calme.» Quant à la criminalité, remarque la jeune femme, elle n’a pas augmenté : «Il y a eu cinq viols à Kemi et deux à Tornio en 2015, contre sept et neuf en 2014.»
Alors pourquoi cette ville industrielle de 21 000 habitants a-t-elle donné naissance aux Soldats d’Odin ? Katja Hietala répond : «Je connais certains d’entre eux. Ce sont des gens de mon âge, ou un peu plus jeunes. Ils sont désespérés. Ils ne voient plus d’avenir, ni pour eux ni pour leurs enfants. C’est le résultat d’années de politique d’austérité. Malheureusement, beaucoup ne connaissent rien aux étrangers et ils n’ont ni le sens de l’histoire ni celui des valeurs de la Finlande.»
Le fondateur du mouvement, un routier de 29 ans, revendique son appartenance à une organisation néonazie. Plusieurs de ses membres ont un casier judiciaire. Déplorant que «cette bande d’idiots aux crânes rasés aient reçu plus d’attention qu’ils n’en méritent», le politologue Göran Djupsund admet aussi que les Soldats d’Odin sont le symptôme d’une société en proie au doute. Jamais, constate-t-il, le sentiment d’insécurité n’a atteint une telle «magnitude».
Selon un sondage publié mi-janvier, deux tiers des Finlandais sont inquiets pour leur avenir : 71 % d’entre eux citent l’afflux des réfugiés, dont le nombre a été multiplié par dix entre 2014 et 2015 ; 87 % mettent en cause la situation économique du pays, où le taux de chômage devrait atteindre 9,5 % en 2016, selon le ministère des Finances. Alors que le reste de l’Union européenne sort doucement de la crise, la Finlande devrait connaître une cinquième année de récession.
L’historien Henrik Meinander explique : «Nous avons des faiblesses structurelles. D’abord, une population qui vieillit très vite. Nous avons besoin de main-d’œuvre, mais celle qui arrive n’est pas forcément optimale. Nous avons aussi perdu la Russie comme marché et source d’investissements, à cause des sanctions contre Moscou et de l’incapacité de la Russie à moderniser son économie. Notre industrie électronique s’est effondrée et nous avons encore aujourd’hui beaucoup de mal à diversifier nos exportations. Notre modèle social, enfin, est difficile à moderniser, avec des groupes qui se battent pour défendre leurs intérêts.» A l’automne, le gouvernement de coalition, dirigé par le centriste Juha Sipilä, a présenté un vaste programme d’austérité, visant à dégager 10 milliards d’euros d’ici 2030. Il inclut notamment des baisses de salaires, une réduction des jours de congés, une réforme de fond des aides sociales. Pour le chef du gouvernement, c’est la seule façon d’éviter à la Finlande de se retrouver dans la même position que la Grèce - qu’ironie du sort, Helsinki a plusieurs fois menacé de ne pas aider.
«Sans réaction»
Une des conséquences des multiples coupes budgétaires est la baisse des effectifs dans les rangs des forces de l’ordre, précise Göran Djupsund : «Partout, la présence de la police a diminué et il n’est pas rare que la patrouille la plus proche se trouve à au moins 180 km, dans certaines régions du pays.» C’est une des raisons pour lesquelles les groupes d’autodéfense trouvent un certain écho au sein de la population : «Les gens ne sont pas vraiment inquiets, mais ils ne peuvent s’empêcher de se demander ce qui se passerait s’il arrivait quelque chose.»
Dans ce contexte, «la propagande anti-immigrés de l’extrême droite connaît un certain succès», constate le député social-démocrate Erkki Tuomioja. Cet ex-chef de la diplomatie finlandaise regrette aussi que «des organisations comme les Soldats d’Odin ou d’autres puissent propager leur discours haineux sans réaction ferme de la part des responsables politiques ou du gouvernement».
Paradoxalement, les populistes ne semblent pas profiter de ce climat. Le parti des Vrais Finlandais est en chute libre dans les sondages. Le chercheur Tommi Kotonen, spécialiste de l’extrême droite, constate : «Les gens sont très mécontents de la politique menée par le parti. Ils espéraient qu’ils seraient beaucoup plus actifs, une fois au gouvernement, dans le domaine économique, comme celui de l’immigration.»
Suède : Une Ratonnade à Stockholm
Entre cinquante et cent hommes masqués ou encagoulés ont passé à tabac vendredi soir à Stockholm (Suède) «des personnes d’apparence étrangère» et distribué un tract appelant à infliger aux «enfants des rues nord-africains le châtiment qu’ils méritent». La police les a mis en fuite. Cette ratonnade fait suite au meurtre d’une femme de 22 ans, Alexandra Mezher, poignardée à mort le 25 janvier par un demandeur d’asile de 15 ans dans un foyer pour mineurs non accompagnés de Mölndal, une commune de la banlieue de Göteborg. Après ce meurtre, le gouvernement social-démocrate a promis que la police renforcerait ses effectifs pour faire face aux nouvelles tâches liées à l’afflux de migrants. Entre 2014 et 2015, la Suède a accueilli 250 000 migrants, plus que tout autre pays de l’UE proportionnellement à sa population. Mais le gouvernement a abandonné en fin d’année sa politique généreuse et veut désormais réduire l’arrivée de migrants et expulser les déboutés du droit d’asile.
Anne-Françoise Hivert