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vendredi 29 juillet 2016

200 Français embauchés par l’aéroport de Genève empêchés de travailler à cause de la France


Depuis deux mois, la France refuse de livrer des renseignements sur le profil d’employés à l’aéroport. Cela concerne près de 200 personnes. L’incident est remonté au niveau ministériel.

Dans le cadre d’enquêtes administratives à Genève, les autorités françaises ne livrent plus de données sur leurs résidents travaillant en Suisse.


A une période où l’Europe est confrontée plus que jamais au terrorisme, l’échange d’informations de police entre la France et Genève connaît étonnamment un sérieux coup de frein, a appris la Tribune de Genève. Depuis deux mois, l’Hexagone ne livre plus à la police genevoise de données personnelles sur ses résidents travaillant en Suisse, dans le cadre d’enquêtes administratives portant sur des emplois sensibles à Genève. Voilà qui plonge dans l’inquiétude l’aéroport de Cointrin: près de 200 personnes recrutées récemment n’ont pas encore reçu l’autorisation de travailler. L'origine du problème reste floue.

Des signes de crispation sont apparus il y a quelques mois. Le 22 avril, lors d’une séance du Comité régional franco-genevois, le préfet de l’Ain, Laurent Touvet, communique sur la restriction du flux d’informations. Les données personnelles d’individus contenues dans le fichier Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) ne doivent plus être transmises aux autorités genevoises. Seule indication pouvant être partagée: la personne est connue ou pas des services de police et de la gendarmerie. Insuffisant, s’inquiète d’emblée le chef du Département de la sécurité et de l’économie (DSE), Pierre Maudet, d’autant que des confusions sont possibles, le TAJ recensant à la fois les auteurs d’infractions et les plaignants (lire ci-contre).

Analyse juridique à Paris

Pire, le 10 juin, lors d’une réunion ordinaire du comité du Centre de coopération policière et douanière, le chef de cabinet du préfet annonce carrément stopper la transmission d’informations, évoquant des raisons juridiques. Saisie, la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, rattachée au Ministère de l’intérieur, est chargée d’analyser la légalité du partage du contenu du TAJ, sous l’angle de l’accord de Paris signé entre la France et la Suisse en 2007. En attendant sa réponse, tout est suspendu.

Concrètement, privée des informations de la partie française, la police internationale de Genève ne peut plus effectuer pleinement ses contrôles de sécurité concernant certains personnels de l’aéroport. Sans ce préavis, Genève Aéroport peut donc difficilement délivrer la carte d’identité aéroportuaire (CIA) donnant accès à la zone de sûreté. Faute de sésame, près de 200 personnes recrutées pour une mission temporaire ou une durée indéterminée à tous les postes, de l’agent d’entretien au bagagiste, attendent de travailler. Privées de cette main-d’œuvre en haute saison, plusieurs dizaines de sociétés du site aéroportuaire craignent quant à elles de ne pas pouvoir faire face aux besoins.

«Besoin de clarification»

Comment en est-on arrivé à un tel blocage? Il faut revenir à l’épisode du mois de décembre, lorsque 35 CIA ont été retirées en bloc, pour des raisons de sécurité, à des bagagistes et agents d’accueil, privés par conséquent de leur emploi. Neuf d’entre eux ont remué ciel et terre pour en connaître les raisons précises, s’adressant même au Tribunal administratif fédéral (TAF), sans succès (notre édition d’hier). L’avocat de la majorité des recourants, Me Pierre Bayenet, réagit aujourd’hui au blocage des informations: «Cela m’étonne, mais je comprends la réaction des autorités françaises dans le sens où Genève n’a pas fait un usage adéquat des données transmises par la France. Si les choses avaient été faites correctement, si mes clients avaient pu s’expliquer, on n’en serait pas là. Aujourd’hui, il y a un vrai besoin de clarification.»

D’autres éléments sont-ils entrés en jeu? Le DSE, organe de tutelle de Genève Aéroport, lui a demandé de préciser dans un courrier adressé à des recourants la part de responsabilité des services de police français dans le retrait de leur badge. Une mention peu appréciée par les intéressés, selon nos sources. Autre épisode perturbateur: une demande de renseignements massive a été faite récemment aux Français. Dans une liste comprenant des centaines de noms de détenteurs de la CIA pour Genève Aéroport figuraient des Suisses n’ayant jamais résidé en France, mais aussi des personnalités, comme la présidente du conseil d’administration de Genève Aéroport, Corine Moinat, et… le ministre de la Sécurité lui-même, Pierre Maudet. Cette démarche opérée par la police genevoise a été considérée par certains, de part et d’autre de la frontière, comme inappropriée, car s’éloignant de l’esprit de l’accord de Paris. L’épisode est même remonté jusqu’à Berne.

Des solutions à l’étude

La France aurait-elle alors voulu stopper la machine pour se prémunir contre d’éventuelles actions en justice lancées par des employés écartés? S’agit-il d’un problème de droit ou, plus grave, de diplomatie? L’affaire franco-genevoise a en tout cas atterri sur le bureau de la cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP), qui tente de débloquer la situation. «Il y a eu des échanges entre Simonetta Sommaruga et Bernard Cazeneuve, ministre français de l’Intérieur, au sujet de la collaboration entre les autorités suisses et françaises», indique Guido Balmer, porte-parole du DFJP, sans en dire davantage. Pour les détails, il renvoie à l’Office fédéral de la police. «C’est vrai que des discussions au plus haut niveau concernent l’application de l’accord de Paris, confirme Cathy Maret, porte-parole de FedPol. De manière générale, l’échange d’informations entre la France et la Suisse fonctionne très bien mais peut être amélioré sur certains points. Des solutions pragmatiques sont en cours de développement avec nos collègues français.»

Pierre Maudet fait savoir par sa porte-parole que «la partie française étudie actuellement une nouvelle procédure», sans faire plus de commentaires. Quant à la préfecture de l’Ain, elle nous redirige vers le Ministère de l’intérieur. Occupé à gérer deux attaques terroristes survenues en moins de deux semaines, il n’a pas encore répondu à notre demande.

Un fichier français se trouve au cœur du problème

Quelle est la procédure habituelle de contrôle préalable visant les employés occupant des postes sensibles comme à l’aéroport de Genève? «A l’engagement, le candidat sélectionné par l’Aéroport ou l’une des sociétés présentes sur la plate-forme doit fournir un extrait de son casier judiciaire sur les cinq dernières années, concernant tous ses lieux de résidence, expliquait en décembre Pierre Maudet dans nos colonnes. Le document est transmis au Service des laissez-passer de l’Aéroport pour un premier examen, puis à la police internationale, qui étudie le dossier en fonction des critères du National Aviation Security Programme.» En parallèle, des demandes de renseignements sont faites aux autorités françaises, lesquelles consultent le fichier de Traitement d’antécédents judiciaires. A quoi sert le TAJ? Ce fichier commun à la police et à la gendarmerie nationales est utilisé dans le cadre d’enquêtes judiciaires et administratives, «comme les enquêtes préalables à certains emplois publics ou sensibles», indique sur son site Internet la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Les personnes concernées par les données collectées sont «les mis en cause pour certains types d’infractions, les victimes et les personnes faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction pour recherche des causes de la mort, de blessures graves ou d’une disparition». Quels types d’informations sont enregistrés pour les mis en cause? «Des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que les personnes aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission d’un crime, délit ou contraventions de cinquième classe.» Qui peut consulter le fichier? En plus des autorités françaises, «les organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire et les services de police étrangers». La CNIL relève les limites de cet outil: «Les contrôles (…) ont permis de révéler plusieurs types de dysfonctionnements: erreurs de saisie, utilisation du profil de consultation judiciaire lors des enquêtes administratives, réelles carences en matière de mise à jour du fichier, etc.»

Autre crispation

Le problème lié à l’échange d’informations entre la France et Genève rappelle une autre source de tensions (notre édition du 27 mai). Celle des poursuites transfrontalières. Les agents poursuivants ne disposent pas du droit d’interpellation sur sol étranger, selon l’accord de Paris. Dans la pratique, il arrive souvent que les poursuivants stoppent eux-mêmes l’auteur d’une infraction en fuite. Tout est question d’interprétation. Le Ministère de la justice a rappelé en octobre, dans une directive, l’application stricte de l’accord, déstabilisant ces derniers mois les acteurs locaux de la sécurité, tant du côté suisse que français. Le Ministère de l’intérieur a été saisi du dossier, comme le Département fédéral de justice et police. Au final, «l’appréhension reste possible à certaines conditions», relève aujourd’hui Jacques Antenen, coprésident du comité mixte de surveillance de l’accord de Paris. Pour cela, il faut que les personnes poursuivies aient commis un délit sur le territoire où elles sont appréhendées: mise en danger de la vie d’autrui par une conduite dangereuse, recel d’un vol suite à un braquage ou encore séquestration.


Sophie Roselli