Depuis que la Suisse a interdit l'abattage rituel, la viande halal vient de France. Et elle coûte moins cher que la non-halal. Un député s'insurge.
Petit bouc et fines lunettes, le député démocrate-chrétien Yannick Buttet, 39 ans, n'a rien d'un extrémiste. Mais sa motion, intitulée « Importation de viande halal provenant d'abattages sans étourdissement », risque, par les temps qui courent, de jeter de l'huile sur le feu. D'autant que son initiative parlementaire a été acceptée par la Commission de la science, de l'éducation et de la culture du Conseil national (Assemblée nationale).
Yannick Buttet demande au gouvernement « d'éliminer enfin les incertitudes qui existent concernant les importations de viande halal qui proviennent d'animaux qui n'ont pas été étourdis lors de l'abattage, de même que les discriminations qui existent en matière d'importation de viande halal dont sont victimes la majorité des entreprises autorisées à importer de la viande ».
Explications : en Suisse, la loi sur la protection des animaux proscrit l'abattage des mammifères sans étourdissement, et donc l'abattage rituel. Toutefois, au nom de la liberté de religion, les musulmans et les juifs peuvent importer de la viande halal et casher. Cette viande vient principalement de France. Selon le quotidien La Liberté, de Fribourg, la viande halal importée représenterait par an 350 tonnes de viande bovine et 175 tonnes de viande ovine. En ce qui concerne la viande casher, les chiffres seraient respectivement de 176 et de 20 tonnes.
La viande halal moins taxée ?!?
Afin de maintenir sous perfusion l'agriculture helvétique, qui se pratique souvent en montagne, le prix de la viande locale tourne entre 55 et 60 euros le kilo ! Pour freiner la concurrence étrangère, en particulier tricolore, les produits carnés qui passent la frontière subissent un droit d'importation de 9 à 11 euros par kilo. En revanche, les viandes halal et casher ne subissent un droit d'importation que de 2,30 euros. Soit quatre fois moins ! D'où la tentation pour les bouchers ou les restaurateurs de vendre de la viande halal, achetée à moindre coût, sans pour autant avertir le consommateur.
C'est pour lutter contre cette pratique que le député cible la viande halal. Quid du casher ? Selon le quotidien La Liberté, qui a notamment interviewé Ruedi Hadorn, le directeur de l'Union professionnelle suisse de la viande (UPSV), la viande casher importée resterait au sein de la communauté juive et ne représenterait pas une concurrence pour le circuit ordinaire.
En clair, il ne s'agirait officiellement pas d'une question de religion mais d'une simple affaire de concurrence déloyale. Seule règle actuellement : l'importateur de viande halal doit appartenir à la communauté musulmane, ainsi que le premier revendeur en Suisse. Mais il n'y a plus, ensuite, de contrôle sérieux. Dans la pratique, il est très facile de vendre de la viande halal « hors de la communauté musulmane », écrit le député Yannick Buttet, qui réclame donc l'abolition des « discriminations qui existent en matière d'importation de viande halal ». En clair, la suppression du droit de douane allégé.
1 800 kilos de saucisse de contrebande
Dans sa motion, le démocrate-chrétien ne fournit pas de cas précis de bouchers ou de restaurateurs pris la main dans le sac, qui auraient commercialisé de la viande halal auprès d'une clientèle non musulmane, sans la prévenir que le bœuf a été abattu sans avoir été étourdi. Pour l'instant, les organisations musulmanes de Suisse n'ont pas réagi à cette motion.
De son côté, la presse suisse profite de ce débat pour rappeler que si la Suisse n'est plus tout à fait un paradis fiscal, les trafiquants ne passent plus des valises de billets de banque. Il préfèrent désormais acheminer des tonnes de barbaques, souvent dans des véhicules sans réfrigération. Du côté de Bâle, ce n'est pas moins de 1 800 kilos de saucisses qui auraient été découverts dans une camionnette. Les gardes-frontières ont démantelé la semaine dernière « un réseau de contrebande et ont pincé trois hommes ayant déjà fait passer en Suisse plus de six tonnes de saucisses, charcuteries et liqueurs », raconte La Tribune de Genève. Sous l'effet du franc fort, le trafic est devenu si important que la justice ne se contente plus de saisir les cargaisons et d'imposer de lourdes amendes, elle envisage d'incarcérer les contrebandiers !
IAN HAMEL