Ils se sont enrichis en profitant de la guerre civile. Le président sud-soudanais Salva Kiir (au centre) salue Riek Machar, son vice-président devenu depuis le chef de l'opposition, le 29 avril 2016 à Juba.(Mardi 13 septembre 2016).
Les dirigeants sud-soudanais sont les uniques responsables de l'actuelle famine au Soudan du Sud, affirment les analystes. Ces derniers soulignent que si l'aide alimentaire aide à sauver des vies, seule la paix mettra fin aux souffrances de la population.
Une paix qui semble plus lointaine que jamais, la communauté internationale semblant paralysée face à ceux qui ont plongé le pays dans la catastrophe et restent insensibles aux appels à déposer les armes.
Il n'y a ni sécheresse catastrophique au Soudan du Sud ni autre facteur naturel expliquant la famine qui touche 100'000 personnes et en menace des millions. Mais bien trois ans de guerre civile, accompagnée d'abjectes exactions à grande échelle, où affamer les populations civiles fait office de tactique militaire.
«Ce n'est pas l'aide alimentaire qui peut réellement sortir les Sud-Soudanais de la famine, mais uniquement un projet politique pour mettre fin à la crise nationale au Soudan du Sud», a expliqué à l'AFP l'analyste Alan Boswell, spécialiste du pays.
Famine délibérée
Selon lui, la famine «n'est pas accidentelle, mais délibérée» et le gouvernement utilise «le blocus alimentaire comme arme de guerre».
Ce n'est pas un hasard si les zones touchées par la famine sont, selon un rapport d'enquête de l'ONU, favorables à l'opposition, peuplées principalement de Nuer - ethnie de Riek Machar, chef des forces opposées au président Salva Kiir, d'ethnie dinka - et largement contrôlées par les forces pro-Machar.
«Le faisceau de preuves laisse penser que la famine dans l'Etat (septentrional) d'Unité est le résultat du conflit prolongé et, en particulier, le tribut cumulé des opérations militaires répétées menées par le gouvernement dans le sud d'Unité depuis 2014», peut-on lire dans ce rapport de 48 pages.
L'armée sud-soudanaise et les milices qui lui sont alliées ont interdit l'accès de la région - et parfois attaqué - les employés des agences humanitaires et pillé l'aide alimentaire.
Sanctions bloquées
Ambassadrice adjointe des Etats-Unis auprès de l'ONU, Michele Sison a récemment averti le Conseil de sécurité que les obstacles dressés par le gouvernement sud-soudanais aux activités humanitaires dans les zones touchées par la famine «pourraient relever de tactiques délibérées pour affamer» les populations.
Washington, Londres et Paris ont à nouveau émis jeudi l'idée de sanctions contre des dirigeants sud-soudanais ou d'un embargo sur les armes, des mesures que l'abstention, en décembre, de huit des 15 membres du conseil avait empêché d'adopter.
Né en 2011, sur les décombres de plusieurs décennies de guerres d'indépendance, le Soudan du Sud a plongé dans la guerre civile en décembre 2013, acmé de luttes de pouvoir teintées de rivalités ethniques entre le président Kiir et son ancien vice-président Riek Machar.
Le conflit est un interminable catalogue d'effroyables atrocités contre les civils, commises par les deux camps: massacres ethniques, enrôlement d'enfants soldats, viols de masse, esclavage sexuel, meurtres, tortures, enlèvements, voire cas de cannibalisme forcé évoqués par des enquêteurs de l'Union africaine (UA).
2,5 millions de réfugiés
Quelque 2,5 millions de personnes, soit environ un tiers de la population, ont fui leur foyer et 5,5 millions survivent grâce à l'aide alimentaire.
Plus de 18 mois de négociations avaient laborieusement abouti en 2015 à un accord de paix et de partage du pouvoir, timidement mis en oeuvre sur fond de violences persistantes. Il a toutefois été définitivement enterré par la reprise des combats à Juba en juillet 2016, puis à l'intérieur du pays.
Les efforts régionaux de paix restent depuis stériles et l'ONU est incapable d'imposer un embargo sur les armes ou de faire lever les obstacles au déploiement d'une force militaire régionale.
Le secrétaire général de l'ONU António Guterres a dénoncé jeudi «le refus par les autorités (sud-soudanaises) de simplement reconnaître la crise ou d'assumer ses responsabilités pour y mettre fin».
10'000 dollars le visa
Au contraire, quelques jours après la déclaration, le 20 février, de l'état de famine au Soudan du Sud, entraînant une accélération de l'action humanitaire, Juba a multiplié par 100, jusqu'à 10'000 dollars, le prix des visas pour les travailleurs étrangers.
L'enjeu du conflit «est le contrôle d'un Etat kleptocrate, dirigé sans partage, avec des institutions otages de responsables politiques et de leurs affidés en affaires à des fins d'enrichissement personnel et de répression brutale de toute dissidence», dénonce John Prendergast, fondateur du projet Enough de prévention des conflits.
Plusieurs rapports, dont certains d'Enough, ont révélé les détournements d'argent et l'acquisition par des dirigeants et leurs acolytes des deux camps de propriétés et de biens de luxe.
«La guerre est un enfer pour les Sud-Soudanais, mais est très lucrative pour les dirigeants du pays», relève John Prendergast.
ATS