L’Université d’Aberdeen a mis en ligne l’intégralité du Bestiaire d’Aberdeen, l’un des plus beaux joyaux de la littérature médiévale. À mi-chemin entre la fiction pure et la rigueur scientifique, le bestiaire est une oeuvre singulière qui malgré ses 800 ans, continue d’éblouir les curieux de ses dorures séculaires.
Les bestiaires sont des recueils éducatifs où figurent tous les animaux existants, qu’ils soient terrestres, marins, volants… ou imaginaires. Ce genre littéraire, qui jouissait d’une extraordinaire popularité au Moyen-Âge, se définissait par son austérité : une mise en page redondante typique de l’époque et pas d’illustrations – et quand il y en avait, elles étaient au crayon et à l’encre : le premier manuel scolaire est né. Et huit siècles plus tard, ses descendants ne nous procurent pas davantage de plaisir.
« Les illustrations sont incroyablement variées, décrivant des animaux banals comme les fourmis et les éléphants, jusqu’aux animaux fantastiques, depuis le griffon jusqu’au phénix. »
Claire Voon
Le Bestiaire d’Aberdeen n’est pas un vulgaire manuel d’apprentissage, c’est un chef d’oeuvre : enluminé à la feuille d’or et parsemé de somptueuses illustrations peintes à la main, il est le bestiaire le plus complet à ce jour, même s’il n’a jamais été terminé. Initialement destiné à un vaste public, il a été dérobé par les troupes du Roi Henry VIII lors de la dissolution des monastères au XVIe siècle et jalousement gardé un siècle dans la Royal Library.
Hébergé par l’Université d’Aberdeen pendant 400 ans, il est désormais accessible en ligne dans une résolution optimale qui retranscrit le plus fidèlement possible les tons et les couleurs de l’ouvrage. Chaque image est agrémentée de transcriptions, de traductions du texte latin, et de commentaires d’experts.
La numérisation du Bestiaire d’Aberdeen a commencé dès 1996 mais avec un appareil photo fixé à une rampe : les scans n’étaient pas de grande qualité. La nouvelle mouture 2016 du site internet de l’université a permis la diffusion d’images HD. Nous pouvons désormais zoomer à loisir sans craindre la pixellisation des images : la netteté du résultat est aussi bluffante que si nous examinions nous-mêmes les pages à la loupe !
Le Bestiaire d’Aberdeen se démarque du simple manuel scientifique par les morales qu’il prodigue à ses lecteurs, à l’instar des fables d’Ésope et de La Fontaine. Il n’en demeure pas moins un genre littéraire à part entière qui prend racine dans les rumeurs : il illustre ses leçons de vie en entrelaçant fabuleux et réalisme : « Tous ces détails foisonnants auraient aidé les lecteurs à mieux comprendre le monde naturel tel qu’il était défini à l’époque du livre de la création », affirme Claire Voon, de Hyperallergic.
« Même les valeurs morales du très humble oursin de mer sont célébrées dans plusieurs paragraphes ! »
Claire Voon
Le Bestiaire d’Aberdeen peut – éventuellement – se concevoir comme un lointain ancêtre de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Bien sûr, il y a de quoi écarquiller les yeux : l’ouvrage fait la part belle aux créatures fantasmagoriques et présente ouvertement des conseils de vie… Pas énormément de ressemblance à première vue. Mais ce serait vite oublier deux détails : l’ouvrage était destiné à atteindre une large portion du public – toutes classes sociales confondues – et il a été écrit par plusieurs mains ! Scribes, peintres et dessinateurs se sont entraidés, quitte à laisser des instructions à même l’ouvrage pour les artisans qui leur succéderaient.
Désormais accessible en ligne sur le site de l’Université d’Aberdeen et dans une résolution irréprochable, le Bestiaire d’Aberdeen est un monument de la littérature médiévale qui n’attend plus que notre visite.