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samedi 6 janvier 2018

Sur l'Everst, les corps des grimpeurs décédés servent de repères aux alpinistes


Cet article contient des images susceptibles de choquer 
les personnes sensibles


La partie sommitale de l’Everest qui s’élève au delà de 8 000 mètres, la fameuse zone de mort


Si l’Everest détient le titre du plus haut sommet du monde avec ses 8 848 mètres, il est aussi connu pour être l’un des plus grands cimetières à ciel ouvert de la planète. Plus de 200 grimpeurs ont perdu la vie sur ses pentes, et la plupart d’entre eux y sont restés.

Depuis sa première ascension réalisée en 1953 par Edmund Hillary et Tensing Norgay, plus de 4 000 personnes ont atteint le sommet de l’Everest, bravant les conditions hostiles et les terrains accidentés pour quelques instants de gloire.

Certains d’entre eux, cependant, n’ont jamais quitté ses pentes.

Au delà de 8 000 mètres, on parle de « zone de mort ». À cette altitude, le volume d’oxygène est trois fois plus faible qu’au niveau de la mer, et la pression atmosphérique moins importante rend le moindre mouvement extrêmement difficile.

Ce cocktail détonnant désoriente les grimpeurs et les épuise, en mettant leurs organes vitaux à rude épreuve (détresse respiratoire et cardiaque, œdèmes cérébraux et pulmonaires). C’est d’ailleurs pour cette raison que les ascensionnistes ne restent jamais plus de 48 heures dans cette zone hostile à toute forme de vie.

La plupart des grimpeurs qui en reviennent sont marqués durablement, et les plus malchanceux sont laissés à l’endroit où ils meurent, le rapatriement de leur corps restant particulièrement compliqué à pareille altitude.

Leurs dépouilles restent sur les pentes sommitales de l’Everest, et servent de repères macabres aux autres grimpeurs en balisant les voies d’ascension les plus empruntées.

Plus connu sous le nom de « Green Boots », le corps de l’infortuné Tsewang Paljor, himalayiste indien décédé sur les pentes de la montagne en 1996, a longtemps servi de repère aux grimpeurs qui réalisaient l’ascension de l’Everest par la versant sud.

La dépouille de « Green Boots » vers 8 500 mètres


Il reposait près d’une petite grotte située à 8 500 mètres d’altitude, devant laquelle les grimpeurs passaient pour gravir l’Everest. Un repère qui leur permettait de connaître la distance qu’il leur restait à parcourir pour atteindre le sommet.

En 2006, le grimpeur David Sharp a rejoint Green Boots alors qu’il tentait d’atteindre le sommet. Souffrant d’hypothermie sévère et incapable de bouger, l’homme s’est recroquevillé dans la grotte, pour toujours.

Ce jour-là, plus de 40 grimpeurs sont passés devant Sharp et aucun n’a tenté de lui venir en aide, alors que la plupart des témoignages affirment que l’homme était encore en vie. Sa mort a déclenché un vif débat, et mis en évidence le côté individualiste et égoïste de certains grimpeurs.

Edmund Hillary et Tenzing Norgay triomphent de l’Everest en 1953


Sir Edmund Hillary, le premier homme a avoir atteint le sommet de l’Everest, a largement critiqué l’attitude des grimpeurs qui étaient passés devant Sharp ce jour-là, et l’attribua au désir insensé d’atteindre le sommet à tout prix.

Selon Hillary, « une personne en pleine possession de ses moyens a le devoir d’aider un grimpeur en détresse, et de tout mettre en œuvre pour y parvenir, et atteindre le sommet devient secondaire ».

Pour l’himalayiste néo-zélandais, la course à l’Everest s’était muée en cirque commercial où l’individualisme avait pris le pas sur les valeurs fondatrices de l’alpinisme. Souvent appelé « fièvre du sommet », ce triste phénomène s’est produit à de nombreuses reprises sur les pentes de la plus haute montagne du monde.


Le corps étonnamment bien conservé de George Mallory découvert en 1999 sur le versant nord de l’Everest


En 1999, le corps de George Mallory a été retrouvé sur le versent nord de l’Everest, 75 ans après sa mort survenue en 1924. Mallory faisait partie des pionniers qui tentèrent de gravir l’Everest, et la légende veut qu’il ait atteint le sommet avant de faire une chute mortelle.

Portrait de George Mallory en 1915


Sa dépouille était étonnamment bien conservée. Il était vêtu d’un costume de tweed et portait un équipement primitif composé de lourdes bouteilles d’oxygène au moment du drame. Une profonde entaille au niveau de la taille laissant quant à elle penser qu’il était encordé à son partenaire Sandy Irvine lorsqu’il chuta.

Lorsqu’on lui avait demandé pourquoi il souhaitait gravir cette montagne encore jamais conquise, Mallory avait répondu « parce qu’elle est là », une réplique cinglante passée à la postérité.

En 1979, la grimpeuse Hannelore Schmatz est devenue le premier citoyen allemand à décéder sur l’Everest, et aussi la première femme. Après avoir atteint le sommet et séjourné longtemps dans la zone de mort malgré les avertissements des sherpas, elle est morte d’épuisement en redescendant l’Everest par la voie sud.

Au moment du drame, elle ne se trouvait en réalité qu’à quelques centaines de mètres du camp de base, et son corps gelé en parfait état de conservation est resté visible durant plusieurs semaines, avant que les forts vents ne le balaient dans l’abîme.

En 1984, une expédition organisée par la police népalaise pour retrouver sa dépouille a entrainé la mort d’un inspecteur et d’un sherpa.

Hannelore Schmatz figée pour l’éternité sur la plus haute montagne du monde


Lorsqu’un grimpeur meurt sur l’Everest, en particulier dans la zone de mort, il est presque impossible de rapatrier son corps, à cause des conditions climatiques extrêmes, de la raideur des pentes et du manque d’oxygène. Sa dépouille est donc vouée à y rester éternellement. Un risque qui n’empêche pas des centaines de grimpeurs de se lancer à l’assaut de son sommet chaque année.

La tragédie qui coûta la vie à huit grimpeurs sur l’Everest

La nuit du 10 mai 1996 coûtera la vie à huit grimpeurs sur l’Everest. C’est cette sombre histoire que raconte le livre « Into Thin Air » du journaliste Jon Krakauer, membre de cette funeste expédition dont les écrits ont servi de base au film Everest sorti en 2015. Retour sur cet épisode tragique.

En 1996, l’himalayiste néo-zélandais Rob Hall organise une nouvelle expédition commerciale sur le Mont Everest. Hall est un grimpeur particulièrement expérimenté qui a déjà réalisé l’ascension de ce sommet cinq fois, et il ne se doute pas une seule seconde que celle-ci sera sa dernière.

Il est accompagné de Mike Groom et d’Andy Harris, deux guides particulièrement expérimentés, et l’équipe compte bien emmener ses huit clients au sommet. Parmi eux, le journaliste d’Outside Magazine Jon Krakauer qui prévoit d’écrire un long article sur l’expédition.

Dans cette quête, Adventure Consultants, la société fondée par Rob Hall, va faire équipe avec Mountain Madness, dirigée par le guide Scott Fischer, pour atteindre le sommet.

L’expédition d’Adventure Consultants prend la pose au camp de base (Rob Hall porte une casquette blanche et des habits violets)


Si les premières semaines d’acclimatation se passent bien, un terrible concours de circonstances va transformer le jour du sommet en tragédie historique : conditions climatiques terribles, surfréquentation de la voie et erreurs humaines coûteront la vie à huit grimpeurs la seule nuit du 10 mai 1996.

Lorsque l’équipe de Hall et ses clients arrivent au niveau du Balcon (8400 mètres), elle constate que les cordes fixes nécessaires à l’ascension n’ont pas été installées. Un contretemps qui oblige les grimpeurs à patienter dans une zone où le manque d’oxygène rend chaque seconde cruciale.

Rebelotte au pied du Ressaut Hillary (8790 mètres), un mur rocheux d’une dizaine de mètres qui constitue l’ultime difficulté avant d’atteindre le sommet de l’Everest. Plusieurs grimpeurs craignant de manquer d’oxygène et de dépasser l’horaire fixé pour atteindre le sommet préfèrent rebrousser chemin.

Plusieurs passages clefs de l’ascension finale de l’Everest sont équipés de cordes fixes


Si cet horaire reste encore aujourd’hui sujet à controverse, plusieurs témoignages de rescapés estiment qu’il était fixé à 14 heures, afin de permettre aux expéditions de redescendre en profitant de bonnes conditions de visibilité.

Les raisons exactes pour lesquelles Rob Hall a délibérément dépassé cet horaire restent floues, mais le journaliste Jon Krakauer estime dans son livre qu’il avait choisi d’aider Doug Hansen, l’un de ses clients dont les précédentes tentatives sur l’Everest s’étaient soldées par un échec, à atteindre le sommet coûte que coûte.

Les deux hommes atteignent le sommet vers 16 heures, soit deux heures après l’horaire maximal fixé. Complètement vidé par l’ascension, Hansen n’a plus la force d’avancer et s’écroule au niveau du Sommet Sud (8680 mètres) lors de la redescente, alors qu’une terrible tempête fait rage.

Rob Hall décide de rester à ses côtés, mais les deux hommes manquent d’oxygène, et le blizzard glacial ne cesse de s’intensifier. Andy Harris parvient à les rejoindre malgré la tempête, mais lui et Hansen disparaissent pendant la nuit, probablement touchés par le mal aïgu des montagnes.

Hall va survivre un jour de plus, mais le manque d’oxygène et les gelures l’empêchent de bouger. Plusieurs grimpeurs tentent de rallier sa position, mais sont forcés de rebrousser chemin à cause de la tempête. Son corps sera finalement retrouvé 12 jours plus tard.

Les trois hommes ne seront malheureusement pas les seules victimes de la tempête. Souffrant d’un œdème cérébral, le guide Scott Fischer s’effondre lui aussi lors de la redescente et ne peut être secouru.


Le camp IV situé sur le Col Sud (7900 mètres) surplombé par le sommet de l’Everest


Plusieurs clients d’Adventure Consultants se perdent dans la montagne à quelques centaines de mètres du camp du Col Sud (7904 mètres) à cause de l’épais blizzard, et au prix d’un effort surhumain, le guide Anatoli Boukreev parvient à rapatrier la plupart d’entre eux jusqu’aux tentes.

Deux membres de l’expédition sont laissés pour morts dans la tempête, l’un d’entre eux est un texan du nom de Beck Weathers. Souffrant d’une forte hypothermie et de graves gelures, ce dernier reprend miraculeusement conscience et parvient à rallier le camp du Col Sud au matin.

Des grimpeurs l’aident à redescendre jusqu’au camp inférieur afin qu’il y reçoive les premiers soins. Il est finalement héliporté à l’hôpital le plus proche, mais il perd un bras, plusieurs orteils, ainsi qu’une grande partie de sa main et la quasi-totalité de son nez à cause de ses graves gelures.

Cette triste journée marquera à jamais l’histoire de l’Everest, et mettra en lumière les risques engendrés par la surfréquentation de ses voies et la multiplication des expéditions commerciales avec des clients peu expérimentés.

Egger Ph.