N'en déplaise à Donald Trump, la stigmatisation de la violence des jeux ne peut pas servir à éviter tout débat sur le contrôles des armes
C'est une vieille rengaine, à la logique plus que contestable. Les tueries dans des lycées américains, dont la dernière à Parkland en Floride a fait 17 morts, ne s'expliquent pas par la libre circulation des armes à feu aux Etats-Unis, mais par... la violence des jeux vidéo.
Le président américain Donald Trump a lui aussi appuyé cette thèse farfelue, jeudi 8 mars, lors d'une rencontre avec les professionnels du secteur, détournant au passage le débat sur le contrôle des armes.
"Le niveau de violence dans les jeux vidéo modifie les pensées des plus jeunes", avait déjà asséné Donald Trump sur CNN, à la fin février, après la tuerie de Parkland.
Ce jeudi, la Maison-Blanche a ainsi proposé un montage vidéo afin d'illustrer la violence des jeux vidéo, mettant en scène une succession de mini-séquences où l'hémoglobine gicle, tirées de jeux comme "Call of Duty", "Wolfenstein" ou "Fallout". "Ces scènes de jeu vidéo ont été trouvées sur YouTube, elles contiennent de la violence extrême, du gore intense et des conduites criminelles. Leur contenu n'est pas adapté aux enfants", insiste la Maison Blanche.
"Non, le jeu vidéo ne rend pas violent"
Effectivement, ces jeux vidéo ne sont pas adaptés aux plus jeunes. Et d'ailleurs, tous portent une mention explicite "mature" ("adulte") aux Etats-Unis et "18" en Europe, référence dès la pochette à la norme Pegi qui indique que ces titres contiennent de la violence crue.
Quant à la question de la vente libre de ces jeux, les parents semblent avoir pris leurs dispositions, puisque 84% des parents français se disent désormais "attentifs à la pratique de leurs enfants", voire même 71% jouent avec eux, selon les dernières données du Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisir (Sell).
Aussi, à destination de Donald Trump et de la Maison-Blanche, il convient d'insister : non, non, et non, jouer à ces jeux vidéo violents ne crée pas des tueurs de masse. La psychologue clinicienne, spécialisée dans les jeux vidéo, Vanessa Lalo, l'a déjà expliqué dans nos pages :
"Le jeu vidéo ne rend pas un joueur ou un enfant violent. S'il y a violence, c'est parce qu'elle existe déjà sous une forme psychotique, comme chez les personnes à tendance schizophrénique ou paranoïaque. La pathologie est préexistante."
"Très tôt, un enfant fait très bien la distinction entre le virtuel et la réalité, entre le jeu et la réalité", poursuit-elle. "Et c'est seulement s'il y a une pathologie qu'une personne peut être amenée à être violente. Le jeu vidéo ne crée pas de pathologie."
"Un défouloir qui aide à extérioriser ses pulsions"
Pour la psychologue, "le jeu est un défouloir qui aide à extérioriser ses pulsions. La violence dans les jeux n'est pas là pour rien". Et le psychanalyste Michael Stora de confirmer : le jeu vidéo est un "excellent exutoire". Il note qu'"aux Etats-Unis, dans les dix ans qui ont suivi la sortie de 'Doom' et d'autres jeux en 3D hyperréalistes, le nombre de meurtres perpétrés par des mineurs a baissé de 77%".
Sans tirer de liens de cause à effets entre ces deux données, on peut avancer qu'"il n'y a aucune relation de causalité entre un fait divers et l'utilisation des jeux vidéo. Jouer avec la violence, c'est tout autre chose qu'être violent", renchérit le psychanalyste Yann Leroux.
"Le jeu vidéo est une auberge espagnole. Certains s'en servent comme des espaces où se défouler - cela peut être fait en tuant des hordes de zombies mais aussi en jouant au solitaire - d'autres s'en servent comme des espaces où rêver..."
En revanche, le jeu vidéo peut effectivement rendre agressif, du moins ponctuellement. Vanessa Lalo précise : "L'adrénaline peut être à l'origine d'un comportement agressif. C'est l'instinct primaire. On s'énerve devant son écran parce qu'on a perdu. Mais au bout de 15 minutes, l'adrénaline se dissipe. C'est le retour à la normal. Le jeu vidéo devient alors un remède au stress."
Les gens préfèrent les jeux de courses
Dernière mise au point : les clichés sur les joueurs ont largement vécu. Adieu l'ado pré-pubère qui ne joue qu'à des jeux ultra-violents. Désormais, 68% des personnes jouent, selon les dernières données du Sell.
Mieux, le joueur "moyen" a 34 ans et préfère les jeux de course automobile ou de plateforme (type Mario) aux jeux d'action ou de tirs. Si bien que les jeux les plus vendus (en volume comme en valeur) sont ceux sans aucune violence et indiqué comme "tout public", devant ceux interdit aux moins de 18 ans. Enfin, il ne faut plus croire que "seule la violence fait vendre", puisque les jeux pour adultes sont les moins développés par les éditeurs.
En espérant que Donald Trump abandonne cette vieille rengaine de "violence dans les jeux [qui] crée des montres", clamée par l'intéressé dès 2012.
Enfin, ce que la présidence américaine semble toutefois avoir négligé c'est que son montage d'images sanglantes a été publié sur YouTube (en privé, mais aisément accessible depuis les réseaux sociaux) et qu'elle ne contient aucune limite d'âge pour être visionnée.
Boris Manenti