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mercredi 20 février 2019

Alfred Escher, le «roi de Suisse», naissait il y a 200 ans


Alfred Escher (1819-1882) est considéré comme l’une des grandes figures de l'innovation et de l'économie de marché en Suisse. Aujourd'hui, on le qualifie également d’oligarque: il a usé sans mesure de son pouvoir politique pour ses propres intérêts économiques.



L’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) a décerné, pour la première fois cette année, le Prix Alfred Escher à des projets technologiques innovants. Alfred Escher, né le 20 février 1819, était un entrepreneur visionnaire et un homme politique influent. A l’occasion du 200e anniversaire de sa naissance, l’EPFZ l’a portraituré de manière moderne. L’homme tient un smartphone et porte un casque audio autour du cou. Ses cheveux sont plus courts. Seule la barbe du 19e siècle convient encore à un hipster du 21e siècle. Les lauréats de ce prix ont droit à une visite guidée de la Silicon Valley ou d'une autre «Mecque de fondateurs».

Alfred Escher est l’un des leaders économiques de la Suisse du 19e siècle, le Steve Jobs des chemins de fer, de l'éducation et du secteur bancaire. Il incarnait l'innovation et est l’un des pionniers de l’économie de marché. Ce n'est pas un hasard si sa mémoire est à nouveau honorée dès les années 1990, période de libéralisation économique. Pourtant, ses contemporains le considéraient déjà comme un «aristocrate, sans poudre ni perruque», antidémocratique. Il usait sans mesure de son pouvoir politique pour des projets économiques, tel un oligarque corrompu.

Entrepreneur et homme politique  

Son père, Heinrisch Escher, a fait fortune en Amérique du Nord grâce à la spéculation immobilière, aux opérations de négoce et à la pratique de l’esclavage dans ses plantations, comme l'ont récemment démontré les historiens. Ne faisant pas confiance aux écoles publiques, il fait appel à des précepteurs pour l’éducation de son fils.

La mère d'Alfred, Lydia Zollikofer von Altenklingen, est la fille d'un commerçant de Suisse orientale qui entretient de nombreuses relations avec la noblesse helvétique. Elle a adopté un mode de vie courtois dans la Villa Belvoir, au bord du lac de Zurich. Selon le premier biographe d'Alfred Escher, Ernst Cagliardi, la famille avait suffisamment confiance en soi «pour pouvoir agir et prendre des décisions sans tenir compte des autres».

Lithographie de J.C. Werdmüller, d’après une aquarelle de Clementine Stockar-Escher, sœur d’Alfred Escher, 1849.
(wikimedia.com)


Alfred Escher a tiré profit de cette nature autoritaire tout au long de sa vie. A 20 ans, il est déjà un éminent défenseur politique de l'université contre les forces conservatrices qui reprennent le pouvoir à Zurich, en 1839, après une période de réforme et de démocratisation. Il s’engage dans le camp radical-libéral, prédécesseur du Parti libéral-radical actuel. En 1844, à l'âge de 25 ans, il est élu au Parlement zurichois. Quatre ans plus tard, il rejoint le gouvernement du même canton ainsi que le Parlement suisse, en tant que conseiller national.

Toutes les questions politiques l’intéressent. Dans le domaine de l’éducation, il réforme les lycées du canton de Zurich, introduit des cours d'allemand et de français et met l'accent sur les sciences naturelles. Il contribue à la fondation de l'EPFZ, qui permet à la cité de Zwingli de compenser la désignation de Berne comme «ville fédérale» quelques années plus tôt.

Chemins de fer et banque: la connexion avec l'Europe 

L’Etat fédéral moderne naît en 1848. Pour la première fois, la Suisse dispose d’une Constitution fédérale démocratique qui s’applique à l’ensemble des cantons, ainsi que d’une monnaie unique. Elle constitue un espace économique unifié, mais celui-ci connaît des difficultés. Jusqu'en 1847, cantons catholiques et protestants sont en guerre. Les mauvaises récoltes engendrent la famine et l’industrialisation demeure limitée.

Autre problème: le retard important des chemins de fer helvétiques par rapport au reste du Vieux Continent. Selon Alfred Escher, le risque est grand pour la Suisse d’être complètement isolée et de renvoyer «l’image désolante d'un îlot au cœur de l’Europe». Alors que d'autres pays européens possèdent déjà des réseaux ferroviaires importants de plusieurs milliers de kilomètres, la Suisse dispose, en 1848, d’une voie de seulement 23 kilomètres reliant Zurich à Baden.

Entre modernité et passé: August Schöll, «Die Eisenbahn als Bauernschreck» 
(«Le chemin de fer ou la crainte des paysans»), 1858.
(wikimedia.com)


Dès 1852, la Confédération confie la construction des chemins de fer aux cantons et au «secteur privé», sous l’impulsion du conseiller national Alfred Escher. Portant la double casquette de politicien et d'entrepreneur, il défend le progrès au Parlement zurichois et accorde de nombreux permis de construire pour des projets de construction, en particulier les siens. Dix ans après l'ouverture de la première ligne de chemin de fer suisse, le réseau s'étend déjà sur plus de mille kilomètres. Alfred Escher fonde la Compagnie des chemins de fer du Nord-Est: une première avancée décisive pour le réseau, repris en 1900 par les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF).

Ces réseaux ferroviaires ont besoin de fer et de vapeur, mais également de capitaux pour ne pas dépendre des prêts étrangers. Alfred Escher fonde ainsi la Schweizerische Kreditanstalt (SKA), connue aujourd’hui sous le nom de Credit Suisse. Une fois encore, il a droit à une autorisation en un temps record, grâce à son influence au Parlement. La SKA permet de combler le vide dans l’offre bancaire – entre les établissements privés, gérant des actifs importants mais n'octroyant pas de prêts, et les banques cantonales, qui pouvaient accorder de fonds aux petites entreprises mais pas aux grands complexes industriels. Lesquels nécessitaient, pourtant, des machines toujours plus chères. Les projets d'Alfred Escher permettent à la Suisse de rivaliser avec le monde dans le jeu des capitaux.


La banque Credit Suisse sur la Paradeplatz (Photographe inconnu / Provenance: Zurich en 500 images. Un livre sur la ville, conçu et écrit par Franz A. Roedelberger. Coopérative éditoriale zurichoise. Zurich, 1944. ​​​​​​​
(creditsuisse archive)



Collusion problématique  

Ce dynamisme, admiré jusqu'à ce jour, ainsi que cette capacité à s’imposer ne sont possibles que grâce à une collusion problématique et antidémocratique entre politique et affaires: des documents montrent qu'Alfred Escher agissait tantôt comme patron d'entreprise, tantôt comme représentant de l'Etat. Il signait lui-même les permis.

Ce pouvoir suscite des critiques. Le «système Escher» est accusé de tous les maux. Ironiquement, c'est une institution ayant œuvré à l'avènement de l’Etat fédéral démocratique avant 1848 qui, plus tard, doit fédérer l'élite libérale helvétique autour des projets d'Alfred Escher: l’«Akademische Mittwochgesellschaft». Cette société rassemble des frères d’armes et des camarades politiques d’Alfred Escher, le «tsar de Zurich». Même après sa démission du gouvernement zurichois, celui-ci élit ses membres d’après les propositions de l’entrepreneur.

Alfred Escher connaîtra une fin tragique. Il perd un enfant, sa femme et sa mère en peu de temps, dans les années 1860: il ne lui reste que sa fille Lydia. Le mouvement démocrate réduit l’influence de l’industriel à Zurich. Pour son dernier grand projet, le tunnel du Saint-Gothard, Alfred Escher a droit à plus de critiques que de reconnaissance au niveau national. Atteint de furoncles et d’asthme notamment, le «roi de Suisse» s’éteint dans sa propriété de Belvoir le 6 décembre 1882.

David Eugster