En Suisse, les écoliers prennent de grandes décisions sur leur avenir professionnel à un très jeune âge. Est-ce le bon moment ou est-ce trop tôt? Les avis sont partagés.
En Suisse, les adolescents quittent l’école vers 15 ou 16 ans, mais ils ont intérêt à commencer à planifier leur carrière au moins deux ans avant. La décision finale arrive à 14 ans, et cela peut être un processus difficile.
Près de 20% des élèves vont choisir la voie du baccalauréat, qui ouvre la porte aux études supérieures. Deux tiers au moins vont opter pour un apprentissage, dans une palette de plus de 250 métiers, qu’ils apprendront selon le système dual propre à la Suisse qui combine emploi rémunéré en entreprise et cours en école professionnelle.
Les expatriés russes en Suisse affirment qu’ils ont pris l’habitude de changer de profession avec l’instabilité économique. Ils ont donc tendance à préférer pour leurs enfants la flexibilité dans le choix de carrière.
Aux États-Unis et au Royaume-Uni, on accorde plus d’importance au fait d’aller à l’université et de faire son choix de carrière ensuite, expliquent les parents de ces pays. L’apprentissage a moins la cote, peut-être parce qu’il est moins connu là-bas.
Certains Suisses trouvent aussi qu’il est prématuré de prendre une telle décision à cet âge. Nidwald, petit canton de Suisse centrale, a récemment proposé que certains élèves du primaire commencent l’école un an plus tard (actuellement, les enfants entrent en primaire à 6 ans). Selon les autorités du canton, en sortant de l’école un an plus tard, les enfants pourraient «prendre une décision pour leur avenir en étant plus mûrs».
Toujours un défi
Jürg Schweri, professeur à l’Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP), rappelle que le choix d’une carrière est toujours un défi, que l’on ait 15 ou 25 ans. «Les recherches montrent que les jeunes ont une idée de ce qui se passe sur le marché du travail, mais qu’ils ressentent aussi beaucoup d’incertitudes sur ce qu’ils doivent faire».
De plus, un jeune de 14 ou 15 ans est également en quête d’identité, ce qui rend les choix plus difficiles.
En fin de compte, note Jürg Schweri, il y a deux options, chacune supposant ses propres compromis. Les élèves peuvent rester à l’école et ainsi différer leur choix de carrière, mais ils n’auront pas l’expérience d’une vie indépendante. Ou alors, ils peuvent prendre les décisions cruciales tôt et découvrir l’indépendance tout en gardant l’option de changer de cap plus tard, ce qui est possible dans le système suisse.
«Les apprentis ‘grandissent’ plus vite que ceux qui restent à l’école, parce qu’ils font des expériences et vivent des interactions, ce qui les aide à se décider sur leur carrière future», déclare Jürg Schweri.
La pression des parents
«Bien souvent, les parents ont une idée très précise de ce que leurs enfants devraient faire», constate Daniel Reumiller, chef des Centres d’orientation professionnelle du canton de Berne.
Ils peuvent mettre la pression sur leurs enfants pour qu’ils suivent des filières menant au baccalauréat. A Zurich vient de se tenir l’examen d’entrée pour l’école qui délivre un bac sur cycle long, qui démarre à 12 ans. Dans certains quartiers, spécialement ceux où vivent de nombreux cadres et expatriés, la moitié des élèves tenterait cet examen, réputé très sélectif, selon un parent.
Le nombre d’enfants fréquentant ce type d’écoles a augmenté en Suisse dans les deux dernières décennies, passant de 86'000 environ en 2000/01 à presque 110'000 en 2017/19.
«Nous essayons, particulièrement à l’âge de 14 ou 15 ans, d’ouvrir l’esprit des enfants en leur montrant qu’il y a un choix de plus de 250 professions, et pas seulement ce que leurs parents, leurs camarades ou même leur grands frères et sœurs leur ont dit», explique Daniel Reumiller. Normalement, les parents sont aussi invités aux séances, afin que les conseillers puissent voir le contexte familial et assurer une bonne communication.
Il remarque également que les stéréotypes de genre sont souvent un problème, car de nombreux jeunes ne veulent pas se démarquer en choisissant un métier «de fille» pour les garçons, ou l’inverse.
Système perméable
Daniel Reumiller conclut qu’en général, le choix d’une carrière lorsqu’on est jeune fonctionne grâce au système éducatif unique que connaît la Suisse.
«C’est tôt, mais je ne pense pas que ce soit trop tôt. Si vous interrogez les jeunes quand ils ont fini leur formation, la majorité dira que leur décision était la bonne».
Le conseiller en orientation souligne que ceux qui ont du mal à se décider peuvent bénéficier de «passerelles», comme une année d’école supplémentaire ou une année à l’étranger pour apprendre une langue, par exemple.
Sans oublier que le certificat de fin d’apprentissage est bien coté sur le marché du travail, comme le rappelle Jürg Schweri.
Dans l’ensemble, le système suisse de formation est perméable. Il offre aux jeunes la possibilité de passer de l’apprentissage à l’université s’ils décident de reprendre des études. Jürg Schweri souligne que la crainte de choisir une carrière trop tôt peut souvent s’expliquer par la crainte de choisir un apprentissage alors que l’on veut aller à l’université plus tard.
En revanche, il est un peu plus difficile de sauter sur une voie parallèle, note Daniel Reumiller, soit de passer d’un apprentissage à un autre. Selon lui, la perméabilité horizontale entre les professions «pourrait être augmentée» en Suisse. Mais il espère qu’elle s’améliorera à l’avenir grâce aux réformes en cours.
Les Suisses quittent tôt l’école
En général, les élèves suisses finissent l’école obligatoire plus tôt que ceux des autres pays. Selon les indicateurs de l’OCDE, l’âge officiel est à 15 ans, alors qu’il est à 16 ans en Allemagne et au Royaume-Uni par exemple. En Belgique, il est même à 18 ans. Par contre, en Grèce, en Slovénie et en Corée, l’école obligatoire se termine à 14 ans.
La proposition de Nidwald
Dans le canton de Nidwald, les enfants doivent avoir eu six ans avant le 30 juin pour commencer l’école primaire à la rentrée suivante. En début d’année, le canton a annoncé qu’il voulait avancer la date à février. En pratique, cela signifie qu’un tiers environ des enfants commenceraient l’école une année plus tard qu’aujourd’hui, et par conséquent la finiraient aussi une année plus tard.
Le canton a argumenté qu’un nombre croissant de jeunes gens arrivés au terme de leur scolarité obligatoire n’étaient «pas assez mûrs pour prendre une décision sur la poursuite de leur formation et le début d’un apprentissage».
Si elle est acceptée, la proposition entrera en vigueur en 2020 au plus tôt.
La Fédération des enseignants alémaniques est opposée à l’idée, parce qu’elle va à l’encontre des efforts faits pour harmoniser les systèmes scolaires des 26 cantons suisses.
Isobel Leybold-Johnson