Encore nus comme des vers, les bébés visons couinent, blottis les uns contre les autres sous la paille. Bientôt une vision du passé en Norvège, où les jours des élevages d'animaux à fourrure sont comptés.
Applaudi par les défenseurs des animaux et conspué par les fermiers, le gouvernement norvégien compte faire passer avant l'été un projet de loi visant à interdire tout nouvel élevage d'animaux à fourrure et à démanteler les installations existantes d'ici au 1er février 2025.
Activité très lucrative
Un coup de massue pour quelque 200 éleveurs. «Ca représente environ 70% de mes revenus», souligne Kristian Aasen, en inspectant ses 6.000 visons sur les hauteurs de Brumunddal dans le sud-est du pays. «Pas moyen de vivre de ma ferme sans la fourrure», se désole ce fermier de 39 ans, qui s'est aventuré dans ce domaine en 2011 en complément de son élevage d'une vingtaine de vaches, comme d'autres éleveurs pour lesquels les visons représentent une activité d'appoint très lucrative.
Autour de lui, des dizaines de cages en fer où des femelles visons s'agitent, soucieuses pour leur progéniture venue au monde fin avril-début mai. Pour l'heure, les nouveau-nés ressemblent à de grosses larves qui piaillent. Début novembre, ils revêtiront le pelage d'hiver, marron, noir ou gris, qui fait leur beauté et... leur malheur, les condamnant à être gazés et dépouillés.
Avec l'interdiction qu'elle entend voter, la Norvège, qui représente 1% de la production mondiale de peaux de visons et de renards, rejoint une liste grandissante de pays, comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas. «C'est une grande victoire pour le bien-être animal. On prend conscience que le respect des animaux peut peser davantage que l'argent et les intérêts économiques», se félicite Siri Martinsen, cheffe de l'organisation Noah qui milite en ce sens depuis près de 30 ans. «C'est complètement contre nature de garder ces animaux dans de toutes petites cages en métal», ajoute-t-elle.
«Manoeuvres politiques»
L'Association norvégienne des éleveurs d'animaux à fourrure a quant à elle dénoncé un texte «injustifié, illégal et antidémocratique». «C'est une activité rentable et non subventionnée qui maintient des territoires reculés économiquement à flot depuis un siècle», fait valoir sa porte-parole Guri Wormdahl.
Pas question cependant pour Oslo de revenir sur sa décision. «L'élevage d'animaux à fourrure en Norvège, c'est fini», assène Morten Ørsal Johansen, lui-même... opposé à la loi dont il est le rapporteur.
Dans le fatras de son bureau au Parlement, l'élu de la droite populiste explique avoir accepté ce rôle pour s'assurer que cette mesure désormais inévitable soit mise en oeuvre de la façon la plus indolore possible pour les éleveurs. L'interdiction est née dans la douleur d'un compromis entre le gouvernement de droite et le parti libéral, qui en avait fait une de ses exigences pour rejoindre la coalition début 2018.
Pour les éleveurs, la potion est d'autant plus amère qu'un an plus tôt, le Parlement avait donné son feu vert au «développement durable» du secteur. «Des manoeuvres politiques scandaleuses», dénonce l'éleveur Kristian Aasen. «Incroyable qu'un parti microscopique qui fait aujourd'hui 2% dans les sondages puisse imposer ses vues à des politiciens sans échine!». «On va continuer à importer des fourrures, on peut continuer à les vendre mais on ne peut plus les produire soi-même?», peste-t-il.
Après le vison, le cannabis?
La bataille pour le droit d'exister étant perdue, commence celle des compensations. Le gouvernement a prévu de consacrer 500 millions de couronnes (51 millions d'euros) à l'accompagnement du démantèlement des élevages, dont 100 millions (environ 10 millions d'euros) pour la reconversion.
Nettement insuffisant pour l'Association des éleveurs qui avance le chiffre de 2,3 milliards (235 millions d'euros)... «Cinq cent millions de couronnes, ça peut sembler beaucoup mais il ne s'agit pas d'indemniser la simple perte d'un emploi. Là, c'est tout le gagne-pain des fermiers qui disparaît», affirme Guri Wormdahl, la porte-parole de l'Association des éleveurs d'animaux à fourrure.
Et puis, se reconvertir dans quoi? «Les possibilités sont rares: il y a déjà aujourd'hui une surproduction de viande. On produit trop de mouton, de porc, de poulet, de lait...», souligne Mme Wormdahl. «Je ne vais pas, d'un coup de baguette magique, agrandir de 40 hectares ma ferme pour commencer à faire autre chose», renchérit Kristian Aasen, qui craint d'en ressortir criblé de dettes.
L'idée lancée par une élue libérale de remplacer l'élevage d'animaux à fourrure par la culture de cannabis thérapeutique a en tout cas laissé les fermiers de marbre.
AFP