Les grillades au gaz sont-elles vraiment plus saines que celles au charbon? Pas vraiment, pour peu qu’on manie le gril comme il se doit. Ce serait plutôt de la consommation excessive de viande rouge ou transformée qu’il faudrait se méfier
Tout comme les moustiques, les sandales et les chemisettes – quoique moins irritants – les barbecues reviennent chaque été. Et, avec eux, d’interminables palabres entre maîtres-queux autoproclamés. Au charbon de bois ou au gaz? Insipide, le débat a eu le mérite de me faire plonger dans la littérature scientifique afin de savoir laquelle de ces deux options était la moins nocive pour la santé. Sans surprise, des scientifiques ont déjà étudié la question à de multiples reprises: une simple recherche sur Google Scholar renvoie à des milliers de résultats.
Deux types de molécules font parler d’elles dans ces documents: celles de la famille des amines hétérocycliques aromatiques (AHA) et celles des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Les premières se créent sur la viande ou le poisson, en particulier durant des cuissons à haute température. Elles sont génotoxiques chez l’animal et possiblement chez l’homme. Quant aux HAP, il s’agit de gaz qui s’échappent lorsque des gouttes de gras tombent sur le feu et imprègnent ainsi la viande.
Plus d’une centaine d’HAP ont été identifiés, le benzopyrène étant la molécule la plus dangereuse documentée à ce jour. Cet agent mutagène, connu pour sa présence à la sortie des pots d’échappement de moteurs diesel ou dans la fumée de cigarette (en bien plus grande quantité que dans la nourriture), est classifié cancérigène pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer, l’Union européenne ou encore l’Agence américaine de protection de l’environnement.
Un barbecue pour la science
Les grillades au charbon seraient-elles plus riches en benzopyrène que celles au gaz? Une étude du Centre pour l’évaluation de la sécurité alimentaire à Séoul, parue en 2011 dans la revue Food Chemistry, s’est intéressée à sa teneur dans de la viande de bœuf ou de porc selon le mode de cuisson: grillée ou rôtie au charbon de bois (c’est-à-dire en plaçant la viande au-dessus ou à côté des braises, respectivement), ou bien sur un barbecue à gaz.
Commençant leur barbecue avec du faux-filet de bœuf, les scientifiques coréens ont détecté 0,15 microgramme de benzopyrène par kilo de viande (μg/kg) après une grillade au charbon, contre 0,01 μg/kg après rôtissage au charbon et 0,003 μg/kg sur le gaz. N’écoutant que leur appétit, les scientifiques sont passés au plat de résistance: de l’épaule de porc. La viande titrait alors 2,90 μg/kg de benzopyrène après avoir été grillée, contre 0,02 μg/kg avec les deux autres modes de cuisson.
Sans surprise, ils concluent que le fait de griller de la viande directement au-dessus des braises génère significativement plus de benzopyrène et d’autres HAP qu’en la plaçant à côté de la source de chaleur, ou qu’en utilisant un barbecue à gaz. Ces appareils impliquent de placer la viande au-dessus des flammes, mais celles-ci sont généralement recouvertes d’une plaque métallique qui empêche la nourriture ou les graisses de brûler.
Modération
La présence d’HAP n’est pas forcément dangereuse, rappelle Elisabetta Rapiti, épidémiologiste au Registre genevois des tumeurs: «Le lien entre cancer et exposition au benzopyrène (ou autres HAP) générés à partir de la viande cuite a été démontré chez l’animal, mais avec des expositions bien plus importantes que celles habituellement rencontrées chez l’homme.» Sans compter que l’exposition aux HAP s’explique surtout par la pollution atmosphérique, plus que par les barbecues.
Pour l’heure, «en l’absence d’études épidémiologiques chez l’homme, on ne peut pas donner de recommandations scientifiques sur les seuils à ne pas dépasser», ajoute Elisabetta Rapiti. Il faut s’en remettre au bon sens: utiliser une lèchefrite qui recueille les gouttes de gras, ne pas piquer la viande ou encore la rôtir, plutôt que la griller au charbon.
Pour le gril, il reste aussi les légumes, qui ne libèrent pratiquement pas d’HAP ou d’AHA. Car au-delà du risque relatif à ces molécules pèse celui lié à la viande elle-même. « Il ne faut pas être trop drastique avec les grillades, qui ne modifient pas fondamentalement le risque de maladies liées à la consommation excessive de viande rouge ou transformée, telles que le cancer colorectal, les maladies cardiovasculaires ou l’obésité», conclut Elisabetta Rapiti. Au charbon ou au gaz, tout est bon avec modération.
Fabien Goubet