« Lyôba, lyô-ô-ba… ».
Scandées au bon moment,
ces quelques syllabes fédéreront
comme un seul homme les « vrais Suisses »
présents dans la salle
Qui n’a jamais entendu ce refrain, cette formule magique qui met en émoi tout un peuple, laissant couler une larme aux anciens, faisant vibrer les cordes vocales des plus jeunes ?ces quelques syllabes fédéreront
comme un seul homme les « vrais Suisses »
présents dans la salle
Egger Ph.
Que l’on soit un expatrié des terres fribourgeoises, un fervent défenseur des traditions, ou encore un simple curieux, ce chant a fait naître des émotions qui ne sont pour l’heure pas encore descriptibles. Le ranz des vaches fera certainement encore parler de lui.
La légende fait naître le mythe
Au café ou sous le chapiteau d’une fête, il n’en faudra pas plus pour que l’on se mette à faire tinter verres et cuillères, reprenant le refrain selon lequel « lè chenayirè van lè premirè » … Comprenez ici que, dans un cortège de vaches, « les sonnaillères (celles qui portent une cloche) vont les premières », et que cela coule de source. Même beuglé, le ranz des vaches reste en effet le chant le plus populaire des Helvètes.
Hymne de bergers dont l’existence est attestée dès le XVIe siècle, il avait sans doute pour vocation initiale d’annoncer l’heure de la traite, le retour à l’étable ou le départ à l’alpage dans bon nombre de régions rurales.
Repris dans les grandes fêtes populaires, il est associé à la Fête des Vignerons de Vevey dès 1819,
et s’impose bientôt comme le clou de la fête. Le vibrant patriotisme qu’il suscite lui ouvre ainsi les
portes du patrimoine suisse, subtilisé qu’il fut aux bergers pour devenir un chant citoyen placé au rang des mythes fondateurs de la Confédération. Il inspira aussi de nombreux compositeurs pressés d’évoquer l’univers pastoral, comme Beethoven, Liszt ou Wagner…
Et l’on doit même à Rousseau d’avoir propagé l’idée selon laquelle il aurait le pouvoir de faire déserter les soldats suisses à l’étranger, les frappant de « delirium melancholicum… » C’est dire toute la magie qu’il exerce sur nos concitoyens !
Aucune origine n’est connue pour le ranz des vaches, cependant une légende rapporte que de nombreux jeunes gens désertaient les rangs de la garde suisse des rois de France, à l’écoute de cette chanson. Cette légende rapporte le vague à l’âme des soldats gruériens embauchés par la garde suisse des rois de France, désertant, fuyant, si bien que cette chanson, si l’on en croit la légende, fut tout simplement interdite sous peine de mort, des champs de bataille.
La Gruyère est une terre de légende aussi, on rapporte que l’origine du ranz des vaches serait dû à un jeune armailli prénommé François. Un jour, ce dernier eu le plaisir de rencontrer trois jeunes géants amenant avec eux trois jattes. Il fut proposé à notre armailli François de choisir l’une d’entre elles.
Dans la première jatte, le géant indiqua à l’armailli qu’elle contenait un liquide pouvant donner à notre armailli toute la force et la puissance qu’il désirait. Le second géant proposa quant à lui une jatte remplie d’or et d’argent qui ferait de François l’homme le plus riche de la Gruyère et certainement au-delà. Pour le troisième géant, la jatte qu’il apporta contenait un simple chant, mais ce chant lui ferait gagner le coeur et l’âme de tous les habitants de la haute et basse Gruyère, ainsi qu’au-delà du pays. Devant ce choix cornélien, François l’armailli se rappela que son coeur battait pour une jeune et belle gruérienne, il décida de ce fait de s’emparer de la troisième jatte, celle-là même qui contenait ce fabuleux chant. Il pu grâce à lui conquérir le coeur de sa belle et faire naître un chant qui embaumera toute une région, le ranz des vaches ainsi que toute l’émotion qu’il transmet était donc né.
Ce chant est bien entendu encore fredonné, d’ailleurs il n’est pas rare que lorsqu’un chanteur amateur lance les premières brises de l’appel à la traite, le ranz des vaches devient un déclencheur qui embarque toute l’assemblée présente dans ses refrains et son air enjoués. Il est fréquemment chanté par le choeur des Armaillis de la Gruyère anciennement sous la baguette de Michel Corpataux qui remis le flambeau en 2016 à Nicolas Fragnière de Vuadens. Lors de la fête des Vignerons à Vevey, cet air est chanté, propulsant une foule de spectateurs à l’extase musicale reprenant en choeur le refrain, souvenons-nous de l’incroyable prestation de Monsieur Bernard Romanens, lors de la fête des Vignerons en 1977, qui encore aux détours de discussions émeut les personnes présentes ou ayant eu la chance de l’entendre en direct, j’ai eu souvent vent que l’interprétation de Bernard Romanens est et restera celle qui déclencha le plus d’émotions. Bien entendu beaucoup de choeur-mixtes reprennent régulièrement ce chant lors de leur concert annuel, ajoutant à leur programme varié un peu de traditions vocales, les larmes des anciens et l’oeil brillant des plus jeunes est le résultat d’une équation musicale magique. Ce chant issu du folklore gruérien dont les paroles du refrain reviennent en force lorsque Fribourg Gottéron gagne le match, montre à quel point le peuple est rattaché à ses traditions.
Le texte patois
Couplets
Lè j’armayi di Kolonbètè
Dè bon matin chè chon lèvâ.
Kan chon vinyê i Bachè j’Ivouè
Tsankro lo mè! n’an pu pachâ.
Tyè fan no ché mon pouro Piéro ?
No no chin pâ mô l’inrinbyâ.
Tè fô alâ fiêr a la pouârta,
A la pouârta dè l’inkourâ.
Tyè voli vo ke li dyécho ?
A nouthron brâvo l’inkourâ.
I fô ke dyéchè ouna mècha
Po ke no l’y pouéchan pachâ
L’y è j’elâ fiêr a la pouârta
È l’a de dinche a l’inkourâ :
I fô ke vo dyécho ouna mècha
Po ke no l’y puéchan pachâ.
L’inkourâ li fâ la rèponcha :
Pouro frârè che te vou pachâ,
Tè fô mè bayi ouna motèta
Ma ne tè fô pâ l’èhyorâ.
Invouyi no vouthra chèrvinta
No li farin on bon pri grâ.
Ma chèrvinta l’è tru galéja
Vo porâ bin la vo vouêrdâ.
N’ôchi pâ pouêre, nouthron prithre,
No n’in chin pâ tan afamâ.
Dè tru molâ vouthra chèrvinta
Fudrè èpè no konfèchâ.
Dè prindre le bin dè l’èlyije
No ne cherin pâ pèrdenâ.
Rètouârna t’in mou pouro Piéro
Deri por vo on’Avé Maria.
Prou bin, prou pri i vo chouèto
Ma vinyi mè chovin trovâ.
Piéro rèvin i Bâchè j’Ivouè
È to le trin l’a pu pachâ.
L’y an mè le kiô a la tsoudêre
Ke n’avan pâ la mityi aryâ.
Refrain
1-3-5-7-9-11-13-15-17-19
Lyôba, lyôba, por aryâ (bis).
Vinyidè totè, byantsè, nêre,
Rodzè, mothêlè, dzouvenè ôtrè,
Dèjo chti tsâno, yô vo j’âryo,
Dèjo chti trinbyo, yô i trintso,
Lyôba, lyôba, por aryâ (bis).
2-4-6-8-10-12-14-16-18
Lyôba, lyôba, por aryâ (bis).
Lè chenayirè van lè premirè,
Lè totè nêrè van lè dêrêrè
Lyôba, lyôba, por aryâ (bis)
La traduction française
Couplets
Les armaillis des Colombettes
De bon matin se sont levés.
Quand ils sont arrivés aux Basses-Eaux
Le chancre me ronge! Ils n'ont pu passer.
Pauvre Pierre, que faisons-nous ici ?
Nous ne sommes pas mal embourbés
Il te faut aller frapper à la porte,
A la porte du curé.
Que voulez-vous que je lui dise
A notre brave curé.
Il faut qu'il dise une messe
Pour que nous puissions passer
Il est allé frapper à la porte
Et il a dit ceci au curé :
Il faut que vous disiez une messe
Pour que nous puissions passer
Le curé lui fit sa réponse :
Pauvre frère, si tu veux passer
Il te faut me donner un petit fromage
Mais sans écrémer le lait.
Envoyez-nous votre servante
Nous lui ferons un bon fromage gras.
Ma servante est trop jolie
Vous pourriez bien la garder
N'ayez pas peur, notre curé
Nous n'en sommes pas si affamés
De trop “moler” votre servante
Il faudra bien nous confesser
De prendre le bien de l'Eglise
Nous ne serions pas pardonnés
Retourne-t-en, mon pauvre Pierre
Je dirai pour vous un Ave Maria.
Beaucoup de biens et de fromages Je vous souhaite
Mais venez souvent me trouver.
Pierre revient aux Basses-Eaux
Et tout le train a pu passer
Ils ont mis le kio (Présure) à la chaudière
Avant d’avoir à moitié trait
Refrain
1-3-5-7-9-11-13-15-17-19
Lyôba (bis) pour traire.
Venez toutes, les blanches, les noires,
Les rouges, les étoilées sur la tête les jeunes, les autres,
Sous ce chêne où je vous trais,
Sous ce tremble où je fabrique le fromage,
Lyôba,(bis), pour la traite.
2-4-6-8-10-12-14-16-18
Lyôba (bis) pour traire.
Les sonnaillères vont les premières,
Les toutes noires vont les dernières.
Lyôba (bis), pour la traite.
En 1999 nous avons eu la chance de l’entendre « enfin » au complet. C’est dans les arènes veveysannes de la fête des Vignerons que le ranz des vaches fut interprété dans son ensemble, c’est à dire avec les 19 couplets !
La date de naissance du ranz des vaches est impossible à déterminer, puisqu’il appartenait originelle-ment à la pure tradition orale. Les dates avancées ne sont que spéculations plus ou moins heureuses et prêtent souvent à controverse. Concernant les premiers témoignages écrits, on peut en tout cas remonter au XVIe siècle. Le Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), dans l’article qu’il consacre au ranz, affirme : « Le ranz des vaches est attesté comme air instrumental en 1545, puis surtout comme mélodie (« Har Chueli », « ho Lobe ») chantée sur les pâturages pour faire rentrer les vaches (parfois appelées Lobe en Suisse alémanique) en file à l’étable et pour les calmer durant la traite ».
Bermard Romanens tient toujours de la légende. Son nom est imprimé de manière presque indélébile sur la mythologie du Ranz des vaches. Et le succès d’un Patrick Menoud, lors de la Fête des vignerons de 1999, n’a pas effacé l’empreinte de l’armailli de Marsens. Sa brutale disparition, au matin du 30 janvier 1984, à la fleur de l’âge, n’est pas étrangère à la pérennité de cette légende.
Ce lundi matin, la nouvelle se propage avec une folle rapidité. Bernard Romanens est découvert sans vie dans la chambre qu’il louait à la laiterie de Villarimboud, où il avait trouvé du travail pour l’hiver. Crise d’épilepsie, affection cardiaque? Certitude: la disparition de cet homme de 37 ans suscita une émotion à travers tout le pays. Une émotion qui prit la forme d’hommage dans tous les journaux romands. Hommage à une authenticité, à la simplicité d’«un chanteur qui ne s’est jamais laissé corrompre par le succès».
Un caractère sacré
Bernard Romanens n’aura pourtant survécu que sept ans à la fête. Avec le temps, demeure l’impression que cet homme, dont tout le monde loue la modestie et la vérité, a été emporté par «l’ouragan de la gloire», pour reprendre l’expression de Michel Gremaud, qui signait sa nécrologie dans ce journal. Plus tard, dans ces mêmes colonnes, Jean Steinauer écrira que Romanens est «mort de n’avoir pas compris les enjeux de pouvoir d’un chant d’armailli».
Il est une évidence que tous les textes écrits sur le soliste de 1977 confirment: Bernard Romanens est véritablement identifié à ce chant de la montagne. Et cette identification a pris dès la Fête des vignerons, et plus encore après son décès, des teintes sacrées. Michel Gremaud le résumait ainsi: «Bernard Romanens, sans forfanterie, incarnait le pays. Identifié non à une chanson, mais à un rite, il était devenu le maître de l’incantation, le prêtre. Pas d’autre explication à la ferveur quasi religieuse qui entoure le personnage.»
Dans l’ouvrage paru quelques années après sa disparition aux Editions Mon village, dans la collection «Visages et coutumes de ce pays», plusieurs plumes insistent sur la charge rituelle dont fut investi le soliste Romanens. Car la Fête des vignerons n’a rien d’une manifestation folklorique, elle tient d’abord d’une cérémonie. Guy Métraux, dans son livre sur le Ranz des vaches, confirme: «Ne nous y trompons pas, la mise en scène du jeu et du chant du Ranz des vaches est une mythologie aussi forte et ancienne que celle de Guillaume Tell et du Rütli, une cristallisation mystique, sacrée, agissante, qui secoue même les incroyants.»
D’autres que Bernard Romanens ont été portés par la force de cette mythologie alpestre. Le notaire bullois Placide Currat, soliste des fêtes de 1889 et 1905, a probablement battu tous les records fribourgeois de la notoriété. Invité à chanter à Paris et Londres en un temps où l’étranger commençait à Fribourg. Robert Colliard, soliste de 1927, fut aussi aspiré par cette célébration, comme l’est depuis 1999 Patrick Menoud qui surfe toujours sur la vague de la célébration veveysanne.
D’abord un armailli
Mais l’adhésion du public à la figure de Bernard Romanens était d’un autre ordre. Car le chanteur de Marsens représentait l’armailli dans son idéal. Aucune distance entre l’image et le calque: Romanens était d’abord un paysan. Il avait consenti à donner son visage à une mélodie, qui symbolise depuis le Romantisme toute une tradition pastorale. Aussi, lorsque le chanteur est invité par Jean Balissat et la Landwehr à voyager aux Etats-Unis (en 1976) et en Chine (en 1980), c’est d’abord l’armailli qui répond à l’appel.
Balissat ne s’y trompe pas lorsqu’il évoque «la densité du personnage qui le mettait à l’abri de tout folklorisme de commande». Tandis qu’Henri Gremaud complète l’analyse: «En un temps très court, il avait rempli sa mission, qui était d’offrir son être pour que vive une chanson où s’enclôt l’âme d’un pays». Depuis, livres, disques et cartes postales se mêlent aux souvenirs pour perpétuer la légende de Bernard Romanens, devenu bien malgré lui un lieu de mémoire, que la force d’un chant a érigé en emblème régional.
José Romanens, Lyoba de frère en frère
La célébrité de son frère, José Romanens ne l’a pas vraiment perçue à l’époque: «Bernard non plus d’ailleurs, c’était quelqu’un de modeste qui n’a jamais attrapé la grosse tête.»
Il y a de l’émotion dans l’air dans ce carnotset de jardin, véritable musée à la gloire de son aîné, où tout rappelle ce petit armailli descendu un jour de son alpage pour entrer dans la lumière d’une fête. Son interprétation du fameux Ranz des vaches à la Fête des vignerons 1977 a flanqué pour l’éternité la chair de poule à des dizaines de milliers de spectateurs. Une voix mâle et douce à la fois, un coffre, de la puissance… avec ses «lyoba» lancés vers le ciel, on n’était plus dans le simple folklore mais dans le rite, l’incantation, un cri venu des tripes pour exalter l’attachement à sa terre. Ce qui explique certainement que Bernard Romanens, décédé en janvier 1984, est resté une figure légendaire du canton de Fribourg, au même titre qu’un Jo Siffert ou un Jean Tinguely. Sa mort prématurée à l’âge de 37 ans a encore figé le mythe.
On trouve une des plus anciennes versions notée datant de 1710, et bien non ce n’est pas dans un recueil de chants que l’on retrouve cette version, mais dans un ouvrage médical ! Il s’agit de Théodore Zwinger, qui mis cette partition dans son ouvrage médical en raison des effets engendrés par ce chant sur la mélancolie, Théodore Zwinger parle en fait d’une thèse de Johannes Hofer, en 1688, qui cite le ranz des vaches comme si je peux me le permettre un puissant anti-dépresseur.
Que raconte le ranz des vaches
Lyôba, lyôba, que caches-tu donc dans tes paroles ? Ce chant nous raconte la vie à l’alpage, la désalpe. C’est aux Colombettes que l’histoire se passe. Le chant est composé en trois parties distinctes, on y retrouve :
- L’appel des vaches, d’où le lyôba répété
- L’énumération du type de bétail (Les blanches, les noires, etc..)
- Un chant composé en vers racontant l’histoire
Lyôba vient du patois gruérien, sa racine vient du cri de l’armailli pour l’appel à la traite. Dans le dictionnaire Patois Français, édité par la Société cantonale des patoisans fribourgeois, on retrouve à la page 408 un verbe et un nom. La finesse du patois réside quelques fois sur un seul accent :
- alyôbâ est un verbe qui signifie appeler le bétail, le dictionnaire précise l’emploi de ayôbâ
- alyôba quant à lui est un nom masculin qui a comme signification le cris de l’armailli, le dictionnaire recommande l’emploi de ayôba
Remarquez qu’un seul accent différencie le cri de l’armailli du verbe effectuant cette action.
La version complète du ranz des vaches, reproduite ci-dessus en patois gruérien, comporte 19 couplets et 2 refrains différents, chantés en alternance. Cette version chantée a éclipsé toutes les autres (celles pour cor des Alpes notamment), ainsi que les va-riantes de la mélodie ou du texte attestées dans di-verses régions de Suisse.
Un rituel consacré…
A l’origine, écrit Guy S. Métraux, « l’essence du ranz des vaches semble avoir été l’appel d’un instrument (cor des Alpes) ou les vocalises du berger, signifiant au troupeau qu’il était l’heure de la traite, le moment du départ pour l’alpage, ou encore le temps de retourner à l’étable » (« Le ranz des vaches: du chant de bergers à l’hymne patriotique », Lausanne 1998). Cette pratique est attestée de longue date dans l’Em-mental, l’Oberhasli, l’Entlebuch et le Simmental, mais aussi en Appenzell, dans le Jorat, au Pays-d’Enhaut et aux Ormonts. Au fil du XIXe siècle, la mélodie fit son entrée – et se folklorisa quelque peu – dans les grandes fêtes populaires, dont la première fut celle des bergers d’Unspunnen (1805, 1808). Le ranz des vaches y fut joué au cor des Alpes, instrument que cette fête a réhabilité.
Mais dans le cœur des Romands, des Fribourgeois en particulier, c’est surtout à la Fête des Vignerons que le ranz des vaches est lié. Il apparaît pour la première fois à son programme en 1819, sous une forme chantée en chœur. Ce chant figure ensuite dans toutes les éditions de la fête, mais on n’en confie l’exécution à un soliste qu’à partir de 1889. L’accompagnement au cor des Alpes est quant à lui encore plus tardif. Avec le temps, le ranz des vaches est de-venu l’épine dorsale de la fête, y gagnant « un caractère de rituel empreint d’une ferveur quasi religieuse qui repose sur le sentiment de la nature et sur le rappel de la petite patrie alpestre » (Guy S. Métraux, 1998) ; et son interprète a obtenu un statut de véritable vedette. L’émotion qu’il provoque au sein du pu-blic est bien palpable : lors de la Fête des Vignerons de 1999, les 16’000 spectateurs de chaque représentation pouvaient se lever pour chanter le refrain avec les chœurs. A l’heure actuelle, on entend le ranz des vaches à de nombreuses occasions. Il figure au pro-gramme de bon nombre de manifestations commémoratives, de fêtes (particulièrement celles ayant trait à l’économie alpestre, comme les désalpes ou la poya) et d’anniversaires partout dans le canton de Fribourg.
La version du ranz la plus couramment chantée en français est celle harmonisée à 2-3 ou à 4 voix par l’abbé Joseph Bovet. Un enregistrement commercial a été fait en 1928 par le Groupe choral, avec Robert Colliard en soliste, sous la direction de Bovet lui-même. Bovet insère lui aussi le ranz dans des spectacles à contenu patriotique, à commencer par le festival « Mon Pays » (1934). L’intégration du ranz des vaches au patrimoine helvétique va contribuer à ce que l’on pourrait appeler sa muséalisation. Désormais, la mélodie, les paroles et le nombre des couplets seront fixés dans le but de minimiser au maximum les altérations. Et comme le note Guy S. Métraux, « ce ne sera plus un simple chant de travail de bergers, ou une belle évocation de la nature, mais bien un chant national appartenant à tous ».
La mélodie, caractérisée par les premières notes ascendantes et ensuite par les intervalles du refrain « Lyôba… », inspira de nombreux compositeurs, désireux d’introduire dans leur oeuvre une touche pastorale. Après le « Guillaume Tell » d’André Ernest Modeste Grétry (1791) et celui de Friedrich Schiller (1804), le ranz des vaches entra dans certaines compositions de Beethoven, Berlioz, Schumann, Mendelssohn, Rossini, Liszt, Wagner et d’autres. Des versions modernes et revisitées ont été produites par différents musiciens, parmi lesquelles on doit citer celle du pianiste de jazz Thierry Lang, un Fribourgeois.
… au pouvoir d’évocation inédit
La date de naissance du ranz des vaches est impossible à déterminer, puisqu’il appartenait originelle-ment à la pure tradition orale. Les dates avancées ne sont que spéculations plus ou moins heureuses et prêtent souvent à controverse. Concernant les premiers témoignages écrits, on peut en tout cas remonter au XVIe siècle. Le Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), dans l’article qu’il consacre au ranz, affirme : « Le ranz des vaches est attesté comme air instrumental en 1545, puis surtout comme mélodie (« Har Chueli », « ho Lobe ») chantée sur les pâturages pour faire rentrer les vaches (parfois appelées Lobe en Suisse alémanique) en file à l’étable et pour les calmer durant la traite ».
Et le DHS de citer la fameuse thèse en médecine de Johannes Hofer, « De Nostalgia vulgo - Heimwehe oder Heimsehnsucht » (1688), consacrée au mal du pays. L’auteur y rapporte « qu’en entendant le ranz des vaches les Suisses au service étranger étaient frappés de « delirium melancholicum » et poussés à la désertion : par conséquent, le soldat qui le jouait ou le chantait était passible de la peine de mort. En 1710, Theodor Zwinger fit rééditer la thèse sous le titre « De Pothopatridalgia », augmentée des textes
« Cantilena Helvetica » et « Kühe-Reyen ». En réa-lité, aucun ordre d’interdiction n’a jamais été trouvé dans les archives, mais le mythe était fort et il eut du succès.
Selon Guy S. Métraux, « c’est à Jean-Jacques Rousseau que nous devons la vogue du ranz des vaches parmi les âmes sensibles du Siècle des Lumières ainsi que l’immense popularité dont il a joui auprès du public un peu partout au XIXe siècle ». Jean-Jacques introduisit en effet une transcription, accompagnée d’une description, du ranz dans son Dictionnaire de musique (1767), en reprenant la thèse de Hofer concernant le mal du pays. « C’est à partir de ce texte, conclut Guy S. Métraux, qu’il faut dater la diffusion quasi universelle de la légende des « pouvoirs » du ranz des vaches sur les soldats suisses, qu’aucun document historique ne vient étayer ».
La version gruérienne du ranz des vaches paraît en 1813 dans la première livraison du Conservateur suisse ou Recueil complet des étrennes helvétiennes; elle comporte la musique et les paroles en patois et en français et un commentaire de Philippe-Sirice Bridel (1757-1845). Elle est publiée en 1813 égale-ment, mais quelques mois plus tôt et avec d’autres versions, par Georges Tarenne.
Au cours du XIXe siècle, la naissance de l’Etat fédéral suisse et la fixation des mythes qui l’accompagnent parachève le succès du ranz des vaches et le trans-forme en une sorte d’hymne national. C’est à partir de cette époque en effet que le milieu montagnard est vu comme le berceau de la patrie suisse. Le ranz des vaches s’est dès lors introduit dans les grandes fêtes nationales et populaires.
Un succès planétaire… et dangereux
Porté par la Fête des Vignerons, le soliste du ranz des vaches a connu d’emblée un succès internatio-nal. Placide Currat (1889, 1905) se produisit à Londres devant la reine Victoria, et des dizaines de cartes postales à son effigie furent éditées. Robert Colliard (1927) eut les honneurs de la Scala de Milan avant de conquérir lui aussi, grâce à l’arme vocale, une place en vue dans la politique. Et Bernard Romanens (1977) alla chanter le ranz jusqu’en Chine. Avec ce dernier cependant – le premier authentique armailli de la série – les choses changent. On décide de privilégier désormais l’authenticité, en recrutant comme soliste un paysan éleveur, mais ce choix dévoile vite une surprenante vérité : la gloire du ranz est dangereuse… Appelé partout et en toutes sortes d’occasions pour interpréter le chant fétiche, propulsé à l’avant-scène où qu’il passe, le soliste de la Fête des Vignerons a tout intérêt à disposer d’une solide assise et d’une grande aisance sociales pour affronter sa soudaine célébrité. Currat, Colliard l’ont bien vécue : ils étaient déjà notables avant de chanter dans l’arène. Leurs successeurs, fauchés en plein vol ou vite retombés dans l’anonymat, n’ont pas eu autant de bonheur... Si le ranz possède vraiment quelque « pouvoir » mystérieux, c’est plutôt de ce côté-là qu’il faut le chercher.
Malgré leur renommée et les nombreuses sollicitations, aucun des interprètes du ranz à Vevey n’a professionnalisé son activité de chanteur jusqu’à maintenant, même si le ranz des vaches figure au répertoire de chanteurs professionnels ou semi-professionnels fribourgeois et trône en bonne place dans la culture de masse.
En 2010, à l'occasion de l’inauguration d’un centre commercial (Coop Villars-sur-Glâne), un rassemblement de près de 2’000 personnes chantant le ranz des vaches a par exemple été organisé en vue d’inscrire cette prestation au Livre Guinness des records, et des personnalités politiques y ont même joint leur voix. Cet événement, largement relayé par les médias, est une illustration de la vitalité d’une tradition qui, de manière organisée ou tout-à-fait spontanée, peut s’exprimer dans des contextes fort divers en Suisse, mais aussi transmettre à l’étranger une image forte du pays.
Bernard Romanens, la légende d’un soliste vrai
En 2010, à l'occasion de l’inauguration d’un centre commercial (Coop Villars-sur-Glâne), un rassemblement de près de 2’000 personnes chantant le ranz des vaches a par exemple été organisé en vue d’inscrire cette prestation au Livre Guinness des records, et des personnalités politiques y ont même joint leur voix. Cet événement, largement relayé par les médias, est une illustration de la vitalité d’une tradition qui, de manière organisée ou tout-à-fait spontanée, peut s’exprimer dans des contextes fort divers en Suisse, mais aussi transmettre à l’étranger une image forte du pays.
Bernard Romanens, la légende d’un soliste vrai
Le 30 janvier 1984 disparaissait Bernard Romanens. Le chanteur du «Ranz des vaches» de la Fête des vignerons de 1977 était fauché en pleine gloire, à l’âge de 37 ans. Ce personnage a inscrit son nom dans la mythologie du «Ranz»
Bermard Romanens tient toujours de la légende. Son nom est imprimé de manière presque indélébile sur la mythologie du Ranz des vaches. Et le succès d’un Patrick Menoud, lors de la Fête des vignerons de 1999, n’a pas effacé l’empreinte de l’armailli de Marsens. Sa brutale disparition, au matin du 30 janvier 1984, à la fleur de l’âge, n’est pas étrangère à la pérennité de cette légende.
Ce lundi matin, la nouvelle se propage avec une folle rapidité. Bernard Romanens est découvert sans vie dans la chambre qu’il louait à la laiterie de Villarimboud, où il avait trouvé du travail pour l’hiver. Crise d’épilepsie, affection cardiaque? Certitude: la disparition de cet homme de 37 ans suscita une émotion à travers tout le pays. Une émotion qui prit la forme d’hommage dans tous les journaux romands. Hommage à une authenticité, à la simplicité d’«un chanteur qui ne s’est jamais laissé corrompre par le succès».
Un caractère sacré
Bernard Romanens n’aura pourtant survécu que sept ans à la fête. Avec le temps, demeure l’impression que cet homme, dont tout le monde loue la modestie et la vérité, a été emporté par «l’ouragan de la gloire», pour reprendre l’expression de Michel Gremaud, qui signait sa nécrologie dans ce journal. Plus tard, dans ces mêmes colonnes, Jean Steinauer écrira que Romanens est «mort de n’avoir pas compris les enjeux de pouvoir d’un chant d’armailli».
Il est une évidence que tous les textes écrits sur le soliste de 1977 confirment: Bernard Romanens est véritablement identifié à ce chant de la montagne. Et cette identification a pris dès la Fête des vignerons, et plus encore après son décès, des teintes sacrées. Michel Gremaud le résumait ainsi: «Bernard Romanens, sans forfanterie, incarnait le pays. Identifié non à une chanson, mais à un rite, il était devenu le maître de l’incantation, le prêtre. Pas d’autre explication à la ferveur quasi religieuse qui entoure le personnage.»
Dans l’ouvrage paru quelques années après sa disparition aux Editions Mon village, dans la collection «Visages et coutumes de ce pays», plusieurs plumes insistent sur la charge rituelle dont fut investi le soliste Romanens. Car la Fête des vignerons n’a rien d’une manifestation folklorique, elle tient d’abord d’une cérémonie. Guy Métraux, dans son livre sur le Ranz des vaches, confirme: «Ne nous y trompons pas, la mise en scène du jeu et du chant du Ranz des vaches est une mythologie aussi forte et ancienne que celle de Guillaume Tell et du Rütli, une cristallisation mystique, sacrée, agissante, qui secoue même les incroyants.»
D’autres que Bernard Romanens ont été portés par la force de cette mythologie alpestre. Le notaire bullois Placide Currat, soliste des fêtes de 1889 et 1905, a probablement battu tous les records fribourgeois de la notoriété. Invité à chanter à Paris et Londres en un temps où l’étranger commençait à Fribourg. Robert Colliard, soliste de 1927, fut aussi aspiré par cette célébration, comme l’est depuis 1999 Patrick Menoud qui surfe toujours sur la vague de la célébration veveysanne.
D’abord un armailli
Mais l’adhésion du public à la figure de Bernard Romanens était d’un autre ordre. Car le chanteur de Marsens représentait l’armailli dans son idéal. Aucune distance entre l’image et le calque: Romanens était d’abord un paysan. Il avait consenti à donner son visage à une mélodie, qui symbolise depuis le Romantisme toute une tradition pastorale. Aussi, lorsque le chanteur est invité par Jean Balissat et la Landwehr à voyager aux Etats-Unis (en 1976) et en Chine (en 1980), c’est d’abord l’armailli qui répond à l’appel.
Balissat ne s’y trompe pas lorsqu’il évoque «la densité du personnage qui le mettait à l’abri de tout folklorisme de commande». Tandis qu’Henri Gremaud complète l’analyse: «En un temps très court, il avait rempli sa mission, qui était d’offrir son être pour que vive une chanson où s’enclôt l’âme d’un pays». Depuis, livres, disques et cartes postales se mêlent aux souvenirs pour perpétuer la légende de Bernard Romanens, devenu bien malgré lui un lieu de mémoire, que la force d’un chant a érigé en emblème régional.
José Romanens, Lyoba de frère en frère
La célébrité de son frère, José Romanens ne l’a pas vraiment perçue à l’époque: «Bernard non plus d’ailleurs, c’était quelqu’un de modeste qui n’a jamais attrapé la grosse tête.»
Il y a de l’émotion dans l’air dans ce carnotset de jardin, véritable musée à la gloire de son aîné, où tout rappelle ce petit armailli descendu un jour de son alpage pour entrer dans la lumière d’une fête. Son interprétation du fameux Ranz des vaches à la Fête des vignerons 1977 a flanqué pour l’éternité la chair de poule à des dizaines de milliers de spectateurs. Une voix mâle et douce à la fois, un coffre, de la puissance… avec ses «lyoba» lancés vers le ciel, on n’était plus dans le simple folklore mais dans le rite, l’incantation, un cri venu des tripes pour exalter l’attachement à sa terre. Ce qui explique certainement que Bernard Romanens, décédé en janvier 1984, est resté une figure légendaire du canton de Fribourg, au même titre qu’un Jo Siffert ou un Jean Tinguely. Sa mort prématurée à l’âge de 37 ans a encore figé le mythe.
Alors, oui, il y a de l’émotion à l’idée que José, 58 ans, l’avant-dernier d’une fratrie de six frères, a été choisi avec dix autres ténors pour interpréter, quarante-deux ans plus tard, ce fameux chant populaire à la prochaine Fête des vignerons. Ainsi en a décidé le conseil artistique de la Fête. Pas de soliste vedette lors des futures 19 représentations du 18 juillet au 11 août 2019, mais une sacrée pression tout de même sur les épaules de ce responsable de la voirie de Marsens. Il dit ne pas réaliser encore tout à fait ce qui lui arrive. «Je n’osais pas ouvrir la lettre du conseil après les sélections, c’est ma femme qui l’a ouverte et m’a annoncé la bonne nouvelle.»
A côté de la villa de José, la maison familiale où il a grandi avec Bernard et ses frères. «On chantait tout le temps à la maison. Bernard nous donnait souvent des conseils, surtout le 1er mai quand nous partions chez les gens chanter de vieux chants que notre maman nous avait appris.»
José a déjà participé comme choriste à la Fête de 1999 avec le chœur des Armaillis de l’Echo. Il chante à ce jour dans le Chœur de Candy et n’a bénéficié, assure-t-il, d’aucun favoritisme en raison de son nom. «La première sélection était anonyme et à l’aveugle. J’avais le numéro 13, ça m’a porté chance. Avant de chanter, j’ai demandé à Bernard de me donner un petit coup de main. Je suis sûr qu’il m’a aidé!»
Ils étaient 90 à postuler. Le Chupya pantè (sobriquet des habitants de Marsens) avait bien évidemment été sollicité par des copains de se présenter. Dans ce bout de canton fribourgeois où le ténor est le roi, en tout cas de la mélodie, José peut se targuer d’un joli timbre de voix et d’une solide expérience musicale. Mais attention, pas question de faire du copié-collé fraternel. «Ma voix est différente de celle de Bernard. D’ailleurs on n’a pas le même timbre. Notre point commun, qu’on partage avec mes frères (deux chantent dans le chœur des Armaillis), c’est qu’on fusionne bien.»
Fusionner, c’est important. Surtout avec ce choix artistique de privilégier un groupe plutôt qu’un soliste. La vedette principale, ce sera le Ranz des vaches dont la version 2019 devrait se rapprocher de celle de l’abbé Bovet. Un chant si emblématique que même Jean-Jacques Rousseau l’avait inscrit dans son Dictionnaire de musique. «[...] cet air [était] si chéri des Suisses, qu’il fut défendu, sous peine de mort, de le jouer dans leurs troupes, parce qu’il faisait fondre en larmes, déserter ou mourir ceux qui l’entendaient tant il excitait en eux l’ardent désir de revoir leur pays», écrivait-il.
Une gloire vorace
Jean Steinauer, qui fut journaliste au journal La Gruyère et fin connaisseur des mœurs de son canton, avait écrit que Bernard Romanens était «mort de n’avoir pas compris les enjeux de pouvoir d’un chant d’armaillis». Il persiste aujourd’hui à penser que l’homme a été dépassé par l’ampleur de son succès.
«C’est vrai qu’il était très demandé, il avait toujours peur de contrarier quelqu’un, il n’aimait pas dire non», confie son frère. La photo de Bernard Romanens avec barbe et bredzon a fait le tour du monde: sur des tasses, des cartes postales. «Il y avait même des plaques de beurre avec son portrait», précise José en montrant au mur du carnotzet les peintures de l’armailli offertes par ses admirateurs.
Il entonnait son fameux chant au mariage d’un copain, à l’église, dans les homes pour personnes âgées, à l’hôpital ou dans des soirées privées pour PDG qui préféraient offrir à leurs épouses un Ranz des vaches plutôt qu’un rang de perles. A chaque fois, le petit armailli y mettait son cœur et ses tripes. «Il n’osait pas demander de l’argent, une des rares fois où il l’a fait, on l’a critiqué et il en a souffert.»
Bernard Romanens aura chanté 40 fois avec le célèbre ensemble La Landwehr «sans qu’il y ait jamais aucune routine dans son interprétation», notait Jean Balissat, son directeur et compositeur de la Fête de 1977. Le Gruérien a même chanté en Chine, apprenant un couplet du Vieux chalet en mandarin. L’armailli chanteur ne mettait qu’un bémol à son engagement: qu’il ne lèse pas ses bêtes. Quand on lui propose d’aller chanter aux USA, il aura ces mots: «Faudra voir, je ne peux pas laisser mon troupeau comme ça.»
Dans le livre hommage Adieu à... Bernard Romanens paru après sa mort, un de ses amis raconte cette anecdote: à la mort d’un chanteur célèbre, Romanens lui avait confié: «C’est beau la gloire, mais me permettra-t-elle de vivre longtemps et heureux?»
Le petit fromager s’est éteint soudainement le 30 janvier 1984 dans la chambre de la laiterie de Villarimboud où il travaillait l’hiver à la fabrication de ce gruyère d’alpage si savoureux. Les circonstances exactes de son décès resteront un mystère. On l’a retrouvé inanimé sur son lit, le porte-monnaie ouvert à ses côtés. Il avait l’habitude, lit-on encore dans l’ouvrage, d’y ranger ses pilules contre l’épilepsie, un mal dont il souffrait depuis son enfance. «Je me rappelle que ma mère était toujours inquiète quand il partait à l’étranger. Elle connaissait sa fragilité», avoue son cadet, avec pudeur, précisant qu’on ne parlait pas tant de ces choses-là à l’époque.
Romanens s’en est allé en laissant sa compagne, une serveuse rencontrée au col de Jaman, enceinte de quelques mois. Marie-Hélène, leur fille, n’a jamais connu ce célèbre papa que par les récits qu’on lui en a faits. «Nous avons toujours gardé contact, poursuit José. Elle est venue m’écouter chanter le Ranz des vaches à Bâle en 2010.» En 1999, la jeune fille, qui vit dans les Grisons, apprenait le français à Montreux. «Elle était présente à la Fête des vignerons, c’était émouvant, elle a pu se rendre compte combien le souvenir de son papa était encore vivant.» Il espère bien que sa nièce sera présente à la prochaine et se réjouit en tout cas de commencer les répétitions à la fin de l’année sous la direction de Nicolas Fragnière. Et puis, le 18 juillet 2019, l’émotion était à son comble, quand il a pénétrer dans cette arène de 20 000 places. «Ce jour-là, encore une fois, il a demandé à Bernard de lui donner un coup de main depuis le ciel!»
Egger Ph.