Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

vendredi 13 décembre 2019

Découvrir l’Helvétie antique par la BD


Alix et ses compagnons vont passer les Alpes et déboucher à Octodurus (Martigny) (Casterman)


Pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas, Alix est un jeune Gaulois, devenu quelque peu «collabo» des Romains, et qui est le protégé de Jules César. Il est toujours accompagné par Enak, un éphèbe d’origine égyptienne aux cheveux de jais et aux traits efféminés, avec lequel il entretient des relations un peu ambiguës. Si bien que, dans le volume Ô Alexandrie, les auteurs ont jugé bon de faire partager par Alix et la belle Cléopâtre, toute aussi nue, un même bain…

Plus sérieusement, cette série de BD – créée par Jacques Martin (1921-2010) et poursuivie par ses successeurs – est remarquable par la qualité de ses textes et de ses dessins, notamment ses reconstitutions historiques de villes antiques. Sa lecture est d’ailleurs prônée même dans les départements de l’Antiquité des Facultés des Lettres!

Le dernier volume, qui vient de paraître, nous mène donc en Helvétie, à une date non exactement définie, mais qui se situe en tout cas entre l’écrasement des Helvètes par César à la bataille de Bibracte, en 58, et l’assassinat de ce dernier en 44 av. J.-C. Ce n’est donc pas encore la période de la riche Helvétie gallo-romaine, avec ses cités, ses villas aux superbes mosaïques, son système de routes et la romanisation croissante du mode de vie de ses habitants. Par exemple, la Colonia Julia Equestris (Nyon) ne sera fondée qu’en l’an 15 ap. J.-C., Aventicum (Avenches) n’acquerra pleinement son importance qu’en l’an 69. L’Helvétie que parcourt Alix est donc encore assez «sauvage» et couverte de forêts. Cependant de nombreux oppida helvètes (places fortes) construites en bois existent déjà. Elles se transformeront ultérieurement en villes de type romain.

La mission que confie César à Alix est, muni de riches présents, de faire le tour des tribus helvètes, pour s’assurer que leurs chefs ne s’opposeront pas à l’installation de vétérans romains. Cela pour contrer d’éventuelles incursions des farouches Germains… mais aussi pour mater de possibles soulèvements des indigènes contre Rome. S’agit-il donc d’une alliance contre l’ennemi commun germain, ou d’une soumission voilée à Rome? La vérité est peut-être dans la bouche d’une femme, l’aristocrate celte Senaca, qui prône la résistance: «Rome n’a pas d’amis!… Seulement des serviteurs et des esclaves!»

Cela dit, les apports techniques et culturels de la romanisation seront bien acceptés par les populations locales (c’est pourquoi nous parlons français, une langue latine) et sont incontestables aux yeux des historiens.

Fidélité relative à l’histoire

Alix et ses compagnons vont donc passer les Alpes et déboucher à Octodurus (Martigny). La région est habitée par les belliqueux ancêtres des Valaisans, qui ont même vaincu la XIIe légion. Puis ils passent par Aventicum, qui est en voie de reconstruction à l’image d’une cité romaine. Devant Brenodurum (Berne), ils voient des crânes d’animaux et humains. Il semble bien que les Helvètes pratiquaient de tels sacrifices. Ils descendent l’Aar sur une barque chargée de tonneaux (une invention gauloise), se heurtent à une horde de guerriers germains et achèveront leur périple par Lousonna (Lausanne), où n’existent encore que quelques huttes.

Tout cela est fidèle à la vérité historique et plausible. Deux remarques cependant. Dans les premières pages du volume, il est question de la «magnanimité» de César, qui aurait laissé les Helvètes regagner leur territoire après leur émigration en masse jusqu’en Bourgogne et leur défaite à Bibracte. Ce n’est qu’en partie vrai. En fait, sur 368’000 hommes, femmes et enfants qui auraient quitté la Suisse actuelle en mars 58 av. J.-C., une partie fut massacrée par les Romains, 6’000 d’entre eux vendus en esclavage, et seuls 110’000 (selon les chiffres de César lui-même) auraient été renvoyés sur leurs terres.

Relevons aussi dans, cette même BD, un cliché comme les aime la série, beaucoup moins fiable historiquement, des Astérix: les Helvètes (bref, les Suisses actuels) sont volontiers présentés comme âpres au gain… Avouons-le, le scénario de ce volume est assez faible. Il ne présente pas l’intérêt de La tiare d’Oribal, du Tombeau étrusque, de L’empereur de Chine ou encore de Vercingétorix. Il faut dire que l’Helvétie pré-romaine n’offrait pas de villes splendides à restituer par le dessin, comme Jérusalem, Alexandrie ou Carthage. C’est cependant une occasion intéressante de découvrir notre passé.

Surtout du fait que la BD s’accompagne d’un ouvrage historique intitulé L’Helvétie. S’adressant à un large public, mais sans renier la rigueur de l’approche universitaire, celui-ci est richement illustré. On y apprendra tout sur l’époque celtique, sur la grande migration menée par Divico et stoppée par César à Bibracte, sur la fondation des villes romaines, sur le système routier, sur les villae rusticae dans les campagnes, enfin sur les temps troublés des invasions «barbares». Voilà de la bonne Histoire pour tous!

Jacques Martin, M. Jailloux et M. Bréda, Les Helvètes (BD), Casterman, 2019, 48 p. – M. Venanzi, C. Goumand, J. Martin, L’Helvétie, Casterman, 2019, 64 p.