COVID-19
La progression du coronavirus jusqu'en terres helvétiques se ressent déjà dans les magasins. Une vendeuse de chez Coop témoigne: «Depuis lundi, on n’arrête pas de remplir les rayons de céréales, de pâtes, de riz ou de farine.» À la Migros, on observe aussi que les rayons se vident. Les paquets de farine partent comme des petits pains, à croire que les helvètes s’apprêtent à faire le leur durant une potentielle mise en quarantaine. Et maïs, ananas ou petits pois-carottes sont clairsemés sur les étals des conserves. «Mais ce sont surtout les magasins avec un Drive qui sont touchés», indique une collaboratrice. Soit les enseignes dans lesquelles on peut se rendre en voiture et repartir le coffre plein.
«Nous constatons une demande accrue de produits de consommation courante, tant sur Leshop.ch que dans les supermarchés dans toute la Suisse», confirme Tristan Cerf, porte-parole de Migros. Conserves, œufs, fromage et aliments pour bébé figurent en pole position. «Toutefois, on ne peut pas encore parler de goulot d’étranglement ou de pénurie; les développements actuels seront bien sûr pris en compte dans la planification future de notre assortiment.» Même son de cloche chez Coop, où «la demande pour certains produits, tels que les désinfectants ou les aliments durables, augmente dans les supermarchés et sur Coop@home», renseigne la porte-parole Rebecca Veiga. Pour réagir à un potentiel manque, Migros a défini depuis mercredi un assortiment de base auquel le détaillant donnera clairement la priorité «tant dans les activités propres de nos entreprises industrielles que dans la logistique». Ces biens d’usage quotidien correspondent à peu près aux stocks de sécurité définis par la Confédération, indique encore Tristan Cerf. Chez Coop, Rebecca Veiga révèle également l’existence «depuis de nombreuses années d'un plan de lutte contre la pandémie mis à jour en 2018» établi en étroite collaboration avec les autorités. L’Office fédéral pour l’approvisionnement économique (OFAE) publie sur le site de l’administration fédérale une liste de provisions domestiques de base.
Voilà ou mène la peur irrationnelle
On avait connu la même chose lors de la première guerre du Golfe et de la grippe aviaire
En plus de la nourriture, le désinfectant pour les mains a disparu des supermarchés depuis deux ou trois jours. La même situation est observée dans les pharmacies. Une collaboratrice indique que le délai annoncé pour un réassort de désinfectant est fixé au 26 mars prochain. Elle ajoute: «On n’a plus de masques depuis des semaines, et certains clients commencent maintenant à venir chercher des gants.» Dans certaines pharmacies, le désinfectant manquant est remplacé par de l'éthanol depuis mercredi. «Cela dessèche les mains, mais le résultat est le même», indique-t-on. Dans les deux cas, on n’observe en revanche pas de réelle panique, au pire quelques téléphones de personnes inquiètes.
«La peur du coronavirus est largement exagérée»
De la prudence, certes, mais aucune raison de se faire du mauvais sang. Voici, en substance, le message de Bernardino Fantini, professeur honoraire à l’Université de Genève.
L’inquiétude grandit au sein de la population. Les gens font même des provisions de nourriture…
La peur a toujours accompagné les grandes épidémies. Il y a bien sûr la peur de l’inconnu, de quelque chose de nouveau que l’on ne connaît pas. Et puis la peste, la variole, la grippe asiatique ou encore la grippe espagnole au début du XXe siècle ont fait des ravages. Cette mémoire reste.
Cette peur est largement exagérée en Europe. Pour le moment, ce virus est moins dangereux qu’une grippe* saisonnière qui fait des centaines de morts par année. En Italie, il y a eu des mouvements de panique car les autorités ont commis de graves erreurs de communication. Elles ont fermé des écoles, des cinémas et des théâtres dans des régions où il n’y avait pas un seul cas. Cette réaction émotionnelle dictée par la peur n’a fait que l’amplifier. Les gens se disent que si ces lieux ferment, c’est que la catastrophe est imminente. Les épidémies ont toujours provoqué des phénomènes de masse plus dangereux que la maladie elle-même... Quant à l’idée de fermer les frontières, cela n’a pas de sens: un virus ne connaît pas de frontière! Cela vise plus à tranquilliser la population qu’à contenir l’épidémie.
La peur est un phénomène tout à fait normal mais il faut qu’elle soit dominée par une attitude rationnelle. Il faut la contrôler avec une bonne communication, une connaissance des faits et des mesures à la hauteur de la situation.
Quel rôle jouent les médias dans la frousse ambiante?
Ils ont une grande responsabilité, en effet, et peuvent jouer un rôle important en incitant à la modération. Il faut continuer de donner des informations précises sur la réalité épidémiologique. Dire que sur 100 cas de contagion, 2 ou 3 seulement sont vraiment dangereux et peuvent mener à la mort. Cela peut tranquilliser les gens. Il faut certes être prudent et se laver les mains le plus possible, par exemple. Mais il ne faut pas avoir peur.
Trois gestes pour se protéger du coronavirus
Et la ruée sur les masques, qu’en pensez-vous?
C’est irrationnel. Porter un masque en dehors des milieux hospitaliers et des foyers épidémiques n’a pas de sens. De plus, il faudrait le changer tous les jours, donc en avoir une dizaine en réserve chez soi. Le masque, c’est un peu un totem. On pense être plus en sécurité avec cet objet à portée de main.
Quelques faits bien réels
* La grippe saisonnière en Suisse : c'est 27'852 cas en 2019 contre 8 cas actuellement de Coronavirus.
Selon l’OMS, la grippe saisonnière fait de 290 000 à 650 000 décès par an dans le monde entier.
Le Covid-19; c'est moins de 3'000 morts actuellement (28.02.2020).
En clair, si on se fie aux chiffres bruts : la grippe saisonnière tue beaucoup plus de monde que le Covid-19 à ce jour (ce qui est logique étant donné le nombre de personnes exposées). Mais la létalité du Covid-19 est nettement plus importante que celle de la grippe.
Dans le détail, voici les statistiques sur la létalité du Covid-19. Les personnes âgées de plus de 80 ans sont les plus touchées : la létalité pour leur tranche d’âge est de 14,8%. Elle est de 8% pour les 70 à 79 ans, de 3,6% pour les 60-69 ans, 1,3% pour les 50-59 ans, 0,4% pour les 40-49 ans, et 0,2% pour les 10-39 ans. Les femmes meurent moins que les hommes : 1,7% de létalité contre 2,8%. Les personnes originaires du Hubei, la région où se situe Wuhan, l’épicentre de l’épidémie, sont plus touchés puisque le taux est de 2,9% contre 0,4% dans les autres provinces. Les patients déjà atteints de maladies cardiovasculaires sont les plus menacés (10,5%) devant les diabétiques (7,3%) ou les personnes souffrant de maladies respiratoires chroniques (6,3%) ou d’hypertension (6%). Au total, 80% des cas de Covid-19 sont bénins, selon cette étude. La période où la létalité a été la plus forte a été celle menant jusqu’au 10 janvier (15,6%). Du 1er au 11 février, elle était de 0,8%. Cette très forte chute s’explique par le fait que sur la première période (du 1er au 10 janvier), il y avait encore très peu de cas diagnostiqués (653 cas, pour 102 morts).
Egger Ph.