«Depuis la fermeture des frontières, la viande c’était une fois par mois. Le boucher suisse, j’adorerais acheter chez lui, c’est meilleur, mais on ne peut pas. Alors aujourd’hui, j’ai profité.» Rebecca, 37 ans, vit avec son mari et leurs quatre enfants à Confignon. Ce lundi matin, comme de nombreux Genevois, elle est retournée faire ses courses en France – en l’occurrence à l’Intermarché de Saint-Julien. À 10 heures, le grand parking est à moitié plein mais un véhicule sur cinq est immatriculé à Genève. Les clients suisses tiennent tous, peu ou prou, le même discours: le retour du tourisme d’achat constitue un grand soulagement.
«En Suisse ça coûte une blinde»
Certains, comme Rebecca, se sont privés pour tenir le coup. «Vu la situation actuelle, on a mangé un peu plus de pâtes et un peu moins de viande», explique Massimo. Ce sexagénaire de Bernex doit nourrir un foyer de six personnes. «Je suis indépendant. On avait dit que je pourrais toucher 196 francs par jour, en fait, c’est 110 francs. Après, ça devient compliqué. En Suisse, je n’arrivais jamais à remplir un chariot pour moins de 250 francs, et pourtant je ne suis allé que chez Lidl et Aldi. Là, mon caddie est plus plein, et c’est 150 euros. J’ai pas mal de viande et j’ai pu acheter des choses pour mes petits enfants.»
D’autres n’ont pas ou peu changé leurs habitudes alimentaires, mais ont trouvé la facture salée. «J’ai dépensé 100 francs de plus par semaine, calcule Thierry, 42 ans, qui vit avec sa femme et leurs deux enfants à Onex. On avait fait quelques réserves juste avant la fermeture des frontières, on avait du congelé, mais là on arrivait au bout. J’attendais avec impatience de pouvoir retourner en France, et on va continuer comme ça, même si éthiquement, c’est sûr que je préférerais faire travailler l’économie suisse. Mais la Coop et la Migros, ça coûte le double, surtout pour la viande, les pâtes et les conserves.» Victor, du Petit-Lancy, dit aussi être venu «surtout pour les prix, pour des achats ponctuels, en particulier la viande et le lait». Rebecca, qui montre un gros poulet dans son cabas, abonde. «En Suisse, ça coûte une blinde.»
«Pas de raison de se faire fusiller»
Le prix de la viande suisse reste en travers de la gorge des Genevois. La jeune femme salive déjà à l’idée de se rendre, dès demain, à la boucherie de Ferney-Voltaire, où elle a prévu d’acheter une fondue bourguignonne. Aline et son beau-fils Ludovic, qui vivent à la Croix-de-Rozon, ne se sont quant à eux pas restreints. Ils ont «juste dépensé plus», mais sont ravis de soigner à nouveau leur porte-monnaie. «Ici, c’est facilement un tiers moins cher. Le rumsteak, par exemple, est à 24,90 euros le kilo, au lieu de 72 francs le kilo.» Philippe, pour sa part, avait les moyens. Mais par principe, cet homme de 56 ans s’est refusé à payer ce qu’il estime ne pas être le juste prix. «Ce n’est pas parce qu’on gagne notre vie qu’on doit se faire fusiller. Acheter en Suisse une viande qui n’a rien de particulier, par exemple un filet de porc à 57 francs le kilo, c’est hors de question.»
Les légumes suisses séduisent
Durant le confinement, il explique avoir privilégié le commerce local, notamment pour les fruits et les légumes. «Jouer le jeu pour l’agriculture, ça, je suis d’accord, mais pour tout le reste, je le dis très clairement, c’est non. Le panier moyen par semaine pour mon couple en Suisse, c’est 140 ou 150 francs. Ici, c’est 90 ou 100 euros.» Les maraîchers genevois, manifestement, ont plutôt bonne presse. «Je prenais déjà beaucoup de fruits et de légumes sur Genève, qu’un paysan me livrait sur mon lieu de travail», expose Aline, qui entend continuer dans cette voie. Ces trois mois onéreux l’ont aussi poussée à «faire plus attention à ne pas gaspiller, à moins jeter, à congeler plus rapidement les restes.»
La force de l’habitude
Pour le reste, elle reprendra ses pratiques de tourisme d’achat, pour les prix mais aussi pour le choix. «Je trouve ici des produits que je ne trouve pas à Genève, comme par exemple une confiture d’orange. C’est tout bête, mais ça me manquait.» Après son réquisitoire contre les prix suisses, Philippe met lui aussi en avant la variété du choix proposé. Un argument que reprend Rebecca. «Le lait pour mon bébé, je ne le trouvais pas en Suisse, j’étais très embêtée.»Un couple de retraités domiciliés à Certoux avance lui aussi l’attrait des produits français, qu’ils connaissent bien, pour expliquer leur retour au supermarché de Saint-Julien. «90% de nos achats, c’est ici. C’est bien meilleur marché c’est sûr, mais on est surtout contents de retrouver nos habitudes.»