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vendredi 30 août 2024

Histoire fribourgeoise: Qui sont les sorcières d’aujourd’hui ?

 

Une gravure sur bois de 1574 représentant la colline du Guintzet et ses potences, 
où les brigands étaient roués, les voleurs pendus et les sorciers brûlés. © dr


Magie noire, satanisme, sabbat, bûcher… Le jargon lié à la sorcellerie est vaste, et décrit bien souvent des éléments terrifiants du passé. Or, en Suisse et tout particulièrement dans le canton de Fribourg, les procès de sorcellerie sont nombreux, ce dès le XVe siècle. Bien plus que dans d’autres pays européens.

Le 19 septembre prochain, Lionel Dorthe, archiviste à l’Etat de Fribourg et chargé de cours en histoire du Moyen Age à l’Université de Fribourg (Unifr), donnera une conférence sur ce sujet, accompagné du journaliste Cyril Dépraz. Intitulée «Fribourg au terrible temps des sorcières», elle s’inscrit dans le cadre du programme culturel MEMO biblio & ludo +, et a pour but de montrer et d’analyser l’évolution de la thématique.

L’historien a également édité, avec sa collègue Rita Binz-Wohlhauser, les Procès de sorcellerie fribourgeois du XVe au XVIIIe siècle, ne regroupant pas moins de 360 cas. Un mandat d’une durée de six ans, dont l’aboutissement sera notamment discuté lors de la conférence.

Dès la fin du XVIIIe siècle, les procès pour sorcellerie disparaissent. Comment l’expliquer?

Lionel Dorthe: La méconnaissance scientifique de base provoque une quantité considérable de ce que nous appellerions aujourd’hui des erreurs ou des fausses interprétations. Tout l’édifice repose là-dessus, car les gens croient en Dieu, au diable ou au secret, entre autres. Par exemple, on retrouve beaucoup d’occurrences où une personne est accusée d’avoir tiré le lait des vaches des voisins avec des formules magiques pour le transférer dans les siennes.

En fait, on avait besoin de boucs émissaires pour comprendre ce qu’on ne parvenait pas à expliquer. Dès le moment où l’on peut expliquer ces tempêtes sur le Moléson, les pluies de grêle, le cycle du lait des vaches, on n’a plus besoin de ces boucs émissaires. Les croyances changent. C’est donc avec l’avènement de la science que les procès pour sorcellerie tombent.

C’est donc de l’histoire ancienne?

Il y a une transformation technique, scientifique, mais aussi juridique et judiciaire, avec une nouvelle façon d’envisager le droit de punir. Dès le XVIIIe siècle, on a une autre approche de la justice et de la façon de la rendre. Petit à petit, la sorcellerie disparaît des tribunaux. Mais certaines de ces croyances perdurent encore aujourd’hui. Beaucoup de gens croient en Dieu, au diable ou au secret, en particulier à Fribourg. C’est un héritage de cette époque-là.

Dans ce cas, qui sont nos sorcières aujourd’hui?

Le point commun dans tous les procès, c’est que ce sont les gens qui sortent de la norme qui sont accusés. Aujourd’hui, ce sont notamment les étrangers qui sont marginalisés, comme ils l’ont toujours été. Les personnes qui ont une sexualité différente de ce qui est considéré comme étant la norme sont aussi parfois marginalisées. Et puis, il y a aussi certainement une forme de misogynie. Le phénomène de la croyance en la sorcellerie a une part de dénigrement des femmes, dès le départ. Les traités démonologiques, qui définissent comment reconnaître un sorcier ou une sorcière, sont écrits par des ecclésiastiques. Et qu'est-ce qu’un moine du XVe siècle connaît des femmes… Peu de choses.

Vous mettez pourtant en garde devant de fausses interprétations, une «guerre des sexes»…

Certes les juges et les politiciens d’alors ne sont que des hommes, mais cela fait partie du contexte sociopolitique de l’époque. Si on gratte un peu, on voit que ce sont souvent des femmes qui accusent des femmes à l’échelon du village. Donc le phénomène ne se limite pas à la misogynie, il est bien plus complexe que cela. C’est très délicat comme sujet, car il y a beaucoup de reprises idéologiques. Un regard scientifique porté sur cette thématique peut gêner.

Or je n’ai pas l’intention de partir en guerre contre quiconque. Mais de voir des reprises historiques aberrantes, ça me fait grincer des dents. D’autre part, je suis conscient que d’utiliser l’image traditionnelle de cette sorcière émancipée et émancipatrice, qui veut prendre ses distances avec le patriarcat et s’oppose au capitalisme, bien que cela n’ait aucune réalité historique, permet de mieux faire passer une idée au grand public.

Quel regard porte-t-on sur la sorcellerie aujourd’hui, plus particulièrement sur les procès pour sorcellerie?

L’historien ne critique pas, il observe et analyse. Il faut comprendre que les juges, à l’époque, faisaient leur travail avec plus ou moins de zèle et de croyances. Mais ils étaient convaincus de faire juste. Et ça, ça ne change pas par rapport à aujourd’hui. Mais la tendance est au jugement, le grand public se croit souvent détenteur de la bien-pensance. Sans doute que nos descendants auront un regard très différent sur notre société. Aujourd’hui, nous manquons totalement d’autocritique et sommes persuadés de faire mieux que nos ancêtres. Et c’est aussi dû à une croyance, celle dans le progrès continu de nos institutions.

Un travail de longue haleine

Comment parvient-on à se documenter pour une étude sur de l’histoire si ancienne?

Les deux ouvrages que nous avons édités avec Rita Binz-Wohlhauser sont la transcription scientifique de tous les procès pour sorcellerie, en français ou en allemand selon la langue des prévenus. Nous avons associé à cela toutes les décisions prises par le gouvernement, car il n’y avait pas de séparation des pouvoirs. A l’époque, ce sont les mêmes gens qui jugent et qui gouvernent. Il y a des dizaines de milliers de pages de protocole des séances du gouvernement. Nous avons fouillé là-dedans pour trouver tout ce qui avait trait aux procès. Dans les registres de la justice criminelle, on notait les procès-verbaux des interrogatoires. Nous avons ainsi deux sources différentes pour documenter une même affaire.

A quoi sert ce travail d’archives?

Cette édition est une première à l’échelle européenne. Les procès de sorcellerie sont des sources très riches pour connaître l’histoire de monsieur et madame tout-le-monde. Certes, tout repose sur une fausse accusation fantasmée, mais tout n’est pas faux. Quand quelqu’un répond au juge sur des questions annexes de l’interrogatoire, on en apprend beaucoup sur la société d’alors. L’autre particularité, c’est que ma collègue et moi avons décidé dès le départ de nous intéresser aux accusations de sorcellerie, et non pas seulement aux cas qui ont abouti sur une sentence d’exécution. Nous évitons ainsi ce raccourci historiographique et pensons avoir pu transmettre aux chercheurs un matériau plus complet à étudier.

«Crimes et châtiments» dans l’ancien Évêché de Bâle et à Fribourg

Une sorcière condamnée au bûcher en Suisse | gravure vers 1700


La Suisse romande a été un haut-lieu de la chasse aux sorcières du 15e au 18e siècle. Les historiens se penchent de plus en plus sur ce phénomène, en dépouillant systématiquement les archives de l’époque. C’est le cas dans le Jura et à Fribourg.  

Depuis 2022, les Archives de l’ancien Évêché de Bâle (AAEB), basées à Porrentruy, numérisent et transcrivent peu à peu des centaines de milliers de pages de procédures judiciaires. Elles mettent désormais à disposition des chercheurs et du public ces sources inédites dont beaucoup sont liées aux procès en sorcellerie.

Baptisé «Crimes et châtiments», le projet se donne pour objectif de mettre à la disposition des chercheurs et du public l’ensemble des procédures criminelles archivées par les AAEB à Porrentruy. Un corpus important, en français et en allemand, avec quelques documents en latin et en italien datés de 1461 à 1797, soit pas moins de 160’000 pages couvrant 25 mètres de rayonnages.

Une grande richesse pour l’histoire

«Un projet notable pour la grande richesse de ses sources et leur mise en valeur progressive», souligne pour le Journal du Jura Jean-Claude Rebetez, conservateur des archives. L’intérêt de ces documents est «qu’ils racontent des histoires qui fourmillent de détails sur les rapports de l’époque avec la nature, les relations interpersonnelles et sociales, la vie quotidienne, la condition des femmes, etc.»

Transkribus travaille avec l’IA

Pour analyser ces actes de procès criminels et de sorcellerie, l’aide de l’intelligence artificielle a été décisive afin de déchiffrer les écritures. Issue de deux programmes de recherche européens coordonnés par l’Université d’Innsbruck, la plateforme Transkribus a fait un travail très efficace. «Cette transcription progressive met en premier l’accent sur les pages les plus anciennes et les plus difficiles à lire», relève Jean-Claude Rebetez. Le quart de ces transcriptions automatiques ont déjà été corrigées, étant entendu que l’IA ne vaut pas l’intelligence humaine. Interpréter des textes juridiques en français et allemand des 16e et 17e n’est en effet pas chose aisée.

Sur le corpus complet, près de 5’000 pages concernent des procédures menées contre des personnes accusées de sorcellerie. Environ 80% sont désormais en ligne, sur le site internet des AAEB.

Au sabbat sur un balai

Maladie et mort inattendues de chevaux, cultures détruites par les insectes ravageurs, vaches qui ne donnent plus de lait, empoisonnements, maléfices en tous genres, les dénonciations pour sorcellerie reflètent l’imaginaire d’une époque où la raison scientifique est encore loin de pouvoir expliquer les phénomènes climatiques ou les maladies.


Sorcières en vol. Miniature d’un manuscrit de Martin Le Franc, 
Le champion des dames, 15e s | Wikimedia Commons CC-BY-SA-2.0


A partir de cette documentation procédurale, l’archiviste Damien Bregnard et la philologue Elodie Paupe ont compilé un «abécédaire des sorcières» qui offre une porte d’entrée sur un monde aussi surprenant que révolu. On y apprend par exemple que de nombreuses sorcières ont avoué (lors d’interrogatoires souvent sous la torture NDLR) qu’elles «se sont rendues à des sabbats en volant sur un balai, parfois sur une fourche ou un simple bâton – le symbole phallique est transparent. Mais attention! La sorcière doit au préalable enduire l’objet d’une graisse ou d’une poudre qui lui donnera la puissance de voler. De plus, si l’on en croit Madeleine Langel, de Courtelary, voyager sur un balai n’est pas si facile: elle-même affirme n’y être jamais parvenue, même si une vieille sorcière lui a montré comment prendre son envol, faire quelques pirouettes puis sortir de la maison par la cheminée pour se rendre au sabbat par la voie des airs.» La plupart y sont allées plus prosaïquement à pied ou à cheval.

Près de 100 exécutions à Fribourg

A Fribourg, l’archiviste Lionel Dorthe et sa collègue Rita Binz-Wohlhauser ont également mené un patient travail de six ans pour l’édition des procès en sorcellerie tenus dans la cité de la Sarine entre le 15e et le 18e siècle. 

A Fribourg comme dans le Jura, des dizaines de victimes des chasses aux sorcières et aux sorciers ont péri sur le bûcher. Des centaines de personnes ont été inquiétées, suspectées, torturées. Leur seul crime était le plus souvent de sortir de la norme, explique Lionel Dorthe pour le journal de l’Université Alma & Georges.

A partir du 15e siècle, l’idée s’est répandue que des sectes d’adorateurs du diable se liguaient contre la chrétienté, conduisant à travers l’Europe à de nombreuses vagues de chasses aux sorcières, aussi bien dans le monde protestant que catholique. Suspicions et dénonciations culminèrent aux 16e et 17e siècles (soit bien après le Moyen-Age! NDLR). Du paysan prospère au vagabond, de la femme veuve ou sans mari à l’adolescent livré à lui-même, il en fallait alors peu pour tomber dans les griffes de la justice pour fait de sorcellerie et risquer le bûcher.

Un quart de condamnations à mort

Sur les 360 procès conduits par le bras séculier de la Ville et République de Fribourg entre 1493 et 1741, environ un quart des instructions ont abouti à la mort des condamnés soit pas loin d’une centaine. «Le bannissement était quant à lui prononcé par les juges dans près de la moitié des cas. Il pouvait être de deux ordres. Soit les personnes devaient quitter le territoire fribourgeois, soit elles se trouvaient cantonnées aux frontières de leur paroisse», explique Lionel Dorthe. Moins souvent, il arrivait que les juges lèvent les charges et relâchent les personnes.

La traque du bouc émissaire

Pour Lionel Dorthe, il faut dépasser une certaine historiographie qui voyait dans les sorcières des femmes rebelles contre l’ordre patriarcal et religieux, porteuses de savoirs cachés, sortes de féministes avant l’heure. D’abord parce que les accusations peuvent aussi toucher des hommes (1/3 des condamnés à Fribourg) mais encore parce que, même si les marginaux sont majoritaires, toutes les couches sociales et tous les âges sont concernés. Enfin les accusations contre les femmes proviennent essentiellement d’autres femmes.

On trouve des régions, des villages, voire des familles davantage touchés. L’historien suggère d’y voir une réponse à la vulnérabilité des populations rurales face au climat et aux épidémies, dans une dynamique de bouc émissaire présente dans toutes les cultures.

Pour l’historien, il convient de ne pas jeter ces victimes dans les oubliettes de l’histoire, mais il est au contraire nécessaire de faire œuvre de mémoire et chercher à comprendre.

Une sentence aussi brève que glaçante

Le cas de Marguerite, épouse Perrin, de Bressaucourt, en 1613, illustre le déroulement d’un procès en sorcellerie. Tout commence par une supplique en allemand adressée par la communauté de Bressaucourt au prince-évêque pour accuser Marguerite. Les dépositions des témoins sont recueillies entre le 18 mai et le 15 juillet 1613. Le résultat de cette enquête est présenté à la Cour qui ordonne d’arrêter Marguerite pour l’interroger sous la torture si nécessaire.


La sentence de mort de Marguerite Perrin: aussi brève que glaçante | AAEB


Le prévôt résume des griefs contre Marguerite: mort d’animaux, verger envahi de vermine et de chenilles, refus de céder du foin… Les premiers interrogatoires sont menés au château de Porrentruy du 16 au 23 juillet. Marguerite nie malgré la torture et ne dit vouloir aucun mal à tous ses accusateurs qu’elle tient pour des gens de bien.

Suite et fin des interrogatoires, du 26 juillet au 2 août. Aveux de Marguerite après de nouvelles tortures. Aveux définitifs de Marguerite le 9 août, dans lesquels elle admet un pacte avec le diable et sa participation à des sabbats de sorcières. Le dernier acte est la sentence de mort prononcée et exécutée le jour même. Elle est suivie d’un inventaire des biens de Marguerite et de son mari dressé le 23 août en vue du remboursement des frais de la cause. 

Brûler des sorcières: un commerce lucratif


Au cœur du Valais épiscopal, une rumeur se propage. Elle raconte la manière dont les adeptes d’une secte sont capables de se déplacer sur des tabourets volants, dévorent des enfants et peuvent provoquer des malheurs à leur guise, telles que catastrophes naturelles et épidémies. Mais «tout cela sort de l’imagination des juges», détaille Chantal Ammann, archiviste, historienne médiéviste et spécialiste de l’histoire de la sorcellerie en Valais. Elle était l’invitée du Spot à Sion, avec cinq autres intervenants, pour réinterroger la genèse et l’histoire de ces persécutions systématiques en Valais, car c’est dans ce canton que la chasse aux sorcières débute dans la première moitié du XVe siècle.

Comme l’explique Steve Bobillier, éthicien, docteur en philosophie et spécialiste de la question des démons et de la fin des temps, cette traque prend racine dans la conviction qu’une société secrète composée de plusieurs centaines d’individus menace les populations, la société et la chrétienté en s’associant au Diable. La gravité de la menace pousse les autorités civiles et religieuses à une persécution sans merci de celles et ceux qui sont accusés de sorcellerie. Des accusations qui débutent souvent par une rumeur, un conflit de voisinage ou un malheur inexpliqué.

Diffamer n’est pas un crime

«Les sorciers existent quasiment depuis la nuit des temps, mais la grande nouveauté ici réside dans la persécution systématique de personnes qui cherchent prétendument à détruire la société», indique encore Steve Bobillier. Se met alors progressivement en place un système d’inquisition. Celui-ci est «plutôt bien accueilli par la population, car elle a l’impression de participer à la justice». De cette manière, la population locale est mise à contribution pour valider la fama de l’accusé. En d’autres termes, sa réputation et plus généralement sa mauvaise réputation. L’accusé est ainsi devenu un mal-famé.

Reste à confirmer cette mauvaise réputation par des aveux. Car, en effet, il faut des preuves pour condamner et aucun des accusés n’a «jamais été pris en flagrant délit de Sabbat [assemblée nocturne de sorcières souvent associée à des rituels démoniaques, ndlr.]», souligne Stéphane Abbet, juge du district de Martigny et spécialiste judiciaire des questions de sorcellerie en Valais. On recourt donc à la torture pour obtenir la preuve de sorcellerie et de fait, «les aveux se ressemblent tous», complète Chantal Ammann.

Accuser pour sorcellerie rapporte

«Des familles entières sont marquées par ces accusations de sorcellerie», avance encore l’historienne médiéviste et «les personnes accusées entrent dans un engrenage dont elles ne peuvent réchapper», insiste Stéphane Abbet. Outre la systématisation de la traque, les juges civils et inquisitoriaux recherchent des signes tangibles de la ›pactisation’ des accusés avec le Diable. Une boiterie ou une alopécie suspecte pouvaient être associées à la marque du Diable, signale Chantal Ammann. Elle précise que, contrairement à ce que l’on peut croire, au début des persécutions les femmes ne représentaient qu’un tiers des condamnés pour sorcellerie.

L’explication est pour le moins… sonnante et trébuchante, comme le révèle Paul Martone, chanoine du Chapitre de la cathédrale de Sion. «Celui qui avait déposé la plainte pouvait recevoir la moitié des biens du condamné!». Ce à quoi Steve Bobillier abonde: «Il y avait un avantage important à accuser un propriétaire terrien, car une fois condamné, les autorités récupéraient les biens de l’accusé». Les actes notariés retrouvés démontrent l’utilité de l’incrimination pour sorcellerie par le pouvoir en place pour confisquer des biens ou des territoires en inféodant les héritiers. De plus, il n’est pas non plus rare que certaines personnes accusent un rival de sorcellerie à des fins d’éviction.

Selon Steve Bobillier, le basculement vers une féminisation de la chasse aux sorcières s’opère suite à la parution et la large diffusion du Marteau des sorcières (1486 ou 1487), des inquisiteurs dominicains, Jacques Sprenger et Henri Institoris. «Le Marteau des sorcières établis que la femme dans son essence même est fe-minus, c’est-à-dire de foi mineure. Une étymologie complètement farfelue, mais qui assied la théorie selon laquelle la femme étant de foi mineure, elle se laisse plus facilement tromper par le Diable».

Une chasse multifactorielle

Ce phénomène, que l’on peut considérer aujourd’hui comme une hystérie collective perdure en Suisse durant deux-cent-cinquante ans. On estime que la chasse aux sorcières a fait 100’000 morts en Europe, or c’est bien la Suisse qui détient le sinistre record du nombre de victimes. «On peut expliquer le comment, mais difficilement le pourquoi», développe Chantal Ammann. Quelques pistes sont à chercher du côté de l’exécution de la justice en Valais. «L’organisation judiciaire du canton au Moyen-âge et jusqu’à la Révolution est pratiquement incompréhensible. Chaque vallée avait ses propres juges et tribunaux», expose Stéphane Abbet.

«On peut prendre l’exemple de l’Espagne qui possédait une inquisition d’État et donc centralisée. Il y a eu beaucoup moins d’exécutions de sorcières qu’en Suisse», précise Paul Martone. «Lorsque l’Église était unie et stable, il y avait peu de procès pour sorcellerie. Si on regarde l’état de l’Église aujourd’hui, les procès devraient donc augmenter!», glisse-t-il encore à l’hilarité générale. «Plus sérieusement, la sorcellerie n’était pas un fait typiquement catholique, mais touche aussi les autres confessions. De même, ces accusations étaient aussi utilisées au niveau politique pour éliminer les éléments subversifs».

Rien de nouveau sous le soleil

Tous s’accordent à dire que le dénominateur commun à toutes ces accusations de sorcellerie reste la peur de l’inconnu. La sorcellerie sert ainsi souvent d’explication «rationnelle» aux malheurs inexplicables comme la peste, de mauvaises récoltes ou encore la stérilité. Désigner un bouc émissaire est une manière simple de régler de nombreux conflits, qu’ils soient politiques ou sociaux.

«En gros, les accusations de sorcellerie en Valais concernaient souvent la vigne et le loup. Rien n’a changé depuis le Moyen-âge», illustre Steve Bobillier. «On arrive plus à rester dans un discours rationnel et on entre dans l’émotionnel. Il faut trouver un bouc émissaire». Cette sinistre époque de l’histoire n’est pas sans rappeler «certaines thèses complotistes faisant intervenir des élites ›pédosatanistes’ s’adonnant à des sacrifices d’enfants pour se procurer une substance appelée Adrénochrome et dont les stars se serviraient comme élixir antivieillissement», glisse Stéphane Abbet en aparté. (cath.ch/myb/gr)

Une résonance contemporaine

Deux projets artistiques sont nés de cette réalité historique, parfois méconnue, qu’est la virulente chasse aux sorcières en Valais. Le premier des deux, SorcyèreXs, lancé par le collectif franco-suisse A la Source se replonge dans l’histoire de la région en réincarnant la thématique de la sorcellerie dans sa dimension contemporaine. Une démarche réunissant les marginaux du passé et du présent pour leur permettre de revendiquer une place au-delà des flammes des bûchers. Cette œuvre, à la fois performative, immersive et déambulatoire, permet aux participants d’expérimenter, au travers de cinq personnages incarnant la thématique, leurs propres aspirations au prisme de ce que l’on considère être la norme.

Le second projet part de la constatation que la population locale ne semble pas être consciente de cet épisode de l’histoire. Sur le plan touristique, à Sion par exemple, seules les visites guidées de la ville et un panneau explicatif devant la Tour des Sorciers en font mention. Le projet AR-Sorcières, en phase de réalisation par l’École de Design et Haute École d’Art (EDHEA), vise à faire connaître cet aspect de l’histoire régionale par le biais de trois projets artistiques en réalité augmentée. Cette dernière s’y prête particulièrement bien, car elle permet de donner corps à l’invisible. Il sera donc question de créer trois portails en réalité augmentée sur trois sites emblématiques de la chasse aux sorcières à Sion. 

cath.ch