L'émotion est palpable dans la voix du frère Marc, père abbé d'Hauterive, lorsqu'il évoque ce moment tant attendu: "C'est émouvant de retrouver son lieu de prière, mais transformé et magnifié par tant de compétences et de délicatesse et d'art." Après quatre années de restauration, l'église abbatiale Sainte-Marie d'Hauterive, joyau architectural du 12e siècle, retrouve sa splendeur, modernisée.
Durant les travaux, les moines cisterciens d’Hauterive ont célébré les messes dans leur réfectoire
(image: Nicolas Brodard/MAHF)
Initiée en 2021 par la Fondation d'Hauterive et le Service des biens culturels du canton de Fribourg, cette restauration s'est achevée dans les délais prévus. Le projet, d'un montant de 9,6 millions de francs, a bénéficié du soutien du plan de relance post-COVID du Conseil d'État fribourgeois, complété par les subventions de la Confédération, de la Loterie Romande et de la Communauté des Frères et Amis d'Hauterive.
"Hauterive est une institution extrêmement ancienne, elle a le même âge que la ville de Fribourg", souligne Stanislas Rück, chef du service des biens culturels de l'État de Fribourg. "On ne peut pas imaginer Fribourg sans Hauterive." Cette abbaye, protégée en tant que bien culturel d'importance nationale depuis 1896, bénéficie aujourd'hui de la plus haute protection patrimoniale en Suisse.
Des stalles du 15e siècle révèlent leurs secrets
L'un des aspects les plus spectaculaires de cette restauration concerne les stalles datant de 1482. Jean-Pierre Rossier, maître ébéniste d'art qui a supervisé leur restauration, décrit l'ampleur du défi. "Ces stalles représentent environ 700 pièces. Tout a été démonté pièce par pièce, numéroté."
Les stalles, avant leur restauration (image: Alain Kilar/SBC)
Cette minutieuse opération a permis une belle découverte. Le démontage des autels baroques, placés devant les stalles au 18e siècle, a révélé de rares décors peints de l'époque Renaissance sur leur dos. Ces peintures, cachées pendant des siècles, sont désormais mises en valeur. "C'est la cerise sur le gâteau", résume avec émotion le restaurateur, qui effectuait là son dernier mandat.
Une verrière contemporaine
La grande verrière, endommagée lors de la rénovation baroque entre 1755 et 1775, a retrouvé son éclat grâce à l'intervention de l'artiste fribourgeoise Catherine Liechti. Sa création "Laudes", réalisée en collaboration avec le maître verrier Pascal Moret, vient s'ajouter dans la partie inférieure de la verrière, qui était avant obstruée par des bouchons de molasse.
L’artiste lauréate du concours, Catherine Liechti, et le maître verrier Pascal Moret,
durant la création de «Laudes» («Louanges»)
(image: Alain Kilar)
"J'ai choisi des verres colorés assez transparents pour pouvoir avoir un apport coloré sur l'autel", explique l'artiste plasticienne. Cette œuvre contemporaine intègre une structure géométrique inédite découverte par des mathématiciens en 2023, créant un dialogue saisissant entre tradition et modernité. Les colombes, représentées de manière abstraite, symbolisent un message de paix.
Des sièges en vis-à-vis
L'un des enjeux majeurs de cette restauration était de répondre au souhait des moines cisterciens de se rapprocher des fidèles, dans l'esprit du Concile Vatican II. Après le refus d'un premier projet par la Commission fédérale des monuments historiques en 2018, l'architecte Jean-Marie Duthilleul a conçu une solution respectueuse du patrimoine. Les sièges sont placés en vis-à-vis.
"Cet espace a été pensé dans cette disposition-là dès le départ", explique le frère Marc. "Nous sommes en train de retrouver l'inspiration de départ de l'espace." Les bancs de l'assistance sont désormais parallèles à l'axe de la nef, comme aux origines romanes, permettant aux fidèles d'accompagner les moines dans leur progression de la nef jusqu'au chœur.
La chapelle gothique retrouve sa vocation
La chapelle latérale gothique Saint-Nicolas, édifiée dès 1320, a également bénéficié d'une restauration complète. Auparavant fermée au public, elle est aujourd'hui dotée d'un mobilier liturgique contemporain et destinée à la prière individuelle ou en petit groupe. Ses peintures murales et de plafond ont été soigneusement restaurées.
La chappelle Saint-Nicolas (image: Alain Kilar/SBC)
Fondée en 1138 par Guillaume de Glâne, l'abbaye d'Hauterive a traversé les siècles avec ses périodes de prospérité et d'épreuves. Fermée en 1848 à l'issue de la guerre du Sonderbund, elle fut reconvertie en école d'agriculture puis d'instituteurs avant qu'une communauté cistercienne ne réinvestisse les lieux en 1939.
"Il n'y a pas seulement le monument en soi, mais il y a aussi la communauté qui l'habite et le vit en permanence", insiste Stanislas Rück. Cette dimension vivante distingue Hauterive d'autres monuments historiques et justifie l'investissement, selon le responsable. Au total, une centaine d'ouvriers, d'artisans et d'artistes ont été mobilisés.
Ouverture aux Journées du patrimoine
L'église sera ouverte au public les 13 et 14 septembre, dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, après une inauguration le 4 septembre.
"Nous parions sur la beauté pour que les gens ouvrent les yeux et les oreilles en entrant dans l'église", confie le père abbé. Une corde marquera l'espace réservé aux moines, mais les fidèles pourront accéder aux stalles et à la chapelle latérale, dans le respect du silence et du recueillement.
Alexia Nichele