La fuite de pétrole dans le golfe du Mexique a des conséquences inattendues :
•des milliers d'animaux de compagnie sont abandonnés par leurs maîtres,
•des religieux écolos profitent de la crise pour responsabiliser leurs ouailles,
•et la gastronomie cajun est à un tournant critique de son histoire.Ces nouvelles ne font certes pas la une des grands médias, qui se concentrent -avec raison- sur l'opération ultra-risquée en cours dans le golfe du Mexique : un nouveau capuchon vient d'être placé sur la tête du puits endommagé, lequel, pour l'heure, a stoppé l'écoulement du pétrole dans l'océan.
Mais dans les parages, une sorte de crevasse vient d'être détectée sur le sol de la mer, qui laisse craindre le pire : et si le pétrole, empêché de sortir par ici, allait s'échapper par là ? La catastrophe serait alors sans commune mesure avec ce qu'on a connu depuis le 21 avril.
En attendant la fin du cauchemar, les comportements de survie des uns et des autres peuvent surprendre. Ainsi, cette « Journée nationale de prière pour le golfe », organisée le dimanche 18 juillet par le réseau Evangelical environmental network dans l'ensemble des Etats-Unis.
Le mouvement religieux vert, parfois défini comme une « éco-théologie », a pris de l'ampleur avec les changements climatiques. (Plus sur le sujet dans ce précédent papier.) Transcendant les obédiences - le nombre d'églises différentes aux Etats-Unis est vertigineux -, les militants de la « green religion » sont venus nombreux soutenir la Louisiane depuis le 21 avril.
Protéger l'environnement, une mission divine
Ces leaders religieux estiment que la protection de l'environnement est une mission dévolue par Dieu aux hommes. Aussi utilisent-ils la catastrophe actuelle pour sensibiliser les croyants à l'urgence de changer leur mode de vie, de consommer moins et plus propre :
« Ce qui se passe en ce moment est une occasion unique de capter l'attention des gens, de leur faire toucher du doigt les malheurs qui affectent les créations de Dieu. »
Ces militants sont la plupart du temps accueillis à bras ouverts par les pasteurs locaux, qui ne savent plus quoi faire pour réconforter et rendre un peu d'espérance à leurs paroissiens.
Dans un article consacré au phénomène, le site (laïque et agnostique) Mother nature network explique :
« La pression en faveur d'un “grand réveil” écologique a monté en avril lorsque la plate-forme a explosé. C'est parti en même temps de la gauche du mouvement et des groupes théologiques plus conservateurs, qui avaient lancé auparavant le slogan “What would Jesus drive ? ” (quel genre de voiture Jésus conduirait-il ? ). Il s'agissait alors de promouvoir des véhicules moins gourmands en essence. »
Le pétrole ne s'use que si l'on s'en sert
De gentilles blagues fusent désormais sur le thème : « Où Jésus choisirait-il de forer ? », histoire de faire réfléchir les inconditionnels des puits de pétrole en mer.
C'est qu'en Alabama, Mississippi et surtout Louisiane, où la loyauté envers l'industrie pétrolière et gazière est plus forte que jamais en dépit de l'accident de BP, condamner les combustibles fossiles ne va pas de soi :
« Dieu a placé du pétrole à cet endroit. Il l'a mis là pour qu'on s'en serve et qu'on en use avec responsabilité. »
Sarah Palin ne dit pas autre chose ! Lorsque je suis allée là-bas en juin, j'ai davantage entendu ce son de cloche que la voix discordante des chrétiens très verts. Le fait est, cependant, que bien des certitudes ont été ébranlées quant aux inaltérables bienfaits de l'or noir.
Et puis, cette déconcertante nouvelle m'est parvenue, par le biais du même Mother nature network qui a sélectionné un intéressant article d'Associated Press : les pélicans, les tortues, les dauphins et les autres bestioles marines ne sont pas seuls à pâtir de la marée noire.
La cohue dans les refuges de la SPA
Les chiens et les chats, qu'ici on appelle des « pets » (animaux de compagnie), sont bazardés en masse par leurs propriétaires dans les refuges, qui débordent de partout.
Dans la commune de Saint-Bernard, 117 abandons en juin, contre 17 le même mois en 2009. A Violet, 288 en mai, contre 60 un an avant. Des chiens et des chats de race ou du moins vaccinés, en pleine forme mais abandonnés, pauvres pépères !
A Saint-Bernard, toute l'activité humaine est liée au golfe. Les habitants sont pêcheurs ou travaillent sur les plates-formes, ou sont dockers sur les immenses quais du Mississippi. Une inspectrice vétérinaire municipale raconte :
« Sasha, une labrador rousse, a été déposée en compagnie de ses neuf chiots âgés d'un jour par un employé de BP qui a eu trop de travail du jour ou lendemain. Il ne pouvait plus s'occuper de ses chiens. »
D'autres ont été apportés par des pêcheurs soudainement privés de revenus, ou encore par des familles forcées de quitter leurs maisons trop chères pour aller vivre en appartement, où les animaux sont interdits.
Les abandons d'animaux s'accroissent pendant les crises
Selon la SPCA -la SPA américaine-, le phénomène est le même à chaque crise économique : des millions d'animaux ont été abandonnés en 2007 et 2008. L'organisation caritative de la Nouvelle-Orléans, Catholic Charities, a monté un partenariat avec la SPCA de Louisiane :
« Entre nourrir votre famille ou nourrir votre chien, vous n'hésitez pas longtemps, c'est normal. »
La Catholic Charities n'est pas la seule organisation religieuse à aider la SPCA à faire face au problème. D'autres églises dévient une partie de leur budget caritatif vers la SPCA, laquelle organise des distributions de nourriture animale aux refuges surpeuplés.
Pour éviter d'euthanasier les bêtes, la SPCA organise le transports des animaux les plus « adoptables » vers d'autres Etats, espérant leur trouver des nouveaux maîtres.
Enfin, toujours initié par la SPCA, un programme de vaccination et de visites médicales gratuites est en train de se mettre en place à destination des propriétaires qui n'ont plus les moyens de se conformer aux règlements municipaux régissant la vie de leurs « pets ». Il s'agit de prévenir d'autres abandons.
Une gastronomie locale un peu lourde
Parlons maintenant de ceux qui ont encore les moyens de songer à se faire simplement plaisir en mangeant des bonnes choses, chez soi ou au restaurant.
En Louisiane, mais aussi dans les Etats voisins largement influencés par la gastronomie cajun, on mange rarement léger : des légumes au riz, de l'alligator aux mollusques, on frit et on touille dans des sauces à base de litres d'huile roussie (les fameux roux). C'est diététiquement atroce mais délicieux.
Une des grandes fiertés des chefs locaux est de cuisiner des produits du cru. Or, si pour les légumes et le riz, cela va encore, la marée noire est un coup dur majeur pour les produits du delta et de la mer. Adieu crevettes, huîtres et poissons du golfe ou même du delta !
Pour ceux que ce sujet passionne, le Time-Picayune de la Nouvelle-Orléans a enquêté dans les cuisines de sa ville. On y apprend qu'un restaurant a eu l'idée de réhabiliter un plat autrefois populaire en Louisiane, progressivement abandonné à cause de l'aversion des Américains pour les abats : les brochettes de foie de poulet (locale, la volaille ! ), pour remplacer les brochettes d'huîtres. Pas sûr que ça marche.
Enfin, pour prévenir toute remarque sardonique, je précise que personne n'a encore tenté d'accommoder en sauce les chiens et chats qui, eux, ne sont pas en rupture de stock.
Hélène Crié-Wiesner