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lundi 16 août 2010

Comment spéculer sur le prix du blé grâce à la météo

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« Les spéculateurs ont trouvé leur nouvelle Grèce », accuse un eurodéputé. Et sans que la pénurie menace.




Inondations au Canada, incendies en Russie : cette année, les spéculateurs misant sur les céréales sont gâtés. Avec un coup de froid en Argentine ou en Australie, leur bonheur serait complet. Explications.

Le cours du blé s'envole, entraînant avec lui celui des autres produits agricoles. Sur le marché parisien, le prix de la tonne de blé s'était maintenu en dessous de 140 euros jusqu'en juillet. Ce vendredi, il dépassait 214 euros. Depuis le début de l'année, il a grimpé de presque 64%.

Un embargo sur les exportations en Russie

La principale explication se trouve en Russie. Troisième exportateur mondial de blé, le pays a perdu un quart de ses récoltes avec la canicule et les incendies. Ce dimanche, l'embargo sur les exportations de blé décrété par le gouvernement est entré en vigueur. Il durera au moins jusqu'au 31 décembre.

Spectaculaires, les incendies en Russie n'expliquent pas tout :

◦au printemps, dans l'ouest du Canada, de fortes pluies et des inondations ont empêché les cultivateurs d'ensemencer leurs terres ;

◦en juin, l'Union européenne a subi des températures élevées ;
◦actuellement, outre la Russie, deux autres grands exportateurs de l'ex-URSS souffrent de la sécheresse : l'Ukraine et le Kazakhstan.

Les deux principaux exportateurs de l'hémisphère sud, l'Argentine et l'Australie, récolteront en décembre. D'ici là, donc, « il y a encore des risques d'accidents climatiques », note Michel Portier, directeur d'Agritel, agence de conseil spécialisée dans les matières premières agricoles. Et les perspectives mondiales pour 2011 ne sont pas favorables :

« La Russie et l'Ukraine sèment fin août et début septembre, avant un hiver rigoureux. La sécheresse va retarder les semis, et la plante sera un peu plus fragile pendant l'hiver. »

Pas encore de pénurie

Pourtant, on serait encore loin d'une pénurie de blé. Début août, le FAO, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, a revu à la baisse ses prévisions de production pour 2010 : 651 millions de tonnes, contre 676 millions prévus en juin. Son constat se veut rassurant : « Les stocks de blé restent élevés malgré la hausse des prix. »

Comment, alors, expliquer une hausse aussi spectaculaire ? « Les spéculateurs ont trouvé leur nouvelle Grèce », accuse le député européen Marc Tarabella dans un communiqué :

« Les matières premières réagissent comme tous les autres marchés. Les vautours de la finance créent un climat de doute dont ils se nourrissent. La peur de manquer de blé l'emporte sur une réelle pénurie. »

Des produits financiers comme les autres

Le FAO s'inquiète elle aussi de la spéculation sur les produits agricoles. Dans une note de synthèse publiée en juin, l'organisation onusienne estimait que la hausse des prix « pourrait avoir été amplifiée par la spéculation sur les marchés à terme organisés ».

Sur ces marchés à terme, vendeurs et acheteurs s'accordent à l'avance sur le prix et la date de livraison des marchandises : une manière de se protéger contre une baisse des cours pour les vendeurs, et contre une hausse pour les acheteurs. Conçus d'abord comme une assurance pour les professionnels, les contrats à terme sont devenus des produits financiers à part entière, constate le FAO dans sa note :

« Les contrats à terme sont généralement négociés [revendus ou annulés, ndlr] avant leur date d'expiration. En conséquence, les contrats à terme attirent également des investisseurs qui ne s'intéressent pas à la marchandise en tant que telle, mais qui souhaitent réaliser un profit spéculatif.

Les contrats à terme sur marchandises attirent de plus en plus les investisseurs non-commerciaux étant donné que leur rentabilité semble être en corrélation négative avec la rentabilité des actions et des obligations. Ils constituent donc une manière intéressante de diversifier un portefeuille. »

Un manque de transparence sur les marchés

Le FAO et les observateurs restent pourtant prudents sur l'impact réel de la spéculation. Chez Agritel, Michel Portier explique :

« Ce n'est pas décelable ou mesurable. La spéculation exagère les mouvements, amplifie les hausses et les baisses, mais ce n'est pas mathématique. »

L'envolée des cours relance en tout cas le débat sur la régulation des marchés agricoles. Et notamment sur les deux principaux, ceux de Chicago et de Londres. Michel Portier appelle ainsi à davantage de transparence :

« Il faudrait qu'on puisse connaître les volumes échangés par les professionnels et par les spéculateurs. C'est le cas à Chicago, où vous devez déclarer le statut de votre société, mais ce n'est pas le cas à Londres. »

Un effet de contagion

Une transparence d'autant plus souhaitée que le cours d'une matière première peut influer sur celui de toutes les autres. « C'est un peu contagieux », résume Michel Portier :

« Il y a un effet de contagion par familles végétales. Pour les céréales, le blé a un impact sur le maïs : si le blé augmente, le maïs servira de substitut dans l'alimentation des bovins, et son cours augmentera.

Il y a ensuite des effets induits, par exemple sur le colza. Les agriculteurs vont semer plus de blé, et les surfaces de colza diminuant, son cours augmentera. »

François Krug