Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

mercredi 1 septembre 2010

L'EXÉCUTION DE CARDINAL

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La Brasserie du Cardinal à Fribourg fermera en juin 2011. 75 employés perdent leur emploi. Le monde politique se dit choqué par une telle mesure communiquée lundi soir seulement. Voici 14 ans, la brasserie était déjà menacée de fermeture. Retour sur un soutien sans précédent.

La nouvelle s'est abattue sur Fribourg comme un coup de massue: adieu Cardinal, la brasserie sise en ville depuis 1788 sera définitivement fermée en juin prochain. Propriétaire du site depuis 1996, Feldschlösschen a annoncé hier que la production de la deuxième bière de Suisse serait délocalisée à Rheinfelden, où elle brasse l'essentiel de ses mousses. La maison argovienne répond ainsi aux exigences du groupe danois Carlsberg, qui l'a absorbée il y a dix ans.Dans les cuves de Rheinfelden, les recettes originales de la bière fribourgeoise seront suivies à la lettre, promet Feldschlösschen, et la marque Cardinal continuera d'exister. Le sponsoring d'événements culturels et sportifs en son nom sera également maintenu. Les 75 postes de Fribourg seront en revanche supprimés. Dix-huit personnes partiront en retraite anticipée. Les plus jeunes employés se verront proposer d'autres emplois au sein du groupe. Quant au site, qui occupe une surface de 53 000 mètres carrés au coeur de la ville, Feldschlösschen entend le céder le plus avantageusement possible.

Enjeux internationaux

Derrière la décision, une logique économique qui dépasse largement le cadre régional: «Carlsberg a décidé de transférer une commande importante de la Suisse à la France, nous devons donc adapter nos capacités», pose Thomas Metzger, directeur général de Feldschlösschen. Courant août, la direction de Carlsberg, numéro 4 mondial de la cervoise, a en effet décidé de transférer la production de ses bières sans alcool vers les cuves françaises de Kronenbourg, une autre de ses propriétés. De quoi amputer la production annuelle de Feldschlösschen - Cardinal incluse - de 20%. En volume, cela correspond à 450 000 hectolitres... soit l'équivalent de ce qui se fermente chaque année à Fribourg.La décision s'est prise sans trop d'hésitations. «Depuis des années, l'usine Cardinal ne fonctionne qu'à 40% de sa capacité de production», souligne Thomas Metzger, «tandis que le site de Rheinfelden tourne à 90%». Le directeur refuse de dire si le site fribourgeois, sur lequel le groupe a investi des montants de l'ordre de 10 millions de francs, était malgré tout rentable. Mais il insiste: le maintien d'un site démesurément grand n'est pas viable. Car les responsables de la bière du château sont catégoriques: ni eux ni Carlsberg ne sont les fossoyeurs de la Brasserie du Cardinal. Au contraire, ils l'ont gardée en vie jusqu'à ce jour parce qu'ils ont, politiquement, choisi de lui confier la fabrication de certains produits.

Pas de «happy end» en vue

Aujourd'hui, la décision de fermeture est irrévocable, insiste Thomas Metzger. Et ce, même si politiques et population devaient s'embarquer dans un «Sauver Cardinal 2». En 1996, la première tentative de fermerture du site avait en effet provoqué un électrochoc dans la région, mobilisant jusqu'à 10 000 manifestants dans les rues de Fribourg (lire en page 4). Au point de faire céder Feldschlösschen, qui avait alors promis le maintien du site jusqu'en 2004. Mais quatorze ans plus tard, le scénario ne peut être le même et le «happy end» qu'espéreraient les Fribourgeois n'est qu'un doux rêve, selon le patron.«La concurrence est de plus en plus forte», insiste ainsi Thomas Metzger. A l'Association suisse des brasseurs, le directeur Marcel Kreber confirme: «En Suisse, la consommation de bière est stable. Mais la part des importations a explosé. En 2009, les bières étrangères représentent plus de 20% de la consommation nationale. Certaines sont moins chères que les bières suisses». Sans compter que les ventes reculent dans les bistrots et se reportent sur les supermarchés, poursuit le spécialiste, là où le facteur prix est très important.

Pouvoir au Danemark

Le directeur de Feldschlösschen insiste aussi sur le fait qu'aujourd'hui, il n'y a plus 220 postes en jeu, mais 75. Et ajoute que les conditions proposées aux employés concernés sont bien meilleures que ce qui les attendait dans les années 1990. Pour toutes ces raisons, Thomas Metzger ne craint pas la colère de la rue. Au point qu'il oublie de mentionner l'élément prépondérant dans l'irréversibilité de la décision.C'est qu'aujourd'hui, le pouvoir n'est plus, comme en 1996, aux mains des Argoviens. Ceux-ci l'ont cédé aux Danois lorsqu'ils sont passés dans le giron d'un Carlsberg coté en bourse, qui règne sur un empire de 45 000 employés. Un groupe qui ne manifeste pas d'émotion particulière à l'égard des fermetures de sites. En 2006, la multinationale décidait ainsi de boucler sa brasserie de Valby, aux abords de Copenhague. Fondée en 1847 par Jacob Christian Jacobsen, elle était le premier site de fabrication de la Carlsberg. Ses activités furent donc délocalisées à l'usine de Fredericia en 2008, au nom de la rationalisation.

Un colosse sans visage

L'histoire repasse ses plats: même brutalité dans l'annonce, même mépris des autorités locales, mêmes drames pour les collaborateurs, même amertume de voir disparaître les vestiges d'une tradition brassicole vieille de plus de deux siècles. 1996-2010, même menu: celui d'une collation de mise en bière. Mais cette fois, les espoirs d'une survie de Cardinal à Fribourg paraissent ténus, et ce ne sont pas les propos résignés et sans colère du syndic de Fribourg qui feront monter la pression.En 1996, la colère, justement, avait été le levain d'un mouvement populaire inédit dans son ampleur, sa mobilisation et sa réussite. L'ensemble du monde politique s'était levé contre l'agresseur, Feldschlösschen. Dix mille personnes dans la rue et des autorités déterminées avaient rendu révocable une décision «définitive». Après seize mois d'un âpre combat livré sous l'oeil bienveillant de tout le pays - cette résistance aux lois d'airain du marché relevait du cas d'école -, l'armistice concluait à la survie de Cardinal jusqu'en 2004 au moins. Prix à payer: quelques dizaines d'emplois, des faveurs fiscales et sur le prix de l'eau, la promesse d'une valorisation du site immobilier. Mais prédominait le sentiment d'une victoire sur l'impossible, qui réhabilitait le primat de la politique sur l'économie.Malgré une baisse récurrente de la consommation de bière, le site de Fribourg aura prolongé son sursis en s'affaiblissant régulièrement, dans un contexte général marqué par la progression du rouleau compresseur de la mondialisation. Le «prédateur» de 1996, Feldschlösschen, a été avalé par Carlsberg. Pas sûr qu'en décidant de transférer en France une part de la production helvétique, le géant danois (43 000 collaborateurs) ait songé aux 75 personnes de Fribourg... En 1998, David de Fribourg avait vaincu Goliath de Rheinfelden. En 2010, le colosse n'a plus de visage. Le monde est son empire. Bon courage, David!

Louis RUFFIEUX
Linda BOURGET