Le Conseil fédéral a terminé le marathon des négociations avec l’Union européenne et a approuvé le nouvel accord. Mais l’affaire n’est pas encore dans le sac, car le débat de politique intérieure est maintenant à l’ordre du jour. Les syndicats ont un rôle décisif à jouer. S’ils disent «non» à l’accord, celui-ci n’a aucune chance devant le peuple.
Jusqu’à quel point le patron de l'Union syndicale suisse (USS) Pierre-Yves Maillard veut-il jouer au poker? Dans cette interview accordéeé à Blick, il révèle ce qu’il faut faire pour le convaincre du bien-fondé de l’accord. Une chose est sûre: l’obstacle est de taille. «PYM» se montre offensif après la trêve de Noël.
Monsieur Pierre-Yves Maillard, comment avez-vous passé les fêtes de Noël?
Comme chaque année, confortablement installé avec ma famille. Le soir de Noël, nous avons rendu visite à ma mère. Pendant des années, nous avons eu droit à la fondue chinoise, mais cette fois-ci, mes deux sœurs et moi avons contribué au repas. Nous étions responsables du saumon, de la salade de fruits et du vin. A Noël, nous avons fait la fête avec mon beau-père dans le canton de Lucerne.
Le Conseil fédéral a déposé le paquet de l’UE sous votre sapin de Noël. À quel point vous réjouissez-vous de ce cadeau?
J’aimerais pouvoir échanger ce cadeau. Le résultat actuel est inacceptable. Le Conseil fédéral a sacrifié notre protection salariale! Nous ne pouvons tout de même pas présenter au peuple un paquet qui sacrifie la protection des salaires suisses.
«Monsieur Maillard ne doit pas être déçu», rétorque la présidente de la Confédération Viola Amherd pour Blick. Le niveau de protection des salaires sera maintenu
C’est ce que j’ai lu. De même qu’elle mentionne la clause de non-régression comme un bon résultat du Conseil fédéral. Mais savez-vous comment cela s’est réellement passé?
Racontez-nous
Nous avons obtenu cette clause de non-régression lors d’une réunion de deux heures entre les partenaires sociaux et le commissaire européen Maros Sefcovic. C’était il y a un an et demi. Nous lui avons fait comprendre qu’une reprise dynamique du droit dans le domaine de la protection des salaires était inacceptable. Parce que nous ne savons pas si la protection des salaires au niveau de l’UE sera affaiblie à l’avenir. À la fin, Maros Sefcovic a mis cette clause sur la table. Ce sont donc les partenaires sociaux – et non le Conseil fédéral – qui ont obtenu la soi-disant principale amélioration de la protection des salaires.
Ils obtiennent une garantie de protection salariale et ne sont pourtant pas satisfaits?
Oui, parce que ce n’est pas le niveau de salaire actuel qui est garanti, mais celui qui a été renégocié. Cela signifie une détérioration massive par rapport à aujourd’hui dans quatre domaines. Le délai de préavis est réduit de huit à quatre jours. L’obligation de déposer une caution, un instrument efficace et préventif, est pratiquement supprimée. Il en va de même pour l’interdiction de fournir des services aux entreprises qui enfreignent la loi sur les travailleurs détachés. Mais le point le plus grave est la réglementation européenne sur les frais, que nous devons reprendre.
Ainsi, les travailleurs détachés ne recevraient plus que les frais – généralement plus bas – du pays d’origine. Le Conseil fédéral laisse entendre qu’il n’appliquerait tout simplement pas cette réglementation, comme d’autres pays de l’UE. Problème résolu
Pas du tout! Même si nous légiférons pour que les taux de frais locaux s’appliquent à tous, il reste le risque que cette réglementation soit contestée juridiquement, car le traité de l’UE est supérieur à notre loi. Le Tribunal fédéral pourrait appliquer la règle de l’UE – avec de graves conséquences.
Et concrètement?
Les travailleurs détachés seraient moins chers que nos propres travailleurs, car ils recevraient moins de frais. Cela augmenterait la pression sur les salaires nationaux, et deviendrait un problème pour l’industrie locale. La pression sur les conventions collectives de travail augmententerait également pour qu’elles adaptent les taux de frais à la baisse. Des centaines de milliers d’employés risquent ainsi de voir leur situation se dégrader dans notre pays. Le Conseil fédéral a raté l’occasion de s’adresser clairement à l’UE.
La cheffe du Seco Helene Budliger Artieda a pour mission de trouver une solution de politique intérieure. Que demandez-vous?
Il faut s’assurer que les frais soient payés selon le principe du lieu. Si cela ne suffit pas par la loi, le Parlement doit adapter l’accord de l’UE en conséquence. Nous voulons une garantie.
Où voyez-vous d’autres possibilités de mesures de compensation?
Contrairement aux employeurs, nous avons fait de nombreuses propositions lors des discussions avec la Confédération. Par exemple, l’extension facilitée des conventions collectives de travail, une plus grande responsabilité des donneurs d’ordre en cas d’abus ou moins de marge de manœuvre pour le travail temporaire.
Les mauvaises langues disent que les syndicats ne cherchent qu’à pouvoir faire encore plus de contrôles du travail parce que cela leur rapporte des millions
Ah, ce reproche revient toujours. Il y a deux possibilités: soit on contrôle les conditions de travail, soit on ne les contrôle pas et les salaires baisseront. Soit l’Etat se charge des contrôles, soit ce sont les partenaires sociaux qui s’en chargent de manière paritaire. Personne ne le fait gratuitement. Les contrôleurs des employeurs non plus.
Derrière des portes closes, les partenaires sociaux négocient depuis des mois des mesures de politique intérieure. Ils auraient donc le pouvoir de forger des compromis dans ce domaine
Ce n’est malheureusement pas si simple. Les employeurs et les bourgeois qui leur sont proches profitent du débat sur l’Europe pour faire avancer des libéralisations qui n’ont en soi aucune chance d’aboutir. De manière générale, l’envie de signer de nouveaux traités européens ne semble pas particulièrement forte, ni chez les employeurs, ni chez les PLR et les centristes.
Ils pourraient se secouer et élaborer une solution viable avec le chef du PLR Thierry Burkart ou le chef du Centre Gerhard Pfister
Nous y sommes volontiers disposés. Il faut encore souligner un point. Nos exigences sont modérées! Au Luxembourg, pays modèle de l’UE, il existe deux salaires minimums nationaux et des augmentations de salaire automatiques en cas d’inflation. Nous ne sommes jamais allés aussi loin, même si les employeurs aiment présenter les choses autrement.
Tout est de la faute des employeurs?
La question est plutôt la suivante: qu’est-ce qui a changé dans le débat sur l’Europe? La réponse est simple: les employeurs et les partis bourgeois accordent moins d’importance à un accord avec l’UE. Soit ils obtiennent des libéralisations sur le marché du travail et le service public grâce à l’UE, soit ils acceptent un échec. Mais ils ne le disent pas haut et fort. A part les syndicats, personne ne parle clairement.
Au moins, cela donne beaucoup de poids à votre opinion
Derrière les portes closes, beaucoup disent que le nouvel accord de l’UE a de toute façon peu de chances d’aboutir. Mais, a qui la faute? Même si nous défendons le strict minimum, nous sommes désignés pour ce rôle. Ce n’est pas sincère.
Vous vous voyez comme un bouc émissaire?
Les mêmes personnes qui nous ont critiqués pour l’échec de l’accord-cadre disent maintenant que ce nouveau résultat est bien meilleur. Cela montre que nos analyses ne peuvent pas être si fausses. Mais ce que d’autres nous reprochent m’est égal. Pour nous, le dernier mot reviendra à la base électorale. Elle est notre boussole. Si la protection autonome des salaires et la protection du service public ne sont pas garanties, nous dirons «non».
En vous écoutant, on a du mal à imaginer que vous puissiez encore changer d’avis
Nous ne pouvons pas approuver ce que le Conseil fédéral a présenté jusqu’à présent. Mais parlons maintenant du plus important! Le Conseil fédéral doit faire preuve de transparence. Nous demandons au Conseil fédéral de rendre le texte du traité accessible au peuple. Nous voulons pouvoir lire la version originale en anglais dès maintenant.
Le Conseil fédéral a publié douze fiches d’information expliquant le résultat des négociations
C’est un pur exercice de relations publiques. Nous ne voulons pas de propagande, nous voulons que ce soit écrit noir sur blanc. Cela devrait aller de soi. Sinon, le débat est superflu.
Si votre combat contre l’accord avec l’UE se poursuit, vous devriez faire équipe avec Christoph Blocher, le grand-père de l’UDC. Le tribun de gauche Maillard aide le tribun de droite Blocher… côte à côte?
Monsieur Blocher était favorable à l’augmentation de l’âge de la retraite à 67 ans et plus, il n’est pas favorable à la protection des salaires. Nous ne sommes pas du tout d’accord. En outre, les libéralisations du marché du travail, du marché de l’électricité et du secteur ferroviaire contenues dans ce traité sont en fait son programme économique. L’opposition de Blocher est institutionnelle, la nôtre est matérielle. Nous ne ferons pas la même campagne.
Vous n’aidez donc pas Blocher, c’est Blocher qui vous aide
Ce genre de questions ne m’intéresse pas. Les syndicats ne sont pas nationalistes. Ils défendent les intérêts des travailleurs et travailleuses. Les syndicats ont toujours soutenu les accords bilatéraux, à condition que les salaires et les conditions de travail soient protégés.
Ils ne parlent que de la protection des salaires. Mais vous n’êtes pas seulement chef syndical, vous êtes aussi conseiller aux Etats socialiste. Et en fin de compte, le nouvel accord de l’UE n’est pas si mauvais
En tant que socialiste, les intérêts des travailleurs ont toujours été ma priorité. Et il en va de même pour d’autres au sein du Parti socialiste (PS).
Vous ignorez le fait qu’il y a aussi des amis de l’UE dans votre parti
Tout le monde au PS comprend la position des syndicats. Les priorités ne sont peut-être pas toujours les mêmes. Mais tous veulent garantir la protection des salaires. Il est possible qu’au final, certains considèrent le paquet comme suffisant, d’autres non.
Le PS risque de se diviser
Dans tous les partis, il existe des positions parfois divergentes sur des sujets aussi complexes, c’est ainsi que fonctionne la politique.
Vous vous opposeriez à votre propre parti dans une campagne de votation?
Je ne me pose pas ce genre de questions aujourd’hui. J’espère en premier lieu que nous pourrons convaincre les syndicalistes au sein du PS et des autres partis.
Ruedi Studer
Sven Altermatt