La Guinée-Bissau, où l'on parle portugais, fait partie de l'OIF, mais pas l'Algérie. A l'heure du Sommet de Montreux qui s'ouvre aujourd'hui, c'est l'une des bizarreries de la Francophonie. Laquelle était appelée hier à tenir ses engagements sur le plan des droits de l'homme.
Pourquoi la Guinée-Bissau (1% de francophones) en fait-elle partie, et pas l'Algérie avec ses 23 millions de francophones? Pourquoi Israël, avec son million de francophones, en est exclu? Pourquoi l'Italie, dont une région du nord a une vieille tradition française, reste-t-elle en dehors? La Francophonie est devenue une énorme machine avec ses bizarreries et ses tabous politiques. A l'heure du Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, qui s'ouvre aujourd'hui à Montreux, trois exemples parmi les plus symptomatiques.
Algérie: le poids de l'histoire
C'est évidemment le cas le plus extrême. Second pays francophone au monde, largement devant le Canada ou le Maroc, l'Algérie n'appartient toujours pas à la Francophonie, même en qualité de pays observateur! Les raisons de l'absence algérienne sont liées aux divers contentieux existant encore entre la France et son ex-colonie. Entre les deux pays, un jeu complexe s'est instauré sur les conditions d'un rapprochement algérien de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
En 2002, lors du IXe Sommet de la Francophonie à Beyrouth, le président Bouteflika (invité par le président libanais) prononça un vibrant discours sur l'ouverture de son pays au monde extérieur. Malgré certains espoirs, la démarche ne fut pas suivie d'une demande d'adhésion officielle (chaque pays candidat doit le faire).
Selon les analystes de la question, Alger cherche désormais à «négocier» politiquement une éventuelle adhésion. Une adhésion qui pourrait apparaître comme une victoire de Paris, un retour dans le giron de l'ex-mère patrie. Ainsi, plus que pour aucun autre pays, l'adhésion éventuelle de l'Algérie a pour préalable un «aggiornamento» officiel des relations avec les deux pays. Secrétaire général de l'OIF, Abdou Diouf le rappelait récemment: «nous souhaitons ardemment que l'Algérie rejoigne l'OIF. C'est à elle de se décider.»
Israël: impasse libanaise
Tout aussi politique, mais dans un contexte très différent, est l'exclusion d'Israël de l'OIF. Dans les années 1960-70, Israël participe à titre d'observateur informel aux grandes conférences de la Francophonie. Mais l'arrêt des relations entre Israël et l'Afrique francophone stoppe alors une première fois le rapprochement. En 1993, une procédure d'adhésion est lancée, avec l'appui de Paris. Nouvelle rechute: l'occupation par Tsahal du sud-Liban suscite l'opposition de Beyrouth (il faut l'accord unanime des pays membres pour pouvoir adhérer à l'OIF).
La résistance du Liban, mais aussi les réticences d'autres pays africains, continue d'empêcher l'incorporation d'un Etat où le français est parlé par environ 20% de la population. La culture française y est bien implantée, en dépit de la prérogative de l'anglais et l'appartenance évidente d'Israël à la sphère anglo-saxonne. Devant l'échec des années 90, les Israéliens ont opté pour une stratégie d'approche progressive, en adhérant à certains réseaux de l'OIF, à l'exemple de l'Agence universitaire de la Francophonie (échanges entre 750 hautes écoles dans le monde).
Côté israélien, l'absence du pays à l'OIF est attribuée à une double raison. L'opposition persistante du Liban, pour des raisons évidentes, mais aussi le blocage psychologique de la France lié à sa politique dans la zone proche-orientale. Ces dernières années, de nouveaux appels ont été lancés en faveur de l'adhésion d'Israël à la Francophonie...
Italie: une tradition en recul
Le cas italien est moins épineux, mais tout aussi révélateur. Avec le Val d'Aoste, l'Italie possède une enclave où le français est langue officielle. Par ailleurs, une longue tradition unit l'Italie et la France - bien avant l'ère Bruni-Sarkozy... On estime que l'Italie recense quelque 19% de francophones, le français étant la seconde langue vivante étudiée au secondaire.
Pourtant, les études montrent un recul du français en Italie, notamment dans le Val d'Aoste. Certes, une délégation du Val d'Aoste assiste aux Sommets de l'OIF où il a un statut particulier. Mais le fait que l'Italie ne puisse envisager d'adhérer à la Francophonie tient aussi à la rivalité entre deux deux cultures entretenant chacune une présence internationale forte et de longue date. En ce sens, vu de l'extérieur, l'OIF reste encore trop identifiée à son noyau dur, la France, et aux intérêts politiques de celle-ci sur la scène internationale.
Bizarreries francophones
On pourrait multiplier les exemples de bizarreries qui jalonnent les processus d'intégration à la Francophonie. Pourquoi le Canada, par exemple, compte-t-il pour trois, puisque non seulement l'Etat canadien, mais aussi le Québec et le Nouveau-Brunswick en font partie (en qualité de gouvernement doté de compétences internationales)? Pourquoi l'Etat de Louisiane, avec ses 7% de francophones, ne peut pas devenir membre?
Il y a quelques jours, l'ex-premier ministre Jean-Pierre Raffarin, représentant spécial de Nicolas Sarkozy, reconnaissait l'impossibilité d'aller plus loin pour l'instant avec la Louisiane. Cette dernière étant un Etat fédéré au sein des Etats-Unis, «il n'y a pas encore de procédure d'intégration», devait-il souligner. «C'est déjà un pas considérable que la Louisiane soit invitée.» La Francophonie, ou l'art des petits pas...
Pascal BAERISWYL