La Banque centrale européenne a peu goûté le scénario du président de la Banque nationale suisse prévoyant un euro à 50 centimes. D’autant moins que ces prévisions mettent de l’huile sur le feu alors que la zone euro se démène pour rassurer les marchés. Et qu’elles sont très farfelues.
Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne (BCE), voit rouge contre la Suisse. En cause: les récentes déclarations de Philipp Hildebrand, président de la Banque nationale suisse (BNS), qui prévoit un euro à 50 centimes suisses! Selon les journaux alémaniques «Weltwoche» et «Sonntag», le patron de la BNS aurait soufflé cette prévision-catastrophe au Conseil fédéral lors de la rencontre annuelle entre celui-ci et le directoire de la BNS. Une information que ne souhaite pas confirmer Werner Abegg, responsable de la communication de la BNS: «Ce sont des discussions confidentielles.» Pour éteindre l'incendie et couper les ailes à la rumeur, la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf a affirmé hier que les propos prêtés dans la presse à Philipp Hildebrand au sujet de l'euro à 50 centimes n'avaient jamais été tenus devant le gouvernement.
Le mal est fait
N'empêche, le mal est fait du côté de la BCE. «Les prévisions de Philipp Hildebrand sont complètement exotiques», affirme Stefano Nardelli, porte-parole de la BCE. «Pour nous, c'est un scénario très peu crédible même si on peut accepter que chaque gouvernement fasse des hypothèses et des prévisions sur un euro très faible. Reste que dans un marché mal en point et en pleine spéculation, l'Europe attendait une position beaucoup plus sage de la part de la Suisse. Nous ne pensions pas que la BNS puisse se lancer dans ce scénario du pire, pas très réaliste. Ce genre de position effraie le marché.»En outre, cette «prophétie helvétique» tombe au plus mal. Les Vingt-Sept rament ces jours-ci pour afficher une unité de façade et pour faire face à la crise de leur monnaie. Il y a quelques jours, l'UE a approuvé à Bruxelles un accord historique afin de sauver coûte que coûte la zone euro grâce à un mécanisme permanent de stabilité. Avec l'appui du FMI, ce Meccano financier de stabilité a permis de constituer un fonds de quelque 750 milliards d'euros destiné à aider les pays qui ne sont plus en mesure d'obtenir eux-mêmes un refinancement de leurs dettes publiques.En même temps, il ne se passe pas une semaine sans que la BCE n'achète des obligations publiques des pays les plus touchés, notamment le Portugal, la Grèce et l'Irlande, afin de tenter d'atténuer la hausse constante de leur taux d'intérêt. Les 27 ont également affirmé que la taille du fonds d'aide pourrait être relevée en fonction des besoins avant 2013. Ils ont aussi lancé l'idée de créer des obligations communes dans la zone euro, appelées «eurobonds».A Bruxelles, où l'UE bataille sur tous les fronts pour sauver le «soldat euro», on comprend d'autant moins la prise de position «officieuse» de la BNS affirmant que la Suisse a intérêt à ce que la monnaie européenne stoppe sa descente aux enfers et retrouve rapidement une certaine stabilité. De fait, un euro trop faible a des conséquences négatives pour l'économie helvétique.
Les gros achats
A commencer par la BNS elle-même. Elle a dû acheter «en sous-marin» pas loin de dix-sept milliards d'euros afin de stabiliser sa monnaie au seuil fatidique de 1,37 franc pour un euro. Un seuil vite balayé puisque ce dernier s'échangeait en début de semaine à 1,26 franc. Un record. A ce rythme, la parité entre les deux monnaies est toute proche même si la prévision à 50 centimes reste peu plausible. Autre tuile pour Berne: la revalorisation de la monnaie suisse a entraîné des pertes de change de 21,2 milliards de francs sur les placements de la BNS en euro, faisant plonger ses comptes dans le rouge. Pire, la note est encore plus salée. La part de l'euro dans le porte-monnaie de la BNS a quadruplé en deux ans, passant de 21,9 milliards à 80,5 milliards de francs, soit 65% de ses réserves de devises.L'industrie suisse, qui exporte 60% de sa production vers la zone euro, a aussi beaucoup à perdre avec un franc fort, qui plus que jamais joue son rôle de monnaie refuge pour des investisseurs déstabilisés et qui tentent de prévenir la prochaine crise en Europe: celle de l'Espagne.Un danger que relativise néanmoins Sergio Rossi, professeur d'économie à l'Université de Fribourg: «L'industrie suisse est moins exposée à la volatilité des taux de change qu'on le pense. Nos exportations sont diversifiées sur le plan géographique. Enfin, la qualité élevée des biens «made in Switzerland» en fait des produits recherchés. La spéculation sur les taux de change des devises reste l'une des seules activités où les professionnels pensent être capables de gérer les risques à présent...»Reste que les entreprises suisses commencent à souffrir de cette situation. Plusieurs ont déjà fait savoir que le franc fort leur coûte des millions et attendent des conseillers fédéraux Evelyne Widmer-Schlumpf et Johann Schneider-Ammann une réaction rapide. Des patrons ont déjà menacé de délocaliser leur production ou de licencier pour rester compétitifs au niveau international.
Cherche solutions...
Dès lors quelles solutions? Faut-il dévaluer le franc suisse? Une option que s'interdit Philipp Hildebrand alors que la BCE appelle tout le monde à se calmer et les Suisses à ne pas mettre plus d'huile sur le feu qui brûle l'euro. Pour Sergio Rossi, il ne faudra pas s'entêter à vouloir contrôler les taux de change, mais plutôt «réintroduire le contrôle des mouvements de capitaux qui déstabilisent les taux de change. Ces flux relèvent de la spéculation à court terme et n'apportent aucune contribution à la stabilisation des marchés».
SID AHMED HAMMOUCHE