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mardi 11 janvier 2011

Le patois, un bouc émissaire commode

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L’interdiction du patois, décrétée en 1886, entendait remédier aux mauvais résultats fribourgeois lors des tests de connaissance générale organisés par Berne. L’historienne Irma Gadient a consacré son travail de master à cet épisode, à l’origine du déclin du patois.

«L'usage du patois est sévèrement interdit dans les écoles; la langue française et l'allemand (Schriftdeutsch) sont seuls admis dans l'enseignement. Les instituteurs veillent à ce que, en dehors de l'école et dans les conversations entre enfants, il en soit de même.» Telle est la teneur de l'article 171 du Règlement d'exécution de la loi scolaire fribourgeoise entré en vigueur le 9 juillet 1886. A cette date, la pratique du patois était déjà en net recul dans le canton de Fribourg, sauf en Gruyère. Mais la nouvelle législation a sans doute accéléré sa quasi-éradication. La répression du dialecte alémanique, également prévue par le texte, n'a en revanche jamais trouvé d'application.L'historienne Irma Gadient, assistante diplômée en histoire contemporaine (section germanophone) à l'Université de Fribourg, s'est penchée sur cette tentative d'intervention active sur la réalité linguistique cantonale. Son travail de master montre que ces mesures ont été décidées sans débat au Grand Conseil, et à l'initiative de l'inspectorat scolaire cantonal - singulièrement du responsable du district de la Gruyère Maurice Progin - soutenu du bout des lèvres par le Conseil d'Etat fribourgeois et par son directeur de l'instruction publique, Henri Gaspard de Schaller.

Le cancre fribourgeois

A peine constitué en 1881, le nouveau gouvernement catholique-conservateur s'est retrouvé dans une situation très délicate, explique Irma Gadient. Les résultats catastrophiques des recrues fribourgeoises aux tests de connaissance générale organisés, à la demande de Berne, par l'armée étaient devenus un sujet de moquerie national, et le Conseil d'Etat craignait de voir la Confédération se mêler de sa politique de formation. Pour en extirper les principes fondés sur l'Eglise et la religion chrétienne.Afin de contrer cette menace, des réformes scolaires avaient été entreprises en 1874 déjà, rappelle Irma Gadient. Un deuxième train de mesures sera lancé en 1884. Entre-temps, les enseignants avaient bénéficié d'augmentations de salaires, et de nouvelles méthodes pédagogiques avaient été mises en place. Un groupe d'inspecteurs scolaires professionnels avait en outre été mis sur pied. Maurice Progin, directeur de l'école secondaire de Bulle jusqu'en 1881, s'était vu confier, cette année-là, l'inspectorat des écoles primaires du district de la Gruyère - dont les recrues étaient, avec celles de la Singine, les plus mal notées aux tests de l'armée.«Le nouveau gouvernement catholique-conservateur voulait montrer qu'il était capable de moderniser son école. L'honneur fribourgeois était en jeu», constate Irma Gadient.

Mais les résultats des recrues fribourgeoises vont encore se détériorer, malgré les réformes. Des résultats qu'il convient toutefois de relativiser, note la chercheuse: les tests étaient souvent réalisés dans de mauvaises conditions, et certaines recrues étaient ivres...Se débattant dans leurs soucis scolaires, les responsables fribourgeois vont alors trouver un bouc émissaire: le patois. «Cela ne s'explique que par l'idéologie linguistique alors en vogue au sein de la francophonie», explique Irma Gadient. Celle-ci n'accordait absolument aucune valeur aux dialectes et aux patois, accusés de tous les maux (lire ci-après).«La stigmatisation du patois était aussi un moyen de compenser les tensions apparues dans ce Fribourg écartelé entre tradition et modernité, et touché par des problèmes sociaux», indique la chercheuse. De larges pans de la population vivaient dans une extrême pauvreté. «Certains enfants devaient travailler, et devaient parfois se partager une paire de chaussures à plusieurs. Il y avait, de ce fait, beaucoup d'absentéisme à l'école», constate Irma Gadient.Pour remplacer le puissant marqueur identitaire qu'était le patois, explique-t-elle, les autorités fribourgeoises ont encouragé une idéologie de la ruralité, accentuant l'image d'un canton de Fribourg proche de la terre.Reste que la restriction du patois a provoqué, d'abord, une levée de boucliers. Même parmi certains représentants de l'élite culturelle et scientifique qui défendaient la richesse de cette langue. Toute cette démarche n'était en outre pas exempte de contradictions: lors des réunions de la Société fribourgeoise d'éducation (SFE), fer de lance de la lutte anti-patois, on entonnait le «Ranz des vaches» avec conviction, sourit Irma Gadient.Quant à la limitation du suisse-alémanique, également prévue par le règlement de 1886, elle ne sera jamais vraiment appliquée. Le conseiller d'Etat Henri Gaspard de Schaller considérait le dialecte - dont la pratique était généralisée, à l'inverse du patois déclinant - comme trop proche de l'allemand pour justifier son bannissement. Ses défenseurs s'appuyaient aussi sur le fait que leur langue était parlée dans des cantons plus avancés économiquement, comme Zurich, et même dans les travées du Conseil national. Ce qui démontrait sa fonctionnalité.

Marc-Roland ZOELLIG