Plusieurs techniques ont fait leurs preuves pour capturer les émissions de C02. Elles représentent un espoir concret dans la lutte contre le réchauffement. Leur principe est simple.
Remplacer le pétrole et le charbon par des énergies renouvelables? Une intention louable. Mais les estimations de l’Agence internationale de l’énergie refroidissent ce rêve d’énergie verte: à l’échelle mondiale, la production d’électricité, qui devra doubler d’ici à 2030, continuera à être fournie en grande majorité (70% dans le monde, 60% en Europe) par les combustibles fossiles.
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, les technologies de capture et stockage du carbone (CSC) semblent incontournables. Le principe est simple: le CO2 produit par la combustion d’éléments fossiles dans la centrale électrique est capturé, pressurisé et acheminé via pipeline vers un lieu de stockage. Une centrale pilote équipée de CSC existe à Schwarze Pumpe (Allemagne) depuis 2008. Construit par Alstom et opéré par le producteur d’énergie suédois Vattenfall, ce projet de 30 MW (contre 500 MW pour une centrale classique) intègre les techniques d’oxycombustion et de capture postcombustion (voir encadré).
En Europe, le charbon a la cote, avec un prix stable ainsi que la présence de mines. La Suisse, elle, n’a pour l’instant aucune centrale thermique, mais pencherait probablement pour le gaz (un seul projet de centrale, à gaz, est en cours, à Chavalon en Valais). «Le prix du gaz est plus volatil, mais il fournit un meilleur rendement que le charbon, dégage moins de CO2 et peut être acheminé par pipeline, au contraire du charbon qu’il faudrait importer par train ou par bateau», note François Maréchal, spécialiste en process engineering à l’EPFL.
Comment piéger le carbone
«Il n’est pas nécessaire d’attendre l’arrivée de technologies révolutionnaires, souligne Marco Mazzotti, professeur à l’EPFZ et l’un des leaders du CSC en Suisse. Depuis des décennies, l’industrie chimique sépare différents gaz à l’échelle industrielle, comme par exemple l’oxygène et l’azote à partir de l’air ou encore le gaz carbonique et l’hydrogène à partir du syngaz, un gaz produit à partir de charbon ou de coke. Ces techniques sont appliquées à très grande échelle dans la production du composé chimique le plus fabriqué au monde: l’urée, qui compose les fertilisants ammoniaqués utilisés par l’agriculture.» L’enjeu est donc d’adapter ces différentes approches à la capture du CO2 (lire ci-dessous). Surtout, il s’agit de réduire au maximum la pénalité due à la capture, qui absorbe une quantité importante de chaleur et réduit ainsi la production d’électricité et la rentabilité de la centrale.
«Pour l’instant, aucune approche ne se distingue encore vraiment, indique François Maréchal, qui évalue à l’EPFL leur potentiel à l’aide de simulations numériques. Leur efficacité dépend fortement de leur intégration au sein de la centrale électrique, du coût des équipements et de leur impact sur la consommation de combustible. Avec nos simulations, nous voulons déterminer la meilleure combinaison de paramètres: type de technologie, taille des équipements, température d’opération, débit du combustible, etc.» Le chercheur utilise des «algorithmes génétiques», qui reproduisent une sorte de jeu de l’évolution basé sur la performance des centrales. Les meilleures configurations peuvent davantage se «reproduire» à chaque génération, avec une petite part de hasard, et finissent ainsi par dominer cet écosystème virtuel.
«Not in my backyard»
L’entreposage est une question cruciale. «Les probabilités de fuite doivent être minimes, explique Marco Mazzotti. C’est moins une question de sécurité — comme le risque d’empoisonnement — que d’efficacité: tout l’effort de capture du gaz carbonique serait complètement vain si celui-ci venait à s’échapper.» Trois procédés de stockage dit «géologique» sont envisagés, comme par exemple l’utilisation de puits de pétrole vides (voir encadré).
L’équipe de Mazzotti poursuit une quatrième voie: transformer le gaz carbonique en roche. «Nous cherchons à accélérer la carbonation, un mécanisme naturel qui piège le CO2 sous forme de carbonates de calcium — qui composent le calcaire et la craie — ou de magnésium — qui forment la dolomite et sont disponibles en grande quantité. Nous travaillons à haute pression et température élevée pour accélérer ce processus.» L’idée serait de stocker les roches carbonées dans les mines d’où furent extraits les silicates utilisés pour la carbonation. Cette approche impliquerait une infrastructure et des coûts de transport conséquents, mais aurait l’avantage d’éviter de devoir surveiller l’entreposage — comme c’est le cas pour le stockage sous forme fluide –, car le CO2 ne s’échappe que très difficilement de la roche solide.
Avec le projet de recherche «Carma», la Suisse veut étudier le potentiel du CSC de manière globale, en analysant l’efficacité de différentes technologies de capture, leur intégration dans les centrales thermiques, les possibilités de transport et de stockage, mais aussi la manière dont le public perçoit le CSC. «D’abord, nous voulons voir ce que les gens savent sur cette technique, explique Marco Mazzotti, coordinateur principal du projet. Ensuite, nous lancerons des projets d’information.» Un objectif est d’anticiper des résistances du type «not in my backyard» (pas dans mon jardin), que l’idée d’entreposage de CO2 ne manquera sûrement pas de produire.
Quel prix pour le CO2?
Selon une étude de McKinsey et Vattenfall, les techniques de CSC pourraient, sur le plan technologique, être déployées d’ici à 2030, pour un coût de 30 à 50 euros la tonne de CO2 capturé. «Le problème principal est que le CO2 n’a pas encore de vrai marché ni de prix clair», explique Marco Mazzotti. Le prix des certificats de carbone européens, qui permettent d’échanger le droit d’émettre du CO2, s’est effondré de 30 euros la tonne en 2006 à 10 cents en 2007. La raison? Les quotas attribués avaient dépassé les émissions comptabilisées… En 2009, il se trouvait autour des 15 euros — un prix à nouveau en dessous des prévisions.
«Fixer un prix du CO2 incitatif au niveau international est une condition nécessaire pour pouvoir investir dans le CSC», affirme Marco Mazzotti. En attendant, les centrales thermiques continuent d’être construites, comme par exemple en Chine, qui en installe deux par semaine pour une puissance de quelque 1 GW — sans technologie de capture du carbone. Soit, chaque année, l’équivalent de trois barrages des Trois-Gorges.
Trois recettes pour capturer le CO2
La première technique s’opère avant la combustion du charbon et s’inspire largement de l’industrie chimique. «A l’aide de vapeur et d’oxygène, le charbon est d’abord transformé en syngas, qui contient principalement de l’eau et du monoxyde de carbone (CO), explique Nathalie Casas, doctorante dans le groupe de Marco Mazzotti. On peut ensuite le transformer en CO2, qu’on récupère, et en hydrogène, qui peut être brûlé dans une turbine modifiée pour produire de l’électricité.»
La capture post-combustion fonctionne en filtrant les gaz produits par la combustion afin d’en extraire le CO2. Elle permet le retrofit, à savoir l’installation sur des cheminées déjà existantes.
Dans ces deux cas, la technique traditionnelle de filtrage se base sur l’absorption du gaz carbonique par un liquide, appelé solvant. Cette approche est utilisée par exemple dans la production de CO2 de qualité alimentaire pour les boissons gazeuses. A Zurich, les chercheurs travaillent sur l’absorption du gaz carbonique par un solide. Ils étudient le charbon actif, obtenu par chauffage de matériaux fossiles tels que la tourbe, le charbon ou le bois. Ce matériau rempli de minuscules trous présente une grande affinité avec le CO2 ainsi qu’une très grande porosité: un seul gramme possède une surface effective de 1’000 m2.
Une troisième méthode de capture, l’oxycombustion, consiste à brûler le combustible avec de l’oxygène au lieu de l’air. L’avantage: les gaz produits ne contiennent que de la vapeur et du CO2, qui est facilement récupéré après condensation de l’eau.
Enterrer le gaz carbonique
Le premier procédé veut remettre le CO2 là d’où il vient, en le réinjectant dans des puits de gaz et de pétrole abandonnés, qui sont par nature étanches durant des millions d’années. Cette approche est utilisée depuis des décennies pour stocker temporairement du gaz naturel déjà extrait. Une deuxième stratégie, mise en pratique en Norvège depuis 1996, consiste à utiliser des aquifères salins, à savoir des formations géologiques constituées par des roches perméables imprégnées d’eau salée. Autre approche: injecter à très haute pression le CO2 dans des veines de charbon situées dans des mines inexploitables. «Très poreux, le charbon contient toujours du méthane dans ses trous, explique Marco Mazzotti. Le gaz carbonique possédant une plus grande affinité avec le charbon que le méthane, il est possible de remplacer les deux gaz. On entrepose le CO2 et récupère le méthane, qui est utilisable comme combustible.»
Nettoyer l’air
Certains imaginent extraire le CO2 directement de l’atmosphère, comme par exemple Klaus Lackner à l’Université de Columbia, qui a lancé l’idée de «carrousels» rotatifs automatiques munis de filtres et déployés en masse à la surface de la Terre. En Suisse, Aldo Steinfeld développe au PSI un projet de capture de CO2 basé sur un réacteur solaire. Ce dernier fournirait l’énergie nécessaire pour libérer le CO2 après avoir été piégé par un filtre solide et nettoyer ce dernier afin de pouvoir le réutiliser. L’idée de «nettoyer» l’air de son carbone est enthousiasmante, mais extrêmement ambitieuse, car le CO2 reste très dilué. Il paraît bien plus efficace d’effectuer la capture là où le gaz est émis en forte concentration: dans les centrales thermiques.
Quel effort pour limiter le réchauffement?
Selon McKinsey & Vattenfall, un déploiement volontariste de technologies de capture de carbone (CSC) pourrait permettre une réduction d’environ 4 gigatonnes (Gt) d’émissions de CO2 par an dès 2030 — une proportion significative de la réduction des émissions nécessaire pour contenir les conséquences du changement climatique. Une réduction d’environ 20 à 30 Gt par an serait nécessaire pour ne pas dépasser une concentration atmosphérique de 450 ppm (parties par million) de gaz à effet de serre mesurée en équivalent CO2, selon les experts.
L’objectif de 450 ppm se base sur des modèles climatiques qui estiment l’augmentation de la température ainsi que ses conséquences météorologiques. Une concentration de 450 ppm occasionnerait une augmentation probablement comprise entre +1,4 °C et +3,1 °C, avec environ une chance sur deux de dépasser 2 °C. Cette limite, bien qu’arbitraire, correspond à des scénarios alarmistes (augmentation de la fréquence et sévérité des tempêtes et des inondations, hausse du niveau de la mer, etc.). En 2009, certains scientifiques ont appelé à baisser l’objectif à 350 ppm, afin de réduire à environ 10% la probabilité d’aller au-delà de +2 °C. Pour prévoir ces taux, les experts estiment l’évolution des émissions de gaz à effet de serre en formulant différents scénarios de croissance, de mix énergétiques et d’initiatives pour réduire les émissions. Si rien n’est entrepris (scénario «business as usual»), les émissions pourraient atteindre 40 Gt de gaz carbonique par an en 2030 et ainsi engendrer des taux au-delà de 600 ppm, qui s’accompagneraient d’une augmentation de température dépassant «très probablement» les 2 °C.
Sources: Rapports de McKinsey & Vattenfall, du GIEC et du Parlement européen.
Daniel Saraga