Le nucléaire rend fou, même très loin de l’épicentre, comme l’ont montré chez nous les réactions au moratoire sur de nouvelles centrales.
Vins, charbon, CO2 et gaz à tous les étages: voilà brusquement notre avenir énergétique redessiné. Le vin, non pas pour se consoler des promesses que ces bijoux technologiques appelés centrales nucléaires n’ont pas tenues, mais sous forme d’éthanol, un carburant qui en vaut un autre. Si les catastrophiques événements japonais ont mis dans de sales draps les filières nucléaires d’ici, d’ailleurs et de là-bas, ils ont ouvert également mille perspectives aux allumés de l’éclairage à la bougie.
Il ne s’est trouvé chez nous, à peu près, que les bons petits soldats atomiques de l’UDC et du parti radical pour ronchonner devant la décision de Doris Leuthard de geler la construction de nouvelles centrales. «Une décision clairement précipitée qui ne servira à personne», râle ainsi l’inspecteur Perrin. C’est vrai ça: pourquoi ne pas attendre carrément l’apocalypse?
La palme pourtant du dégagement nucléaire en touche revient à Martine Brunschwig Graf qu’on avait connue moins faux derche et qui fait preuve en la circonstance d’un culot en uranium très enrichi: «Le premier réflexe ne devrait pas être notre sécurité à nous mais comment aider la population japonaise.» Même les professionnels du nucléaire suisse, pourtant, même les candidats à la construction de futures centrales — Axpo, Alpiq et les Forces Motrices Bernoises — ont reconnu le bien fondé de cette pause temporaire.
Mais à force d’avoir répété pendant des années, avec une impassibilité de sumos tranquilles, qu’il n’y avait pas plus propre ni plus sûr que l’atome, il semble difficile soudain, même avec une catastrophe majeure sous le nez, de se résigner à l’écroulement de certitudes aussi confinées. Le nucléaire donnait à ses défenseurs à peu près toutes les vertus: la responsabilité et le réalisme, par exemple, concentrés dans ce miracle d’une électricité propre, autonome et disponible en quantité illimitée. Qu’il avait belle allure, cet atome sans couleur ni odeur face aux passéismes verts et rouges englués dans leurs rêves solaires et venteux. Ou carrément réduits à plaider le CO2 véniel du charbon et du gaz face au péché mortel de la fission.
Aujourd’hui, foin de ces tortillements: les antinucléaires triomphent, sur l’air suffisant et connu du «on vous l’avait bien dit». Mieux vaut quand même se souvenir que Tchernobyl avait été vite oublié, que le nucléaire s’en était remis avec une aisance — une impunité, diront ses détracteurs — plutôt confondante. Très vite, on nous l’avait seriné: à Tchernobyl, c’était l’incurie soviétique et la vétusté technologique qui seules étaient en cause et un tel accident était désormais rigoureusement impossible. D’ailleurs ne souligne-t-on déjà, ici et là, qu’à Fukushima — une appellation qui fleure bon la rime riche — rien n’était bien neuf et que la réputation de la filière nippone n’était pas terrible-terrible.
Sans compter, braves gens, que chez nous, les vrais tremblements de terre sont aussi rares que modestes. Guère plus que six et des poussières sur la glaçante échelle de Richter. Et encore, toutes les morts d’évêque: à Bâle en 1356 et en Valais en 1946. Et d’ici à ce qu’un tsunami vienne noyer nos pagodes à croix blanches et nos sérénités fédérales…
Encore que. Interrogé par Le Nouvelliste, que répond donc le géologue cantonal valaisan Jean-Daniel Rouiller à la question de savoir si nos barrages résisteraient à un tremblement de terre, même un petit, bien de chez nous, magnitude 6? Eh bien, il répond, avec exactement la même assurance qui semble habiter les responsables nucléaires japonais livides et balbutiant ces derniers jours en conférence de presse, il répond tout simplement, très tranquillement ceci: «L’office fédéral de l’énergie estime que oui.»
Nicolas Martin