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samedi 16 avril 2011

La crise nucléaire japonaise se mondialise

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Tandis qu’un environnement inhabitable s’étend au cœur-même du Japon, les radiations se répandent dans le monde entier. Le combat désespéré pour faire redémarrer les systèmes de refroidissement des réacteurs mis hors d’usage, afin d’en reprendre le contrôle, ne produit pratiquement aucun résultat et est entouré d’incertitudes.

Les puissantes secousses secondaires du tremblement de terre d’amplitude 9, qui a provoqué cette crise, menacent d’effacer le peu de progrès qui a été réalisé. Les secousses économiques et politiques sont pareillement difficiles à prédire, mais elles se feront probablement fortement ressentir sur toute la planète.

Voici quelques-unes des dernières nouvelles de la semaine passée sur la crise de Fukushima. Mardi, le gouvernement japonais a relevé de deux crans d’un coup le niveau de sévérité de cette crise, passant du niveau cinq au niveau sept, le niveau le plus élevé sur l’échelle des événements nucléaires et radiologiques, à égalité avec le pire désastre nucléaire de l’histoire, celui de Tchernobyl, en 1986.

Selon l’AIEA, l’Agence Internationale à l’Energie Atomique, un accident de niveau sept indique un « dégagement majeur de matière radioactive avec des effets sanitaires et environnementaux étendus nécessitant la mise en place de contre-mesures planifiées et prolongées ».

Cette mesure est arrivée avec surprise, puisque les autorités japonaises avaient cherché à minimiser la crise depuis le début et, ainsi que je le rapportais la semaine dernière, la plupart des analystes avaient affirmé que cet accident relevait d’un niveau de classement six. Le gouvernement [japonais] a soutenu que ce relèvement est dû à la quantité de radiations dégagées par la fusion des réacteurs, qui correspondraient à 10% de la radioactivité [totale] dégagée dans l’accident de Tchernobyl.

Aucun revers majeur n’a été rapporté, même si plusieurs nouvelles secousses ont conduit à évacuer temporairement la centrale et ajouté de nouvelles inquiétudes concernant la sécurité d’un autre réacteur voisin. Dans un article publié la semaine dernière par le New York Times, les ingénieurs nucléaires américains de retour du Japon ont prévenu que les réacteurs, endommagés par les explosions et remplis d’eau de mer, étaient devenus plus vulnérables aux secousses sismiques secondaires.

Les efforts pour stabiliser un peu plus les réacteurs paralysés se sont concentrés ces derniers temps sur la réparation des systèmes de refroidissement, mais ils ont rencontré de sérieuses difficultés. A l’heure actuelle, les ingénieurs continuent d’injecter de l’eau dans les cœurs en fusion pour prévenir toute surchauffe, tandis qu’ils pompent simultanément l’eau hautement radioactive qui se trouve dans les soubassements des réacteurs afin de pouvoir conduire leurs réparations.

Cependant, les enceintes de confinement des réacteurs semblent avoir subi des dommages et une partie de l’eau qui est injectée s’écoule dans les soubassements, annulant les progrès accomplis. En quelques jours d’efforts, le niveau de l’eau n’a baissé que d’à peine quelques centimètres. Alors que 660 tonnes d’eau contaminée ont été pompées, on estime la quantité d’eau restante à 60.000 tonnes.

Beaucoup d’incertitudes subsistent quant à l’état des réacteurs. Les médias japonais ont rapporté que les mesures de radioactivité effectuées dans la centrale sont inexactes, parce que les instruments ont été endommagés par le très haut niveau de radioactivité. Des craintes subsistent que la situation puisse s’aggraver. « Les fuites radioactives n’ont pas été complètement stoppées et nous sommes inquiets que le volume de fuites puisse atteindre celui de Tchernobyl, voire le dépasser », a déclaré mardi un officiel de TEPCO, l’opérateur de la centrale, à Japan Today.

TEPCO soutient que “lorsqu’ils auront réparé le système de refroidissement interne, il ne faudra que deux ou trois jours pour arrêter les réacteurs à froid[1] », a rapporté Reuters. Mais le délai auquel on pourra accéder à ces systèmes n’est qu’une des questions majeures entourant cette affirmation. On discute beaucoup sur les aspects techniques du processus de refroidissement.

Joint pour apporter un commentaire, le Professeur Calvin Howell, un physicien nucléaire de premier plan à l’Université de Duke, a expliqué que les définitions d’un « arrêt à froid » pouvaient quelque peu varier et qu’il ne pouvait qu’avancer une hypothèse. Il a suggéré qu’une différence majeure entre noyer un réacteur et utiliser le système [de refroidissement] intégré réside dans la pression de l’eau (les deux utilisent l’eau), et il a exposé :

D’après ce que j’ai compris, le réacteur est actuellement en position d’arrêt, ce qui veut dire que le cœur est sous-critique[2], c’est à dire que la réaction en chaîne n’est pas maintenue. Cependant, il y avait une énorme quantité de chaleur dans le cœur lorsque les dommages se sont produits, et la chaleur continue d’être générée par le combustible, au travers des processus normaux de désintégration radioactive, essentiellement la désintégration bêta. Il y a toujours suffisamment de chaleur stockée et générée pour mettre en ébullition les vastes quantités d’eau injectées dans le réacteur, qui sont à la pression atmosphérique.

Mon interprétation est que les conditions d’un « arrêt à froid » sont atteintes lorsque l’eau non-pressurisée en contact avec le cœur n’entre pas en ébullition. Ceci se produit lorsque l’eau de refroidissement non-pressurisée peut maintenir la température en dessous de 95 degrés Celsius. A mon avis, noyer le réacteur avec de l’eau de mer non-pressurisée ne supprime pas la chaleur aussi efficacement que le font les circuits fermés pressurisés qui sont utilisés dans les opérations normales. Par conséquent, cela prend beaucoup plus de temps pour refroidir le cœur à des températures inférieures au point d’ébullition de l’eau non-pressurisée, températures plus difficiles à maintenir qu’avec les circuits fermés normaux sous haute pression.

Les probables dommages subis par les enceintes de confinement n’obstruent pas seulement l’accès aux composants vitaux des systèmes de refroidissement intégrés, mais mettent en doute également que des hautes pressions peuvent être appliquées en toute sécurité. Donc, le scénario idéal relève du fantasme.

En attendant, le gouvernement japonais envisage d’étendre de quelques kilomètres au-delà des 20 actuels la zone d’évacuation autour de la centrale, une décision qui sous-estime les recommandations des experts internationaux (les Etats-Unis ont recommandé une zone interdite de 80 kilomètres à leurs ressortissants), mais qui a généré une controverse considérable à l’intérieur du pays.

Il y a des inquiétudes que ce site devienne un « no-man’s land », et une personne âgée de 102 ans, dans un village voisin, s’est suicidée mardi dernier de crainte de devoir quitter son village natal. Des images obsédantes de « villes fantômes » près de la centrale peuvent être vues dans ce reportage photos.

Les experts supposent qu’en fin de compte, « il n’y aura aucune autre option que de recouvrir les réacteurs d’un sarcophage de béton », mais, selon un reportage de Reuters, cela serait beaucoup plus difficile qu’à Tchernobyl. Et même, une telle mesure n’empêcherait probablement pas la formation d’un désert nucléaire à long-terme autour de la centrale, alors que des milliers de tonnes de dérivés hautement radioactifs resteront sur le site et que la contamination s’est répandue dans toute la zone d’exclusion. « Les experts disent que le nettoyage prendra plusieurs décennies », affirme un autre reportage de Reuters.

Les dernières informations indiquent que les niveaux de radiation augmentent dans le monde entier – ou du moins, jusqu’à présent, dans l’hémisphère nord. Une ONG française qui surveille la contamination radioactive, la CRIIRAD, a averti dans un rapport daté du 7 avril que la pollution radioactive en Europe causée par Fukushima n’était « plus négligeable ». Elle a conseillé aux femmes enceintes et aux enfants d’éviter de consommer certains produits, tels que le lait et les légumes à grandes feuilles, et de faire attention lorsqu’ils boivent de l’eau provenant de réservoirs de collecte d’eau de pluie.

Natural News a fait savoir qu’aux Etats-Unis, où les retombées se sont répandues en premier, des échantillons de lait prélevés il y a quelques semaines s’étaient révélés positifs à la contamination d’iode radioactif avec plus 3 fois le taux maximum autorisé par l’EPA (L’Agence de protection environnementale des Etats-Unis).

Ce réseau indépendant a également prévenu que l’EPA pourrait se dépêcher d’augmenter les limites maximales autorisées afin d’étouffer cette crise, et il y a au minimum des preuves circonstancielles pour soutenir ces affirmations. L’année dernière, le PEER (l’alliance des fonctionnaires pour la responsabilité environnementale) a dénoncé le plan de l’EPA « d’accroître considérablement les dégagements radioactifs autorisés dans l’eau potable, la nourriture et les sols, après des ‘incidents radiologiques’ ».

En général, alors que les autorités de la plupart des pays continuent d’insister sur le fait qu’il n’y a aucun risque par rapport aux retombées radioactives, des rapports indiquant le contraire arrivent de la part de sources de plus en plus nombreuses. Il est important d’éviter la panique, soulignent les accusateurs les plus respectés, mais il est également important de prendre des précautions comme éviter certains produits et passer à une alimentation qui met l’accent sur le bas de la chaîne alimentaire. Les toxines, incluant les produits chimiques radioactifs, tendent à se concentrer à des niveaux plus élevés dans les produits d’origine animale.

D’autres dimensions de cette crise résident dans les aspects économiques et politiques. Ainsi que je l’avais déjà écrit, les coûts estimés s’élèvent à 300 milliards de dollars, et l’une des pires conséquences pour l’économie japonaise pourrait se produire durant l’été, lorsque la consommation d’électricité monte naturellement en flèche. « Il y a beaucoup d’incertitudes concernant les perspectives du Japon […] la balance penche fortement du mauvais côté », a déclaré à Reuters un haut-fonctionnaire du FMI.

En termes de politique intérieure, le gouvernement japonais semble actuellement stable, mais son avenir est au mieux incertain. L’opposition a déjà rejeté les appels à la constitution d’une large coalition et recommande vivement au Premier ministre de démissioner.

Jusqu’à présent, on ne rapporte pas de répercussions économiques majeures à l’extérieur du Japon, mais il est difficile d’imaginer que cette crise restera sans conséquence. Dans le pire des scénarios, si la situation devient totalement incontrôlée, les coûts de nettoyage pourraient être très élevés dans le monde entier et un effondrement de l’économie japonaise pourrait menacer la stabilité financière mondiale.

L’industrie nucléaire sera certainement durement touchée, tandis qu’un léger déclin de la croissance économique japonaise – qui est pratiquement inévitable – conduira à des remaniements. Il y a déjà environ deux mois, ce pays a perdu son statut de deuxième plus grande économie mondiale au profit de la Chine, et il se retrouve confronté à un repli plus prononcé.

Au plan politique, on peut également s’attendre à des remaniements. Les analystes s’attendent à ce que le Japon devienne encore plus introverti qu’auparavant, et ceci aura des répercussions pour la politique en Asie et au-delà. Un virage majeur vers le pire, prédisent certains analystes, pourrait éprouver l’état de préparation du monde à surmonter les différences politiques et culturelles, en vue de former des coalitions dans l’intérêt du bien-être de l’humanité. Bien que cela soit improbable à ce stade, les fondations mêmes du système international pourraient être potentiellement ébranlées et transformées.

Pour revenir à l’issue la plus probable de cette crise, le poids de l’Europe – et de l’Allemagne au sein de l’Europe – augmentera. « Ce qui est clair est qu’après les Etats-Unis et la Chine, avec le Japon mis sur la touche avec ses propres crises multiples, l’Allemagne est devenue la troisième plus grande puissance du monde », écrit David Rothkopf dans Foreign Policy.

Cela impactera l’équilibre au sein de l’Europe, où la rivalité entre les principales puissances européennes, et en particulier entre la France et l’Allemagne, est bien connue. Ce que deviendra cette rivalité est plus difficile à prédire.

En résumé, alors qu’il y a beaucoup d’inconnues dans la crise de Fukushima et que de grands dangers subsistent, il y a un point qui a toutes les chances de s’éclaircir : comment le monde est-il interconnecté et jusqu’où les conséquences d’une crise imprévisible peuvent-elles s’étendre ? Pour paraphraser John Donne, aucune île n’est une île, et certainement pas à l’ère nucléaire.

Victor Kotsev
journaliste et analyste politique



Notes :

[1] Arrêt à froid : Situation d'un réacteur nucléaire à l'arrêt dans lequel l'état du fluide de refroidissement se rapproche de celui qui correspond aux conditions ambiantes de pression et de température. (source : Autorité de Sûreté Nucléaire)

[2] Dans un réacteur, la fission nucléaire est initiée en bombardant les noyaux fissiles par des neutrons. Ensuite, la fission d'un noyau s'accompagnant toujours de la libération de neutrons, ceux-ci peuvent à leur tour provoquer la fission d'autres noyaux et la libération d'autres neutrons, et ainsi de suite. Ces fissions en cascade forment ce que l'on appelle une réaction en chaîne.

Dans un réacteur, cette réaction doit être contrôlée pour ne pas s'emballer. Un réacteur classique fonctionne en régime critique : les combustibles utilisés (certains sont fissiles quand d'autres absorbent les neutrons) permettent qu'un seul des neutrons libérés à chaque fission provoque une nouvelle fission. Dans un réacteur sous-critique, les combustibles sont choisis de manière à ce que moins d'un neutron par fission induise une nouvelle fission. Un tel réacteur ne peut donc maintenir la réaction en chaîne par lui-même. Il doit être alimenté en neutrons par une source externe, ce qui minimise le risque potentiel d'accident d'emballement. (source : Futura-Sciences)