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jeudi 26 mai 2011

36’000 sexes, mais à deux, c’est mieux

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Pour les biologistes de l’évolution, le sexe est un mystère -- et le binôme mâle-femelle un paradoxe. Explications sur l’origine des genres.

«L’émergence des genres reste un problème déroutant en biologie, lance Lukas Schärer, spécialiste de l’évolution de la reproduction à l’Université de Bâle. Nous ne comprenons pas encore tout à fait le sexe.»

Car la présence de deux sexes amène un désavantage immédiat: elle réduit de moitié la probabilité de rencontrer un partenaire de reproduction. «Avoir deux genres n’est pas seulement une mauvaise stratégie; c’est la pire», renchérit Laurence Hurst, biologiste à l’Université de Bath (G.B.) et l’un des spécialistes mondiaux de l’évolution de la reproduction. Avec un seul genre — ou une multitude –, nous pourrions nous reproduire avec tout le monde.

La reproduction sexuée présente des avantages évidents sur le plan de l’évolution (voir encadré plus bas). Mais qui dit sexe ne dit pas forcément mâle et femelle: il est tout à fait possible de fusionner deux cellules similaires. «Il faut distinguer deux étapes, précise Laurence Hurst. D’abord, on doit pouvoir expliquer l’émergence de deux types de gamètes (les cellules reproductrices, ndlr) qui — tout en restant morphologiquement identiques — ne peuvent fusionner que l’un avec l’autre. Un deuxième niveau concerne leur différenciation en gamètes mâles et femelles, qui sont non seulement distincts, mais également différents.» «Des théories existent, ajoute Lukas Schärer, mais leur démonstration univoque par des expériences fait encore défaut.»

La faute aux mitochondries

Dans les années 1990, Laurence Hurst a proposé une piste pour élucider la première étape: un seul genre favoriserait des mutations potentiellement nuisibles. «En fusionnant, les gamètes ne combinent pas seulement les informations génétiques contenues dans leur noyau, mais partagent aussi leurs mitochondries (responsable de fournir la cellule en énergie, ndlr), explique le biologiste anglais. Comme celles-ci évoluent indépendamment du noyau, il n’est pas certain que les mitochondries dominantes, qui par exemple se reproduisent plus rapidement que les autres, s’avèrent également bénéfiques à la cellule et à l’individu.»

Une solution à ce problème serait procurée par l’émergence de deux types de gamètes (appelés «+» et «–»), dont un seul est capable de transmettre ses mitochondries. On réduit ainsi les probabilités d’avoir des mutations mitochondriales délétères à la cellule. Afin de propager les types de mitochondries bénéfiques à l’individu, il y aurait un avantage évolutionniste à ce que seuls les différents types de gamètes puissent fusionner entre eux.

«Notre thèse est appuyée par des observations faites sur des protozoaires ciliés, poursuit Hurst. Ceux qui se reproduisent par fusion et mélangent leurs mitochondries ont deux genres alors que d’autres, qui ne font qu’échanger leur noyau sans partager leurs mitochondries, possèdent non pas deux mais des centaines de genres distincts. On observe le même phénomène chez les champignons: ils n’échangent que leur noyau, et certains possèdent jusqu’à 36’000 sexes.» Avoir exactement deux sexes servirait ainsi à filtrer les mitochondries.

A quoi ressemble l’acte de chair lorsqu’on a plusieurs genres? «Les deux partenaires doivent être d’un genre différent, répond Lukas Schärer. Au niveau des probabilités, un nombre élevé de sexes se rapproche de l’absence de genre de plusieurs façons, car on peut se reproduire avec à peu près tout le monde. L’existence de genres protège les individus de l’auto-fertilisation, qui est dangereuse car elle expose souvent des mutations délétères.» De nombreux sexes, donc, pour éviter la consanguinité.

La naissance du mâle

Mais pourquoi les + et les - se sont-ils ensuite différenciés en «mâles» et «femelles»? Dans les années 1970, le biologiste Geoff Parker a proposé un mécanisme évolutionniste. Des mutations ont changé la taille des cellules reproductives. Graduellement, deux types d’individus ont été sélectionnés, qui produisent soit des spermatozoïdes petits, nombreux et de valeur limitée, soit des œufs gros, rares et précieux. Les premiers peuvent être produits en très grand nombre, ce qui augmente la probabilité de rencontre. Grâce à leur grande taille, les seconds ont davantage de chances d’être fécondés et peuvent fournir une grande quantité de matière au zigote (obtenu par la fusion des gamètes), ce qui améliore ses chances de survie. «L’évolution de l’anisogamie (des gamètes de tailles différentes, ndlr) a eu lieu plusieurs fois au cours de l’évolution et ceci de manière indépendante», rappelle Brian Charlesworth, professeur de biologie évolutionnaire à l’Université d’Edimbourg. «L’anisogamie a probablement moins de chance d’évoluer dans des espèces plus petites, car l’avantage procuré par un grand œuf joue un rôle plus faible», note Lukas Schärer.

Reste encore la différentiation au niveau de l’individu: pourquoi la plupart des animaux comprennent des mâles et des femelles – au lieu de favoriser l’hermaphrodisme? Ce dernier s’accompagne du risque d’autofertilisation et des problèmes dus à la consanguinité, mais atténue la difficulté de trouver un partenaire. Cet avantage pourrait être un facteur déterminant chez les plantes: incapables de se déplacer, elles sont en grande majorité hermaphrodites. Au contraire des animaux, qui eux ont les moyens de partir chercher l’âme sœur.

Les bienfaits du sexe

Le but de la chair, c’est de mélanger pour mieux s’adapter. En combinant les gènes des deux parents, la reproduction sexuée permet de sélectionner les bonnes mutations et de purger les mauvaises. «Des expériences avec des levures modifiées pour se reproduire asexuellement ont montré qu’elle s’adaptent moins rapidement aux changements de l’environnement, détaille Laurence Hurst de l’Université de Bath (G.B.). On a pu observer que certaines espèces capables d’utiliser les deux modes de reproduction favorisent la voie sexuée lorsqu’elles se voient soumises à des pressions de l’environnement.» Une fois le danger passé, elles retournent au sexe en solitaire – également favorisé lorsque la rencontre d’un partenaire s’avère trop difficile.

Le kamasutra de la Nature

Entre des bactéries échangeant du matériel génétique et des champignons possédant des milliers de sexes, la Nature ne montre aucun tabou. Les hermaphrodites simultanés tels que la majorité des plantes et escargots possèdent les appareils génitaux mâles et femelles, alors que les hermaphrodites séquentiels (certains poissons et crustacés) changent de sexe au cours du temps. Les êtres hétérogames (amibes sociales, micro-crustacés, algues) peuvent alterner entre reproduction asexuée et sexuée. On a observé que les femelles d’un certain nombre d’animaux (dont le dragon du Komodo et le requin marteau) peuvent parfois se passer de mâle pour se reproduire par parthénogenèse lorsque rencontrer l’âme sœur s’avère trop difficile. Les polyploïdes, eux, ne possèdent pas des paires de chromosomes comme la plupart des animaux sexués, mais de multiples copies: une espèce de salamandre n’a que des femelles possédant leurs chromosomes en triple. Elles se reproduisent par «cleptogénèse», en volant des spermatozoïdes de variétés voisines.

80 millions d’années sans sexe: un scandale évolutionnaire

Même si les premiers êtres vivants unicellulaires comme les bactéries se sont toujours reproduits de manière asexuée, «la plupart des êtres multicellulaires asexués ont évolué à partir d’espèces sexuées, note Brian Charlesworth de l’Université d’Edimbourg. Ils n’ont pas eu le temps de se diversifier et sont normalement d’origine récente.» La découverte que des invertébrés aquatiques asexués appelés bdelloidés ont survécu quelque 80 millions d’années fut qualifiée de «scandale évolutionnaire» par le biologiste John Maynard Smith. Autre particularité, ces invertébrés pratiquent une forme d’hibernation: face à une pression environnementale, ils peuvent sécher et entrer en animation suspendue. En 2008, une étude d’Harvard apporte un élément de réponse: lorsqu’ils se réveillent, les bdelloidés incorporent l’ADN étranger se trouvant à proximité. Même pour les êtres asexués, le mélange des gènes semble incontournable pour survivre.

Daniel Saraga