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lundi 19 décembre 2011

La particule de Dieu et le triomphe des nerds

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Les physiciens du Cern n’ont pas observé le boson de Higgs. Mais ils ont accompli un exploit tout aussi impressionnant: passionner le grand public pour leurs travaux hermétiques.

La planète entière s’est prise soudainement d’une fièvre contagieuse. Le Cern a-t-il finalement observé le boson de Higgs? Il s’agirait, après tout, «de la plus grande avancée scientifique depuis la découverte de la structure de l’ADN», tonne la BBC.

L’affaire était délicate: la réunion de ce mardi 13 décembre n’était pas une conférence de presse avec messages prémâchés et déclarations prêtes à l’emploi. Non, il s’agissait d’un vrai séminaire pointu de physique des particules. La distinction avait dû échapper à la horde d’internautes assoiffés de connaissance qui ont assailli le site du Cern pour suivre le webcast du séminaire.

Journalistes et citoyens ont vite compris leur erreur: avec ses «il y a une déviation de 2,1 sigma à 126 GeV» et autres «Atlas indique un signal du Higgs à 100 GeV dans le canal gamma-gamma», le grand raout autour de l’inévitable «particule de Dieu» s’est avéré aussi incompréhensible qu’un service religieux conduit en latin.

«Jamais encore le journalisme scientifique n’a vu si peu de journalistes capables de comprendre ce que tente de leur expliquer un si grand nombre de physiciens», commentait un bloggeur.

Impatientes, les ouailles ont dû se contenter d’un message tout en nuances de la part des grands prêtres de la matière: les données du Cern indiquent certes la possibilité de l’existence de la particule, mais hélas ne suffisent pour trancher. Une histoire de sigmas. Merci donc pour votre visite – et revenez l’année prochaine pour entendre, enfin, la Bonne Nouvelle.

Le Higgs et le Graal

Cet engouement populaire laisse songeur. Après tout, le rôle de cette particule élémentaire dans le fonctionnement de l’univers échappe à 99,9999999% de la planète. Mais c’est oublier un peu vite que le Higgs est devenu entretemps une star emblématique de la physique contemporaine qui semble, bizarrement, concerner tout le monde. Une quête du Graal moderne, universelle et essentielle.

L’observation du Higgs serait «la plus grande question de notre temps» affirmait Rob Enderle — non pas représentant du Cern, mais simple consultant financier en technologie.

Les physiciens ne combattent guère cette surenchère, tout heureux de pouvoir s’appuyer sur des slogans emphatiques pour tenter de convaincre population et gouvernements que, oui, trouver le Higgs vaut bien cinq milliards (ou même dix tant qu’on y est, on a eu un peu dépassé le budget).

C’est d’ailleurs une personnalité respectée de la physique des particules, Leon Lederman, qui avait lancé dans un livre l’expression «particule de Dieu». On se demande s’il regrette sa formulation hyperbolique, désormais reprise systématiquement par des journalistes en mal de superlatifs et reconnaissants.

Plus facile de vendre un article grâce à une référence voilée au Très Puissant que de tenter d’expliquer patiemment les modèles abscons développés par les physiciens pour expliquer l’infiniment petit. La réalité, malheureusement, s’avère plus complexe qu’une colonne de journal.

Les nerds avaient déjà démontré leurs supériorité en affaire (Gates, Brin, Page et autres Zuckerberg) et en politique (Merkel) tout comme leur inquiétant pouvoir dans la finance (crise des subprimes). Désormais, l’enthousiasme manifesté par la grand public pour un séminaire hermétique célèbre leur triomphe absolu.

Les physiciens du Cern – sans conteste les plus hauts placés dans le panthéon des nerds – ont aujourd’hui accompli l’inimaginable. Ils ont réussi à intéresser les gens normaux non seulement à leurs grands joujoux technologiques (il s’agit, on le saura, de la plus grande expérience scientifique de tous les temps) mais également au plus cryptique des concepts scientifiques.

Le Higgs est devenu une icône. Le Higgs est devenu pop. Le Higgs est devenu people.

Daniel Saraga