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dimanche 1 janvier 2012

Il y a 50 ans, les bandits de Matran

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En décembre 1961, trois bandits ont semé la terreur dans le canton après avoir tiré sur un chef de gare. En cavale, ils seront arrêtés dix jours après.

«Je me souviens, cette histoire nous avait terrorisés. J’étais une enfant à l’époque et le soir, avant de me coucher, j’allais regarder sous le lit pour voir si les bandits ne s’y étaient pas cachés.»

C’était il y a cinquante ans. Et Claudine, 8 ans à l’époque, se rappelle comme si c’était hier l’affaire des bandits de Matran. Une affaire qui avait défrayé la chronique. En novembre 1961, deux hommes s’évadent du pénitencier valaisan de Crêtelongue, avec l’aide d’un complice. Ils sont respectivement âgés de 41, 32 et 21 ans. Ensemble, ce trio de cambrioleurs va écumer la vallée du Rhône, avant de remonter vers le canton de Fribourg.

La psychose

Il rate une attaque à main armée à la Banque cantonale de Romont le 11 décembre. Mais le 12, au petit matin, l’histoire vire au tragique:après l’avoir violemment frappé à la tête, le plus jeune des malfrats tire sur le chef de gare de Matran, qui tardait à leur remettre la caisse. L’homme sera grièvement blessé à l’abdomen notamment, et gardera pour le reste de sa vie de sérieuses séquelles.

«C’était une des premières affaires de hold-up à main armée dans le canton, avec des coups de feu, un blessé. La police avait alors déployé de gros moyens pour retrouver ces bandits:près de deux cents hommes», raconte André Meylan, neveu du chef de gare, aujourd’hui inspecteur à la Sûreté fribourgeoise.

«Cette affaire a beaucoup marqué les Fribourgeois, et toute la Suisse romande», se remémore un autre témoin. «Et c’était la première fois que la région vivait une telle chasse à l’homme. Les journaux en parlaient tous les jours;la radio n’arrêtait pas de mettre la population en garde.» La gendarmerie, effectivement, quadrillera le territoire, aux côtés d’autres polices cantonales, pour tenter de retrouver les trois malfrats. Ce qu’elle parviendra finalement à faire dix jours plus tard. Non sans peine. Et non sans bavure…

«C’était la psychose totale: la nuit, il arrivait que les gens n’osent pas s’arrêter aux barrages routiers, croyant qu’il pouvait s’agir de faux policiers, et donc des bandits de Matran. Certains ont ainsi fait demi-tour, et se sont fait tirer dessus par les policiers, qui les prenaient eux-mêmes pour les bandits. Il y a eu un blessé je crois», rapporte ce même témoin.

Deux bavures

En réalité, deux incidents ont eu lieu lors de ces contrôles. Le premier s’est produit un soir, peu après minuit, à un barrage de police dressé sur le pont de Corbières. Accompagné de sa fiancée, un conducteur, âgé de 22 ans «n’a pas obtempéré aux injonctions de la police qui fit feu», rapporte un des journaux de l’époque. Le jeune homme a été blessé, atteint au dos.

Le deuxième incident a eu lieu un dimanche matin, vers 7 heures à Hauterive. Un homme circulant dans une voiture aux côtés de son épouse et de ses deux enfants «fit soudain demi-tour en se trouvant en présence de trois gendarmes en civil, qui se tenaient en embuscade», écrivent les journalistes. «A la suite d’une fatale méprise de part et d’autre, une rafale partit en direction de la voiture, atteignant la fille du conducteur (âgée de 16 ans, ndlr), qui fut assez grièvement blessée aux deux genoux;son frère cadet a été légèrement touché à la main.»

Même le stand de la police

Les bandits, les vrais, ont finalement été arrêtés entre le 18 et le 22 décembre. Après son méfait de Matran, l’infernal trio avait remis le cap sur le Valais, poursuivant son sac: huit cambriolages. Pour une raison inconnue, les trois hommes décident de revenir quatre jours plus tard en terre fribourgeoise, une région pourtant quadrillée. Première fusillade avec la police du côté de Boltigen, à la frontière bernoise. Personne n’est blessé. Les bandits prennent alors la fuite en direction de Charmey, puis de Cerniat.

Ils abandonnent leur voiture avant d’aller s’enfoncer dans la «région boisée de la Berra et du Plasselbschlund», écrit «La Liberté». Ils dérobent un fourgon VW, partent en direction de Fribourg, s’offrent même le luxe d’aller cambrioler le stand de la police aux Neigles afin de se refaire en munitions, forcent un barrage à Marly. Nouvelle fusillade. Ils ne sont pas touchés, leur voiture si. «Ils l’abandonnent près d’Arconciel et se dirigent à pied vers la Gruyère. Dans la nuit du 17 au 18 décembre, la chance insolente qui semblait les avoir accompagnés les délaisse soudain», lit-on dans «La Liberté».

Fin de cavale

Le plus jeune des bandits est surpris par la police du côté de Vaulruz. Blessé, il se réfugie dans une ferme des environs où il est appréhendé peu après. Ses complices errent durant quelques jours dans la région de Vuadens et du Moléson, avant d’être à leur tour faits prisonniers au chalet de la Peleuve, au-dessus d’Enney. Grâce notamment aux renseignements fournis par les paysans de la région. «Il faut relever le travail des policiers. J’ai discuté avec certains d’entre eux quand je suis entré à la police: ils ont passé des heures et des heures sur le terrain, en plein mois de décembre. Ils m’ont raconté que lorsqu’ils ont mis la main sur les deux derniers malfrats, ils les ont retrouvés sur un tas de foin, à moitié gelés. C’était un hiver extrêmement vigoureux», relève André Meylan.

Jugés à la Grenette

Les bandits répondront de leurs crimes l’été suivant, devant la Cour d’assises. «Le procès avait lieu dans la grande salle du bistrot de la Grenette, à Fribourg. Le lieu était plein à craquer. Je me souviens: il y régnait une sacrée émotion», rapporte l’historien Jean Steinauer. «J’étais collégien à l’époque. J’y suis allé par curiosité.»

Au terme de quatre jours d’audience, et de six heures de délibérations, la sentence tombe: 14 ans de réclusion pour deux des bandits – dont celui qui avait tiré, dix ans pour le troisième. «La Liberté» écrivait alors: «Ce jugement ne surprendra personne (…). S’il devait freiner la criminalité qu’on constate aujourd’hui, il n’aurait pas été rendu en vain. C’est la leçon qu’on peut et doit tirer de ce drame.» I

Mort mystérieuse

Un homme et une famille brisés: les proches du chef de gare de Matran ne souhaitent pas s’exprimer sur la longue descente aux enfers qu’ils ont endurée depuis ce fait tragique de décembre 1961. De son côté, André Meylan résume pudiquement: «Mon oncle est mort douze ans après qu’on lui ait tiré dessus, à l’âge de 47 ans. Il était jeune.» A l’époque, il n’y avait pas le soutien et le suivi psychologique que l’on accorde aujourd’hui aux victimes. Sans parler des blessures qui ont laissé à ce chef de gare de lourdes séquelles. «Ces problèmes l’ont miné. Sa famille en a beaucoup souffert.»

Le chef de gare a été retrouvé mort, enfermé dans son garage, à côté de sa voiture. La police avait alors conclu à un suicide. La famille, refusant cette thèse, avait alors vivement réagi, demandant une autopsie. Les résultats lui donneront raison, puisqu’aucune trace de monoxyde de carbone ne sera décelée dans les poumons du malheureux. La thèse de l’arrêt cardiaque est alors avancée. La famille doute, mais souhaite tourner la page. Elle relève, cependant, un fait troublant: le chef de gare est mort quelques mois après la sortie de prison des trois bandits.

Kessava Packiry
La Liberté