Près de 85% des fleurs vendues en Suisse sont d’origine étrangère. Une absurdité économique et environnementale: la plupart pourraient être cultivées sur place.
Comme à chaque printemps, les Romands se précipitent dans les magasins spécialisés pour leurs travaux de jardinage. Et, souvent, ils ignorent que la plupart des plantes commercialisées en grande surface ont parcouru la moitié du globe avant de s’y retrouver.
«Importer des roses d’Equateur est une véritable aberration écologique, regrette Olivier Mark, président de Jardin Suisse. Chaque bouquet nécessite des litres de pétrole pour arriver dans les rayons. Un problème auquel les gens sont peu sensibilisés. Lorsqu’ils achètent des tomates, ils s’intéressent à leur provenance. Mais pour les fleurs et les plantes, il règne une grande indifférence.»
En 2011, le marché des végétaux vivants représentait en Suisse près de 1,3 milliard de francs, dont 55% assuré par la production autochtone et 45% par les importations.
Des chiffres qui cachent des réalités très diverses. Si les plantes destinées aux professionnels sont généralement produites en Suisse, les végétaux en pot dévolus aux «jardiniers du dimanche», proviennent en majorité de l’étranger.
Et c’est pire pour les fleurs coupées: elles sont importées à 85%. «Pour certaines plantes, notamment les cultures tropicales, il est normal de les faire venir, puisque cela coûterait davantage de les cultiver en Suisse sous serre chauffée, explique Jean-Luc Pasquier, consultant et chroniqueur horticole. Mais de nombreux plants poussent naturellement ici et il n’est d’aucun intérêt de les importer.»
Face à la concurrence étrangère, les horticulteurs suisses ont du mal à subsister, d’autant que, contrairement au secteur de l’agriculture, il n’existe pas de quotas d’importations sur les plantes ornementales. «Même si nous restons optimistes, c’est dur de survivre, ne cache pas Jean-Marc Crousaz, directeur de l’entreprise Crousaz Fleurs à Paudex. Beaucoup de végétaux, comme ceux provenant d’Equateur, se négocient en dollars. Une rose à un dollar revenait à 4 francs suisses dans les années 1970. Aujourd’hui, elle vaut moins d’un franc… Difficile de lutter à ce tarif.»
Résultat: le secteur a perdu une centaine d’entreprises en douze ans. Alors qu’elles étaient encore plus de 800, en 1996, à produire en Suisse, leur nombre est passé à moins de 700 en 2008. Pour contrer cette tendance, «nous devons sensibiliser les consommateurs au fait d’acheter des plantes nationales, certes un peu plus chères que les étrangères, martèle Olivier Mark. Malheureusement, les distributeurs ne font pratiquement rien pour différencier les unes des autres car leurs marges sont plus importantes sur les produits importés.» Difficile, toutefois, de stigmatiser les consommateurs lorsqu’ils ne peuvent distinguer ce qui est cultivé en Suisse de ce qui ne l’est pas.
Afin de se démarquer, les horticulteurs suisses ont alors créé plusieurs labels garantissant la provenance des plantes. Près de 200 producteurs ont ainsi adhéré à Plantiance, créé en 2001 par Jardin Suisse. Et d’autres appellations existent comme Suisse Garantie ou Genève Région.
«Je trouve l’idée des labels excellente, mais je ne veux pas y participer. Cela demande beaucoup trop de paperasse, commente le fleuriste Jean-Marc Crousaz. Et l’origine est rarement, pour ne pas dire jamais, indiquée lorsqu’on achète un bouquet de fleurs.» Quand elle n’est pas mensongère. «Beaucoup de plantes sont estampillées made in Holland, mais c’est une indication trompeuse, explique Olivier Mark: 80% de la production mondiale passe par les Pays-Bas, mais cela ne veut pas dire qu’elle y a été cultivée.»
La qualité des plantes étrangères n’est cependant pas remise en question: «Les fleurs suisses sont les plus fraîches, mais ce serait mentir de dire qu’elles sont les plus belles», avoue Jean-Marc Crousaz. Néanmoins, la beauté, même pour une rose, n’est pas tout, estime Olivier Mark. «Les produits qui viennent de nos régions nécessitent peu de transport et ne sont pas cultivés par des personnes payées quelques centimes de l’heure.»
Bertrand Bonté