Au Moyen Âge, une combourgeoisie (en allemand Burgrecht) est un traité temporel ou perpétuel par lequel une ville étend son droit de cité à une autre entité géographique, soit aux villages qui l'entourent, soit à une autre ville ou à un couvent.
La notion de combourgeoisie (dont le mot vient du latin comburgensis est tout d'abord utilisée pour la première fois vers l'an 1000 pour désigner la citoyenneté romaine avant de prendre son sens actuel au XIIIe siècle sur le territoire de la Suisse actuelle. La première occurrence reconnue du terme « conburgensis » date de 13302. En allemand, le terme Landrecht (traduit en français par l'expression droits territoriaux) est également utilisé lorsque le traité implique un territoire qui n'est pas une ville ou une seigneurie.
Traité de combourgeoisie de 1243 entre les villes de Berne et Fribourg
Présentés sous la forme d'un parchemin muni des sceaux et signatures des différentes parties, un traité de combourgeoisie détaille généralement précisément les limites du traité ainsi que les réserves faites, en particulier sur des traités ou alliances conclues antérieurement par l'une ou l'autre des parties et qui ont prédominance sur le nouveau traité. Ces réserves s'appliquent en particulier aux obligations offensive et/ou défensive d'assistance militaire réciproque. Si la plupart des traités sont conclus pour une durée illimitée, certains sont toutefois limités temporellement soit selon une durée fixée (10 ou 15 ans renouvelable), soit jusqu'à la mort de l'un des signataires.
Techniquement, les traités de combourgeoisie sont généralement un prémisse au rattachement (volontaire ou non) de la plus petite entité à la plus grande. Ainsi, suite à de tels traités, des territoires seront progressivement inclus dans la Confédération suisse comme nouveaux cantons dans le cas de Fribourg, Soleure ou Schaffhouse ou comme alliés pour Bienne, Genève, le Haut-Valais ou les Grisons. Par exemple, la ville de Saint Gall va passer de combourgeois à allié avant d'être finalement admis comme nouveau canton le 13 juin 1454.
Sceau du traité de combourgeoisie signé entre Lausanne, Berne et Fribourg le 7 décembre 1525
Au début du XVIe siècle, les premiers cantons de Suisse centrale utilisent la combourgeoisie pour augmenter leur influence sur des territoires adjacents soit en leur offrant une quasi-égalité de traitement comme dans le cas d'Urseren par le canton d'Uri ou d'Arth par le canton de Schwytz, soit en les prenant complètement sous leur domination, comme c'est le cas de Schwytz avec Appenzell en 1403 et Einsiedeln en 1414 ou d'Uri et d'Obwald avec la Léventine en 1403.
La combourgeoisie est par la suite largement utilisée par les villes du plateau suisse à partir du début du XVe siècle : Bâle accorde sa combourgeoisie à la prévôté de Moutier-Grandval dès 1406 alors que Soleure en fait autant avec le Landeron en 1449.
C'est cependant la ville de Berne qui va en faire le plus large usage : successivement Bienne en 1344, l'Erguël en 1352, Soleure en 1345, Valangin et la Gruyère en 1401, Fribourg en 1403, et enfin Neuchâtel en 1406 vont se voir offrir des traités de combourgeoisie. Auparavant, la ville bernoise avait déjà conclu de tels traités avec les communautés du Hasli et de Gessenay, avec les évêchés de Sion, Bâle et Lausanne ainsi qu'avec les villes de Morat, d'Avenches et de Payerne. Enfin, le 17 juin 1466, les villes de Berne et de Soleure offrent un traité de combourgeoisie doublé d'un traité militaire à celle de Mulhouse, alors menacée par les visées habsbourgoisesnhss 4. Ce réseau d'alliances dont la ville de Berne représente le centre a été appelé la « Confédération bourguignonne » par les historiens.
Le 23 mai 1477, les villes de Zurich, Berne, Lucerne, Fribourg et Soleure signent un traité de « combourgeoisie perpétuelle » sous la forme d'une alliance offensive et défensive dans le but d'initier une réflexion au sein de la Confédération des VIII cantons sur le remplacement des nombreux traités antérieurs par une alliance générale et communenhss 5. Cette alliance, source d'une importante crise au sein de la Confédération des XIII cantons, est dissoute par la Diète fédérale en 1481 par le convenant de Stans.
Après la signature, en 1525, d'un traité de combourgeoisie entre Lausanne, Berne et Fribourg, c'est au tour de Genève de signer un même traité avec les deux villes suisses le 8 février 1526 sous l'influence des Eidguenots, parti politique genevois favorable à un rapprochement de Genève avec la Confédération des XIII cantons pour échapper à la menace d'invasion causée par le duc Charles III de Savoie9. Ce traité sera renouvelé avec Berne le 7 août 1536 puis en 1584 ; dans ce dernier cas, la ville de Zurich remplace celle de Fribourg qui, restée fidèle au catholicisme, refuse de renouveler le traité avec la « Rome protestante »
Au sein de la Confédération suisse, le réseau extrêmement dense des traités de combourgeoisie est une des raisons de plusieurs conflits armés, tels quel la guerre de Berthoud en 1382, celle de Sempach en 1386 ou encore l'ancienne guerre de Zurich en 1440. Suite à ces évènements, les combourgeoisies vont progressivement disparaitre au cours du XVIe siècle, bien que de nouvelles « combourgeoisies chrétiennes » soient encore conclues de 1527 à 1531 entre des villes du Sud de l'Allemagne et du Nord de la Suisse dans le but de défendre la nouvelle réforme protestante.
La manière dont un traité de combourgeoisie répartit les charges et les droits reflète le rapport de force entre les contractants. Apparu pour la première fois chez le moine saint-gallois Notker l'Allemand vers l'an mille, le mot Burgrecht désigna d'abord le droit de cité romain, plus tard, en Allemagne méridionale, un fief libre ou encore, semble-t-il, le droit particulier à un château ou à une ville; il ne prit le sens de combourgeoisie qu'à partir du XIIIe s., dans le territoire de la Suisse actuelle.
S'ajoutant à la conquête, à la prise en gage et à l'achat, l'instrument juridique de la combourgeoisie devint en Suisse, entre le milieu du XIIIe s. et celui du XVIe, un moyen spécifique d'édifier des Seigneuries territoriales. En demandant à être reçus, les nobles ou communautés paysannes ont plus d'une fois contribué eux-mêmes à l'accroissement territorial des villes. Le traité de combourgeoisie est souvent l'amorce d'un processus qui conduit, pour les uns de la prise d'influence à l'intégration pure et simple en passant par une période de protectorat, pour les autres d'un simple renforcement de structures autonomes existantes à une émancipation définitive par rapport à l'ancien seigneur. C'est ainsi que la ville de Berne réussit, par une politique de combourgeoisie particulièrement offensive, à étendre son hégémonie sur la presque totalité des nobles, villes et couvents environnants (Confédération bourguignonne). Dans l'Oberland bernois, les gens du Hasli et du Gessenay usèrent d'abord de leur combourgeoisie avec Berne pour s'affirmer face aux comtes de Gruyère, aux sires de Weissenburg et à leurs créanciers. A plus long terme, ils durent toutefois constater qu'elle avait permis à la ville de les absorber. De même, la ville de Zurich imposa sa combourgeoisie aux cités et seigneuries des environs tout en s'assurant un droit de préemption. Fribourg et Lucerne menèrent sous une forme atténuée une politique semblable, tandis que Bâle et Soleure ne montraient qu'un faible intérêt pour la combourgeoisie.
Les cantons à landsgemeinde développèrent aussi des combourgeoisies, dites Landrecht (Droits territoriaux). Y être admis pouvait permettre de s'émanciper du pouvoir féodal et de jouir d'une quasi égalité de droits dans le canton (Urseren dans le canton d'Uri, Arth dans celui de Schwytz). Tout comme les villes, les cantons campagnards y virent aussi un moyen de soutenir des structures autonomes contre un suzerain (Glaris et Schwytz appuyèrent le Toggenbourg contre l'abbé de Saint-Gall) ou de substituer tout simplement leur domination à celle de l'ancien seigneur (Uri dans la Léventine, Schwytz dans la vallée d'Einsiedeln).
Le rattachement à la Confédération de territoires sis à l'ouest, à l'est et au nord, soit comme cantons souverains (Fribourg, Soleure, Schaffhouse), soit comme pays sujets (Argovie, Vaud) ou alliés (abbaye et ville de Saint-Gall, Bienne, Genève, Valais, Ligues rhétiques) fut préparé à chaque fois par un traité de combourgeoisie. A l'ouest, ceux que Berne avait conclus en 1525 avec des seigneurs vaudois et la ville de Lausanne lui servirent en 1536 de prétexte pour annexer le Pays de Vaud. Des combourgeoisies avec Berne et Fribourg lièrent à la Confédération des parties de l'évêché de Bâle (Bienne et l'Erguël en 1344/1352, La Neuveville en 1388), Soleure (1345), la seigneurie de Valangin (1401, 1427), le comté et la ville de Neuchâtel (1406, 1408). La prévôté de Moutier-Grandval était combourgeoise de Bâle (1406), Soleure (1462) et Berne (1486). Pour la République de Genève, devenue indépendante en 1536, les combourgeoisies confédérées (Fribourg 1519, Berne 1526) avaient été des étapes importantes dans sa lutte d'émancipation envers l'évêque et le duc de Savoie (lequel, en 1477 encore, avait conclu avec ces mêmes villes des traités du même type pour lui-même et Genève). Grâce à sa combourgeoisie bernoise (1406), la ville de Neuchâtel put s'affirmer face au comte. Les combourgeoisies accordées par Lucerne, Uri et Unterwald au Valais (1416/1417) avaient le caractère d'un accord bilatéral entre partenaires égaux en droits. A l'est, d'autres combourgeoisies (1403, 1411) permirent à Appenzell de s'affranchir de l'abbé de Saint-Gall. Ce dernier passa lui-même en 1451 une combourgeoisie perpétuelle avec Zurich, Lucerne, Schwytz et Glaris, ce qui fonda son statut de pays allié. La ville de Saint-Gall devint combourgeoise de divers cantons à partir de 1412. Dès 1339, des combourgeoisies furent accordées à des membres des Ligues rhétiques alors en voie de formation. Mais dans ce réseau de traités qui se chevauchaient et parfois se concurrençaient, tous n'eurent pas un effet durable ni même stabilisateur. Il arriva qu'il en résultât un conflit (guerres de Laupen en 1339, de Berthoud en 1384, de Sempach en 1386, de Zurich en 1440) ou une crise: la combourgeoisie perpétuelle de 1477 entre Zurich, Berne, Lucerne, Fribourg et Soleure faillit provoquer une scission entre cantons-villes et cantons campagnards, au point qu'elle dut être dissoute en 1481 (convenant de Stans).
La bourgeoisie foraine ou externe était une forme de combourgeoisie accordée individuellement à des personnes qui continuaient de résider hors de la ville. Mais il arrivait que des communes ou des villages entiers y accèdent; l'admission massive de bourgeois forains, pratiquée par les villes, surtout en période de crise (Berne au XIVe s., Lucerne entre 1330 et 1386, Zurich entre 1351 et 1450), alla souvent de pair avec l'octroi de combourgeoisies, toutes deux servant au demeurant les mêmes visées territoriales. Recherchée par les ruraux de rang servile, l'admission individuelle à la bourgeoisie foraine rencontra de fortes résistances chez les féodaux, qui y voyaient une atteinte à leurs droits seigneuriaux. C'est pourquoi l'Empire interdit une première fois en 1231, puis plus sévèrement encore dans la Bulle d'or de 1356, l'admission tant à la bourgeoisie foraine qu'à la combourgeoisie. Il ne réussit toutefois pas à imposer cette mesure aux cantons confédérés, qui continuèrent à décider qui pourrait admettre des bourgeois externes et où.
Au XVIe s., les traités de combourgeoisie perdirent de leur importance, la formation territoriale de la Suisse étant en grande partie achevée, même si, à la Réforme, quelques villes de Suisse et d'Allemagne méridionale en conclurent encore pour mieux défendre la foi nouvelle. Ces combourgeoisies chrétiennes (1527-1531) furent éphémères et l'on procéda, pour des raisons confessionnelles, à la dissolution d'accords plus anciens (entre l'évêque de Coire et Zurich en 1531, Fribourg et Genève en 1534). Après avoir conquis le Pays de Vaud, Berne contraignit quelques villes (Payerne en 1536, Avenches en 1537, Lausanne en 1538) à dénoncer leurs traités avec Fribourg. Il n'y eut plus par la suite de nouvelles combourgeoisies importantes. Quelques-unes n'en continuèrent pas moins d'être reconduites ou partiellement révisées (par exemple celles de Berne avec Genève en 1558, de Schwytz et Glaris avec le Toggenbourg en 1703, de Soleure avec Neuchâtel jusqu'en 1756, de Zurich, Lucerne, Schwytz et Glaris avec l'abbaye de Saint-Gall en 1767, de Berne avec la prévôté de Moutier-Grandval jusqu'en 1774). Jusqu'à l'écroulement de l'Ancien Régime, les sujets campagnards invoquèrent les vieilles combourgeoisies et bourgeoisies foraines pour se justifier lors des révoltes paysannes. Ainsi Wädenswil en 1646, le Toggenbourg en 1703-1712, Fribourg en 1781-1784 (soulèvement Chenaux), sans compter l'affaire de Stäfa (1794-1795).
Combourgeoisies chrétiennes
Les succès des réformés à Berne en 1527 eurent des répercussions sur le plan fédéral. Zurich, sortant de son isolement, songea à garantir la sécurité de la Réforme par des alliances confessionnelles séparées. Du 25 décembre 1527 au 15 octobre 1529 furent signées les combourgeoisies de Zurich et Constance, de Berne et Constance, puis celle de Zurich et Berne, étendue à Saint-Gall, Bienne, Mulhouse, Bâle et Schaffhouse. Ces alliances avaient pour but d'une part la défense de la foi nouvelle, d'autre part le soutien actif de la Réforme dans les bailliages communs. En s'affirmant ainsi et en faisant preuve d'un esprit missionnaire agressif et expansionniste, les réformés poussèrent les catholiques à s'allier à leur tour (Alliance chrétienne).
La première paix nationale de 1529 (Paix nationales) éloigna Zurich de son vrai but: imposer la Réforme à toute la Confédération. C'est pourquoi Zwingli fit appel à des puissances étrangères: il parvint à conclure une alliance avec Strasbourg le 5 janvier 1530. Le 18 novembre 1530, Zurich, Bâle et Strasbourg s'allièrent au lointain landgrave de Hesse; l'abstention de Berne indique que l'arc était trop tendu. En outre, la Ligue de Smalkalde (1531) entraînait les protestants de Haute-Allemagne dans le camp de Luther, ce qui vouait à l'échec la politique imposée par Zwingli et Zurich. La victoire des catholiques dans la seconde guerre de Kappel (octobre 1531) mit fin à toutes les combourgeoisies chrétiennes.
En pays romand
C’est surtout dans l’extension de la Confédération en direction de l’Ouest que les combourgeoisies eurent un rôle déterminant. Précisons d’emblée que lorsque nous parlons de pays romand nous entendons un territoire qui correspond, en gros, à l’actuelle Suisse romande (nous ne retiendrons cependant ni Bâle, ni le Valais). Dans l’étude des diverses sources nous étant parvenues, il est d’abord très intéressant de voir la présence quasi permanente des villes de Berne et de Fribourg dans les combourgeoisies, cette présence est révélatrice de la politique que les deux cités ont menée. Les premières combourgeoisies datent de la fin du XIIIe siècle (certaines resteront en vigueur jusqu’au XVIIe siècle ; le terme de « conburgensis » apparaît en 1330 seulement). Mais dès le XVIe siècle, les combourgeoisies se font moins nombreuses, aucunes nouvelles combourgeoisies n’est conclue, on se contente de renouveler celles qui ont subsisté ; pourquoi ce déclin ? C’est d’abord la conquête du Pays de Vaud par les Bernois en 1536, en effet, par cette conquête de nombreux combourgeois deviennent sujets de Berne ou de Fribourg. Durant tout le XIII et XIVe siècle, la clause de combourgeoisie reste rudimentaire, mais au fait qu’est-ce que la clause de combourgeoisie ? La clause de combourgeoisie stipule l’acquisition par un ou tous les partenaires du statut de bourgeois de ou des villes parties au traité. Nous reviendrons plus loin sur les effets de cette clause.
Les parties
On distingue trois catégories de parties : les seigneurs, les villes et les autres collectivités. La qualité des parties figure au début de l’acte (souvent mêlée au préambule).
a) Les seigneurs
Dans le cas des seigneurs, le traité énumère les principaux titres (comte, seigneur, coseigneur…). Dans certains traités, le seigneur associe une partie ou la totalité de ses sujets à la combourgeoisie (en général pour des raisons politiques ou commerciales).
b) Les villes
C’est la catégorie la plus importante puisque les villes sont parties à tous les traités de combourgeoisie. C’est, en général, l’ensemble de la communauté qui est liée. Les autorités qui représentent la ville sont énumérées dans l’acte (ce sont avoyers ou syndics, les conseils et la communauté des nobles, les bourgeois et les habitants). Une ville étant encore soumise à un seigneur se doit de lui demander l’autorisation de conclure la combourgeoisie. Par exemple pour Berne et Fribourg, qui ne dépendent que du Saint Empire, l’éloignement du souverain permit aux deux villes de conclure autant de traités qu’elles souhaitèrent (le statut de ville impériale leur offrant une très large liberté d’action dans le domaine de la politique extérieure). Il reste cependant toujours dans le texte une réserve générale des droits du seigneur.
c) Les autres collectivités
Ce sont soit des communautés rurales soit des communautés ecclésiastiques. L’ensemble de la collectivité est partie au traité. Le nom des chargés des négociations est présent en général.
Donc les villes libres et les seigneurs peuvent conclure librement des combourgeoisies, mais les collectivités soumises à un seigneur doivent toujours conserver les droits de celui-ci. Mais ces communautés ont tout de même une large liberté. Notons encore que seuls les hommes soumis à la servitude personnelle ne peuvent contracter en leur nom propre une combourgeoisie.
Les réserves
Dans la plupart des traités sont réservés certains liens préexistants entre une des parties et un tiers, ces réserves impliquent que ces liens l'emportent sur la combourgeoisie (dans son entier ou seulement sur certains points). En général, ces réserves se situent à la suite de l'obligation d'assistance militaire réciproque. Pourquoi ? Parce que, en général, ce sont les liens militaires préexistants qui sont conservés, la clause d’assistance mutuelle de la combourgeoisie étant dès lors limitée par les réserves. Il faut comprendre que l’obligation principale des hommages vassaliques était l’assistance militaire. La pratique des réserves sert à éviter des situations contradictoires en cas de conflits. D’autres textes contiennent des réserves qui se situent en fin de texte, elles se rapportent alors à toutes les obligations du traité, elles s’étendent donc à tous les droits des suzerains ou des alliés des parties (c’est souvent le cas lorsque ce sont des sujets qui concluent une combourgeoisie avec l’autorisation de leur seigneur ; c’est la reconnaissance implicite du lien de sujétion). Lorsque les sujets ne réservent pas les droits du seigneur, le texte du traité mentionne expressément l’accord de ce dernier (ce qui implique la renonciation à faire valoir des droits contraires à ceux du seigneur). Les traités conclus contre la volonté du seigneur sont considérés comme nuls. Mais le rôle des réserves fut variable, il arrivait souvent qu’elles se modifient ou deviennent caduques.
Les négociations
En général, l’initiative des négociations est prise par les conseils de la ville ou par la communauté des habitants. Lorsque la ville qui désire s’engager est encore sous l’autorité d’un seigneur, celui-ci laisse faire les pourparlers et n’interviendra que lorsque la négociation sera bien avancée ou juste avant la ratification. Un seigneur qui désire engager des pourparlers en vue de la conclusion d’une combourgeoisie peut le faire librement, il dépêchera alors une ambassade. Nous avons déjà vu que dans certains traités le nom des négociateurs est mentionné dans le préambule, dans d’autres traités il n’y a aucune mention des négociateurs. On imagine aisément que ce sont des gens importants qui sont choisi comme négociateur. Le seigneur choisit souvent quelqu’un de sa maison, les hommes de loi ou les ecclésiastiques sont aussi à même de représenter leur maître. Un riche bourgeois ou un vassal peut aussi être choisit. Les villes désignent des magistrats ou des riches commerçants. Les négociateurs sont élus par les autorités de la ville. Les négociateurs reçoivent des consignes, mais ils jouissent généralement d’une grande marge de manœuvre.
La ratification
C’est évidemment à la fin des négociations que celle-ci intervient. Les autorités compétentes à ratifier n’étaient pas toujours les mêmes : Conseil Général (GE), Conseil de Ville (LS), Grand Conseil (BE, FR). Dans le cas des seigneurs et des communautés, il n’y a pas de problème de ratification puisque ce sont les mêmes autorités qui engagent les négociations et les ratifient. En général, serment et ratification se confondent. Le serment est une promesse solennelle dans laquelle le Nom divin est pris comme témoin de la vérité ; les effets du serment sont que celui qui a librement juré de faire quelque chose est tenu d’accomplir ce qu’il a confirmé par serment. C’est la peine de parjure qui sanctionne la non-exécution de l’obligation prise par serment. C’est un moyen de contrainte moral qui s’explique par le manque de possibilité d’appliquer une contrainte directe (faiblesse et morcellement de la puissance publique). Parfois c’est une simple promesse qui est faite, ce sont des cas rares, la parjure ne pourra alors pas être invoqué. Notons encore que la ratification ne semble pas porter sur l’acte écrit mais plutôt sur une proclamation orale. A partir du moment où les sceaux et les signatures figurent sur l’acte, le document est reconnu comme définitif. Le document sert de moyen de preuve en cas de litige. Si le sceau est endommagé, le document ne peut plus être invoqué valablement, il faudra alors établir un vidimus, c’est-à-dire une copie conforme entraînant l’annulation du document endommagé.
En général, les parties précisent la durée pendant laquelle le traité restera en vigueur. La plupart des traités sont conclus pour une durée illimitée (perpétuel). Les héritiers de l’un des cocontractants seront donc aussi liés par le traité, celui-ci fera l’objet de renouvellement (nous y revenons plus bas). Pour limiter la durée d’application d’un traité il existe deux possibilités : un terme fixe, précisant une date précise d’extinction des obligations ; la mort d’une des parties au traité (c’est un moyen utiliser par les seigneurs). C’est la première de ces possibilités qui est la plus courante. La plupart des traités durent 10 à 15 ans, mais il est évidemment toujours possible de renouveler le traité arrivé à échéance en le reconduisant pour une nouvelle tranche de 10 ou 15 ans. La limitation de la durée d’un traité ne peut intervenir qu’avec l’assentiment de toutes les parties. Le renouvellement fait soit l’objet d’une clause spéciale dans le traité, soit il figure dans un document spécial (intitulé renouvellement). Le renouvellement est parfois prétexte à des modifications du traité.
Au niveau de la résiliation, on trouve deux pratiques principales : certains traités ne font qu’une brève allusion à la résiliation, parfois les parties s’engagent à ne pas résilier la combourgeoisie avant une période déterminée ; d’autres traités offrent la possibilité de résilier le traité à tout moment, contre paiement d’un dédit. Cette possibilité est parfois limitée dans le temps. Il est clair que l’une des parties a toujours la possibilité de résilier le traité si l’autre partie ne le respecte pas. L’instauration de la Réforme est à ce titre intéressante, Berne opte pour le camp réformé alors que Fribourg reste fidèle à la foi catholique. Comme nous l’avons dit, la plupart des traités de combourgeoisies impliquaient ces deux cités, les combourgeois furent donc soumis à diverses pressions (dont la menace de résiliation). Autre situation impliquant des résiliations : la conquête du Pays de Vaud par les Bernois (qui exigent de leurs sujets qu’ils se retirent de tous les traités conclus avec des tiers). Mais les parties peuvent aussi convenir d’un commun accord de la résiliation (mais ça reste un cas rare). Il faut encore souligner que lorsque les traités impliquent plus de deux parties, ils peuvent rester en vigueur pour les parties ne les ayant pas dénoncées. Il faut bien comprendre que la résiliation est la solution extrême et que, bien souvent, la partie la plus faible se pliait aux exigences du plus fort pour ne pas voir la combourgeoisie être résiliée. De même il convient de ne pas se leurrer sur les clauses interdisant la résiliation, leur importance tombe dès que les avantages de la combourgeoisie ne sont plus jugés suffisants par l’une ou l’autre des parties.
Les effets de la clause de combourgeoisie
La clause de combourgeoisie implique d’être reçu dans la bourgeoisie de la ville cocontractante, quelles obligations et quels droits cela met en jeu ? Certaines combourgeoisies peuvent être générales ou limitées à l’évocation d’un aspect particulier du statut bourgeoisial (comme l’assistance mutuelle par exemple). On sait, par exemple, que les seigneurs parties aux traités sont parfois tenus d’acquérir une maison dans la ville où ils sont reçus bourgeois (mais aucune obligation de résidence, ce que le statut bourgeoisial prévoit en général). Certaines charges (taille, guet) incombant normalement aux bourgeois peuvent en outre être limitées (ou annulées), en général contre une somme d’argent. Il faut donc bien voir que la clause de combourgeoisie n’est pas une simple clause de style, elle implique des droits et des obligations. Le traité confère une espèce de droit de cité, qui ne confère pas la totalité des droits des bourgeois, mais qui n’obligent pas non plus à la totalité des devoirs de ceux-ci. Il faut aussi distinguer les cas ou ce sont des communautés ou un seigneur qui deviennent combourgeois, la réception d’un particulier est plus simple que celle d’une communauté. Dans tous les cas nous avons affaire à un statut particulier, spécifique aux combourgeoisies et dont l’étendue dépend de ce qui est précisé dans le traité. C’est bien la clause de combourgeoisie qui permet de distinguer les combourgeoisies des autres types de traités ; les clauses les plus importantes se retrouvent en effet dans tous les types de traités.
La clause et la demande d'aide
La clause d'aide est la clause par laquelle les parties se garantissent réciproquement tous leurs droits et tous leurs biens. La garantie réciproque implique l'obligation d'aider la partie lésée ; pour pouvoir bénéficier de cette aide, il suffit que les biens protégés soient atteints. L’aide n’est pas automatique, elle doit être requise (la demande se fait soit par écrit, soit par un messager envoyé spécialement). C’est cependant toujours la partie sollicitée qui reste à même de juger si l’atteinte justifie l’intervention. Il faut souligner que la clause d’aide est en général suffisamment imprécise pour laisser un large champ d’interprétation aux parties. Souvent, avant que l’aide n’intervienne il aura fallu une méditation, c’est seulement si cette dernière échoue que la clause d’aide entre en vigueur. Lors de la demande, les circonstances sont brièvement établies (des motifs précis sont invoqués – rébellion des sujets, propagation de la Réforme, blocus économique, atteintes aux biens particuliers…-). Parfois une simple menace peut suffire. Le refus de répondre à la demande d’aide est en général motivé, ce n’est cependant pas toujours le cas, en particulier pour Berne et Fribourg qui, forte de leur puissance, peuvent se permettre un tel agissement.
Les modalités de l’aide ne sont pas toujours définies, ou, du moins le sont de manière très générale. Mais la plupart des traités indiquent tout de même les modalités d’aide ; ainsi les parties ne sont tenues de fournir qu’une « aide proportionnée à leurs moyens » ou « tout mettre en œuvre pour soutenir leurs alliés ». L’aide militaire est de loin la plus courante. Une autre sorte d’aide est celle de se proposer comme médiateur en cas de conflit. Les frais de l’intervention peuvent être partagés, ou à la charge d’un seul des cocontractants, ce qui s’explique par l’inégalité entre les parties. C’est bien grâce à son imprécision que la clause d’aide permet de faire face à toutes les situations, mais les modalités les plus courantes restent l’aide militaire et le recours à la médiation.
Les clauses spéciales
Dans de nombreux traités conclus par Berne et Fribourg une clause spéciale prévoit le versement d’une somme d’argent par l’autre partie. Le versement s’effectue périodiquement à date fixe. Cette somme sert en général à s’acquitter des différentes taxes, redevances et impôts auxquels tout nouveau bourgeois doit normalement être soumis. La clause pécuniaire est un signe de dépendance d’une des parties à l’égard de l’autre. La clause de liberté de commerce profite généralement à toutes les parties. Mais il faut noter que la liberté de commerce reste à cette époque très limitée. Il existe d’autres clauses spéciales mais leur rareté nous en évite l’étude (liberté d’établissement, portée de la clause commerciale).
Les clauses procédurales
Il est évident que des litiges peuvent survenir entre les combourgeois ; l’une des parties peut être lésée par l’autre. Les traités prévoient en général de telles situations en fixant de manière claire et précise la procédure à suivre pour les régler (si possible à l’amiable). L’arbitrage n’est cependant pas très prisé, il ne semble intervenir que lorsque la juridiction ordinaire de l’une des parties n’est pas compétente. L’arbitrage n’intervient pas d’emblée, mais seulement après avoir épuisé toutes les possibilités de règlement à l’amiable. Les garanties de procédure offertes aux ressortissants de chacune des parties témoignent de la volonté d’éviter la partialité des juges locaux.
Conclusions
Nous pouvons constater que les premières combourgeoisies sont conclues entre des villes et des seigneurs ; dès le début du XVe siècle, ce type de traité est étendu aux relations entre villes ou avec d’autres collectivités. Les combourgeoisies renforcent l’autonomie des collectivités qui bénéficient d’appui extérieur pour affirmer leur liberté grandissante. Neuchâtel, Berne et Fribourg utiliseront très tôt des combourgeoisies, les collectivités du Pays de Vaud ou Genève n’y recourront qu’à la fin du XVe (coïncidence avec l’influence grandissante de Berne et Fribourg dans ces régions). Nous avons vu que différents types de problèmes étaient réglés par les combourgeoisies, ce sont d’abord des problèmes généraux : durée du traité, réserve du droit des tiers ou des particuliers, aide entre les parties, règles procédurales en cas de litiges. Il y a aussi des problèmes plus précis comme la liberté de commerce.
Les inégalités entre parties contractantes sont parfois telles que le traité ressemble plus à un protectorat qu’à une combourgeoisie. Notons que les combourgeoisies ne sont pas les seuls types de traités : alliances, confédérations sont aussi couramment utilisées. La différence entre ces traités ne consiste qu’en la clause de combourgeoisie. Cependant, la combourgeoisie établit entre les parties des liens plus forts qu’une simple alliance, les devoirs de fidélités et d’aide réciproque sont plus profonds. Il faut également savoir que les sources allemandes et italiennes ne font pas allusion à des combourgeoisies. De même, elles semblent plus nombreuses dans les pays romands que dans les pays alémaniques (la combourgeoisie est une institution urbaine par excellence). Les combourgeoisies seront un instrument de conquête particulièrement souple, l’intégration de la Romandie dans la zone d’influence des villes de Berne et Fribourg se fit lentement, mais sûrement. On peut dire que les combourgeoisies furent à la base de l’intégration des pays romands dans la Confédération suisse.
Egger Ph.