La veuve du grand chef sort de son silence et rétablit la vérité sur l'élément déclencheur qui a déstabilisé son époux trois semaines avant sa disparition.
Dominique Loiseau et Bernard Loiseau, disparu en 2003, célébrant la troisième étoile du restaurant La Côte d'or en mars 1991. © Christian Vioujard / MAXPPP
C'était le 24 février 2003. Bernard Loiseau mettait fin à ses jours. Le chef trois étoiles de Saulieu mourait prématurément à 52 ans. Dix ans après le drame, L'Express a publié fin janvier une enquête dans laquelle l'hebdomadaire affirme que "le rôle joué par Michelin aurait pesé lourd dans ce suicide spectaculaire". Dominique Loiseau, la veuve du maestro des fourneaux, a décidé de sortir de son silence pour rétablir la vérité. Dans un entretien exclusif au Point.fr, elle révèle l'élément déclencheur qui a déstabilisé Bernard Loiseau trois semaines avant sa disparition.
Le Point.fr : Dix ans après la disparition de votre mari, l'esprit de Bernard Loiseau continue-t-il d'exister ?
Dominique Loiseau : Bernard a laissé une empreinte très forte dans ses équipes, dans l'atmosphère qui règne dans cette demeure de Saulieu et dans la cuisine. C'était un meneur d'hommes. Nous poursuivons son oeuvre comme il l'aurait aimé. Beaucoup de convives qui viennent pour la première fois chez nous confient spontanément qu'ils perçoivent ici l'"esprit Loiseau". C'est pour moi le plus beau des compliments.
Les trois étoiles que Bernard Loiseau a laissées en vous quittant brillent encore une décennie après...
Mon mari avait tout sacrifié pour arriver à ce niveau-là. Je me devais de pérenniser cela pour lui, pour mes trois enfants et mes collaborateurs. Deux mois après sa disparition, j'ai pris rendez-vous avec Derek Brown, le directeur du Michelin, en avril 2003. Sur le chemin de la capitale, une seule question occupait mes pensées : est-ce que Michelin donne les trois étoiles à un homme ou à une prestation ? Sans hésiter, Derek Brown m'a répondu qu'elles n'appartenaient pas à un homme, mais qu'elles récompensaient une prestation. Dès mon retour à Saulieu, j'ai fortement insisté sur ce message auprès de mes équipes. Nous y avons toujours cru. Quelques années plus tard, lors d'un entretien annuel, j'ai demandé combien de fois nous avions été inspectés en 2003, on m'a répondu au moins une dizaine de fois.
Un dossier paru dans L'Express fin janvier 2013 soutient que Bernard Loiseau s'est suicidé parce que le Guide Michelin avait menacé de lui retirer sa troisième étoile. Partagez-vous cette thèse ?
L'Express a annoncé en couverture "Révélations sur le suicide de Bernard Loiseau". C'est triste qu'un magazine national décide de doper ses ventes avec un titre aussi racoleur. L'article en question veut monter en épingle un entretien que Bernard et moi avions eu en novembre 2002 avec Derek Brown, trois mois avant sa mort. Le directeur du Michelin ne nous avait pas ménagés. Mais à aucun moment il n'a été question d'enlever la troisième étoile, comme le prouve d'ailleurs la note interne et confidentielle de Derek Brown publiée par L'Express. François-Régis Gaudry, le critique gastronomique de l'hebdomadaire, espérait, grâce à cette divulgation, réaliser un énorme coup. Je me demande pourquoi cette personne, qui n'a jamais rencontré Bernard, veut faire croire qu'elle en sait plus sur les raisons de son suicide que ses proches. Cette note ne prouve rien. C'est un faux scoop. Les lecteurs ont été trompés. Pour moi qui ai été journaliste, c'est de la désinformation. Je ne peux laisser ainsi déformer à ce point la chronologie des faits, rien que pour vendre du papier.
Que s'est-il passé après ce rendez-vous avec Derek Brown ?
Deux jours après, j'ai envoyé une lettre à Derek Brown pour lui dire que nous avions pris ses remarques en considération, et que tout était déjà fait pour redresser la barre. C'est exactement ce que Bernard s'est employé à faire. Avec sa brigade, il a tout revu, certains plats, les sauces, les assaisonnements. Bernard n'a pas fait de tentative de suicide dans les trois mois qui ont suivi notre rendez-vous annuel au Michelin. Il n'a jamais donné le moindre signe qui aurait pu nous alerter. Si Bernard avait eu le malheur de disparaître juste après l'entrevue avec Derek Brown, je n'aurais eu aucun scrupule à dire qu'il n'avait pas supporté ses remarques. L'Express a manipulé la vérité. Je ne lâcherai pas.
Pourquoi ne lâcherez-vous pas ?
Je suis déterminée à défendre la mémoire de mon mari. Il faut savoir que le titre de L'Express a été repris à l'étranger sans nuance, avec des propos encore plus déformés. François-Régis Gaudry nous a bernés. Il a d'abord joint ma fille Bérangère en lui affirmant qu'il allait faire un portrait hommage sur son père, pour les dix ans de sa disparition. Il est venu nous voir le 13 décembre 2012, pour effectuer son reportage. Nous sommes allées le chercher le matin au TGV à Montbard, à une heure de Saulieu, et l'avons reconduit le soir même. Il a passé toute la journée avec nous. Comme me dit ma fille, "nous lui avons ouvert nos portes et nos coeurs". Elle lui a organisé des interviews avec les principaux membres de l'équipe et a même fait déplacer un ancien fournisseur de légumes et ami de Bernard. Il nous a aussi demandé de nombreuses photos, bien ciblées. Nous avons été abusées.
C'est-à-dire ?
La veille de la diffusion de l'article sur le site internet de L'Express, le mardi 22 janvier, et avant sa parution le jeudi 24 janvier dans le magazine, François-Régis Gaudry a envoyé un SMS à ma fille : "Bonjour, Bérangère, j'ai besoin de parler à votre mère de toute urgence avant le début d'après-midi au sujet de mon portrait de votre papa dans L'Express. Pourriez-vous lui transmettre le message. Bonne journée." C'était le jour de notre arrivée à Tokyo pour le Salon du chocolat. Nous avions eu une journée chargée pour la mise en place de notre stand. En rentrant à l'hôtel, je croulais de sommeil à cause du décalage horaire, il devait être pour moi 5 ou 6 heures du matin, mais j'ai quand même pris la peine de l'appeler. Il m'a alors annoncé que son article allait prendre une tout autre tournure, car il avait des documents inédits sur le Guide Michelin concernant les raisons du suicide de Bernard. Je lui ai répliqué qu'il se trompait, car Bernard savait qu'il avait gardé sa troisième étoile avant de mettre fin à ses jours. Il n'a rien voulu entendre. Avec le recul, j'ai réalisé que François-Régis Gaudry a demandé à ce que je l'appelle simplement pour se protéger, car son article était bouclé.
Que s'est-il passé dans votre tête quand vous avez appris la nouvelle ?
J'étais révoltée et intriguée. Je ne savais pas à quoi m'attendre. Y avait-il des choses chez Michelin que je ne connaissais pas ? Pour ne rien arranger, nous avions une mauvaise connexion Internet dans notre hôtel, ce qui nous empêchait de consulter les médias en temps réel. Cela ne marchait parfois qu'en pleine nuit. J'ai mis beaucoup de temps à accéder au contenu de L'Express. C'était infernal. Quand ma fille a découvert l'article, elle a envoyé un tweet pour dire combien elle se sentait trahie. François-Régis Gaudry lui a répondu qu'elle se méprenait. Moi, j'ai préféré garder le silence, vu que j'étais à l'autre bout du monde. Et dès mon retour, j'ai envoyé à L'Express un droit de réponse que le magazine n'a toujours pas publié. Ma fille Bérangère n'a pas manqué de remarquer que, moins de 2 heures après la diffusion de l'article de L'Express sur Internet, François Simon, le critique gastronomique du Figaro, publiait une tribune sur le site internet du quotidien ! Elle m'a lu l'analyse que ce dernier faisait sur cette nouvelle affaire Loiseau : "On a beaucoup écrit, alimenté des légendes, brodé une fausse histoire faite de rumeurs et d'assassins dont j'ai d'ailleurs été la cible privilégiée..." Cette réaction de François Simon qui annonce si rapidement qu'il se sent disculpé grâce au reportage de L'Express, cela m'a quand même interpellée.
Qu'entendez-vous par "cela m'a quand même interpellée" ?
Je me suis de nouveau interrogée sur les derniers mois passés avec Bernard, sur son comportement avant son décès. J'ai commencé à y voir plus clair. La "descente aux enfers", pour reprendre cette affreuse expression utilisée par le journaliste de L'Express François-Régis Gaudry au sujet de mon mari, s'est réellement produite environ trois semaines avant sa mort. J'aurais dû écouter davantage le ressenti de mes collaborateurs. Ceux qui vivaient avec lui, du matin jusqu'au soir, ont remarqué que Bernard a été ébranlé début février 2003 par un article de François Simon, le journaliste du Figaro, qui se targuait avant la sortie du Michelin de souligner que Bernard risquait de perdre sa troisième étoile. Sauf que lorsque le Guide rouge a publié le communiqué de presse, une semaine après l'article du Figaro et deux semaines avant le suicide de Bernard, nos trois macarons étaient bien maintenus. Mais le mal était fait. Bernard était déstabilisé. C'est à partir de ce moment-là que son comportement a changé, à devenir incompréhensible. Nous n'arrivions plus à le raisonner. Il s'était persuadé que les médias voudraient dorénavant sa peau, selon ses termes.
Comment peut-on être à ce point affecté par un article ?
Il a été bouleversé par une phrase bien particulière. Le Figaro avait annoncé que Bernard Loiseau était "légitimement menacé" par le Michelin. Ce mot "légitimement", Bernard ne l'a jamais compris, et surtout jamais accepté. Il s'est demandé comment un journaliste du Figaro pouvait bien affirmer ça. Le vendredi 21 février 2003, soit trois jours avant son décès, Bernard a encore une fois appelé un de ses amis journalistes, à Paris, pour le questionner sur la signification du mot "légitimement". Le pronostic de François Simon était faux. Je suis intimement convaincue que si François Simon avait eu un minimum de courage et de droiture pour s'en expliquer simplement avec Bernard, nous n'en serions peut-être pas là.
Certains laissent entendre que c'est Claude Lebey qui aurait pu lui transmettre ces informations.
À cette époque, les deux personnages étaient proches. Claude Lebey était au courant du rendez-vous de Bernard avec Michelin en novembre 2002, et en sortant de l'entretien, mon mari lui en avait parlé. Comme le rappelle effectivement L'Express dans son papier. Mais, moi, je ne sais pas ce qu'il a pu dire à ce sujet à François Simon. Claude Lebey ne peut pas se vanter d'être un de nos intimes, mais il était simplement l'apporteur d'affaires de Bernard, un membre du Club des Cent, influent et craint. Chose surprenante, j'ai appris après les obsèques de Bernard que mes collaborateurs avaient empêché Claude Lebey de rentrer dans la basilique de Saulieu lors de la messe des funérailles.
Y a-t-il d'autres facteurs qui ont pu déstabiliser Bernard Loiseau ?
Bien sûr, Bernard était très fatigué, puisque nous étions encore ouverts 365 jours dans l'année. Il ne comprenait pas non plus que la cuisine moléculaire puisse être présentée comme la vraie tendance de l'avenir. Bien des thèses ont aussi été soulevées par la presse sur des sujets aussi divers que notre vie privée ou des problèmes financiers. Ce n'était que supputations !
Plusieurs médias ont justement affirmé que Bernard Loiseau avait mis fin à ses jours parce qu'il était surendetté...
Combien de fois ai-je pu lire cette théorie, surtout après le drame. Sans doute pris de court par cette nouvelle, certains journalistes n'ont pas réussi à découvrir que nous étions cotés en Bourse depuis déjà 1998. D'autres n'ont simplement pas pensé à vérifier sur notre site internet :un simple clic sur notre rubrique "Bourse" leur aurait donné tous nos chiffres ; mais dans ce cas, il fallait aussi avoir la compétence nécessaire pour interpréter nos tableaux de résultats financiers. Tout cela est écrit noir sur blanc dans le rapport annuel de 2002. Saviez-vous que le chiffre d'affaires de 2002 était bien plus élevé que celui que nous affichons aujourd'hui. Qu'avec le résultat net de 2002, qui était d'un montant de 750 000 euros, et un flux de trésorerie généré par l'activité de 1 481 000 euros nous pouvions largement payer nos 620 000 euros de remboursements d'emprunts. Qu'en plus, en 2002, nous avions distribué 315 000 euros aux actionnaires de la société mère de Saulieu. Que la trésorerie très positive fluctuait en 2002 entre 550 000 et 311 000 euros. Ça ne pouvait donc en aucun cas affecter le moral de mon mari.
Le groupe Bernard Loiseau était donc en excellente santé financière...
Le taux d'endettement en 2002 ne dépassait pas 25 % du total bilan. Les commissaires aux comptes ont toujours certifié les états financiers sans aucune réserve. Mon mari n'a jamais souffert d'une prétendue "prise de risque financière de l'introduction en Bourse de son empire de restauration", comme certains ont pu l'affirmer. D'ailleurs, je n'ai jamais considéré que notre Relais & Châteaux de Saulieu, qui emploie 70 personnes, est un empire ! Et même si on y ajoute nos deux autres restaurants parisiens, Tante Louise et Tante Marguerite, et notre établissement de Beaune, Loiseau des Vignes, cela reste une PME. Mais elle se porte très bien et notre maison fait rêver le monde entier.
Vous semblez ne rien vouloir laisser passer aujourd'hui...
Personne, vous m'entendez bien, personne ne me détournera de ma détermination. Les intimidations ne me font pas peur. Je ne me suis jamais laissé impressionner par les journalistes. Bernard subissait la pression des médias. Moi, j'ai un autre tempérament que lui. Chaque fois que les médias, quels qu'ils soient, se sont attaqués à sa mémoire, j'ai demandé réparation. Rien ne m'a jamais arrêtée pour rétablir la vérité. La décence voudrait que l'on respecte la mémoire de mon mari.
The dark side of François Simon
A l’opposé des badernes provinciales et autres allumeurs de clichés, façon Coup de fourchette en Suisse (mais il y en aurait d’autres à citer), François Simon est un critique qui a ce don, qui peut prodigieusement agacer : relier ce qui l’intéresse, l’émeut, le crispe, à des paysages, des sensations, une histoire, l’air du temps. La fabrique de nos futurs souvenirs...
Que décrit-il ? Un monde. Celui de la gastronomie, de ses fastes, de ses cirages de pompes, de ses encanaillements, de ses envolées, des rêves qu’elle allume dans les yeux des femmes et de ceux qui les regardent.
Tout ce que la vie, chaque nuit, réinvente. Pour nous faire croire que demain sera forcément différent.
Vieux filon inépuisable. Celui du goût, de ses aventures, de ses avatars.
Je ne suis pas persuadé que François Simon ait vraiment souhaité se couler un jour dans la chair d’un chroniqueur gastronomique.
Comme si tout ceci procédait d’un joli (et persistant) malentendu. Se retrouver parachuté dans un monde qui l'effraie un peu, battant le pavé parisien ou labourant le sentier des gargotes de province. A la recherche d'une incertaine révélation...
Toute ressemblance n'est que fortuite
A le lire, on l’imagine fragile, esthète parisien, limite dandy, en proie à des nostalgies, des doutes métaphysiques, des rêveries exquises.
Pas tout à fait le genre à être né avec un estomac plus gros que l’appétit ou une cuiller à entremets dans le bec.
Dur métier. Il y a des jours où l’attente déçue peut vous briser, des repas qui ressemblent à des naufrages. Malgré les tralalas et les chorégraphies savantes des assiettes.
François Simon s’avance masqué pour multiplier les identités ? débarque incognito dans les cantines et les palaces, filme quelques plats au ras du fraisier, tendance macro un peu trash. S’éclipse pour y coller des commentaires avachis, façon Gainsbourgh.
Il est partout puisqu'invisible. D’aucuns le subodorent dans le XVIe ; d’autres à la rue Mouffetard ou attablé au fin fond du Quercy. Comme s’il se dédoublait en permanence. François Simon ? Une fiction.
Ses additions, il les paie cash. Ce qui lui donne toute latitude pour présenter la sienne, en retour, dans les colonnes du journal qui l'emploie. Ou tresser des éloges sincères.
Une évidence puisqu’il a payé : il n’y a que ceux qui ne paient pas qui flagornent. Au lieu de faire leur métier et de tirer la sonnette d’alarme !
Mais voilà, comment résister quand on vous arrose ? Comme dans ce restaurant de la rue des Mathurins où, rapporte François Simon, un vieux critique gastronomique « que l’opprobre rendait passionnant » y avait ses aises, le parking, le couvert pour deux, la drôlesse qui va avec (aux frais de la maison). Bref, le gîte pour l’éternité !
La force du style
Disons-le : François Simon, c’est un style, une plume acérée, façon couteau japonais en acier Damas. On devine qu’il a été à bonne école : il a retenu les leçons des compères Gault et Millau. En y ajoutant une perception légèrement décalée, ironique, de l’objet gastronomique, une manière de filer la métaphore qui, parfois, vous emporte sur des sommets littéraires (eh oui !) où le plat décrit compte pour beurre, devient un anodin prétexte.
A la fin, on se demande pourtant où on est. Brutalisé par cette verve caustique, décapé par ce style au scalpel. Ebloui par tant de réminiscences (Balzac, Huysmans, Proust, Linné en visite chez Escoffier). On s’imagine d’autres vies, on quitte tout pour suivre les traces de notre Fantomas, dans Paris, à attendre des donzelles improbables du côté de la rue Ste-Anne, à écouter les terrifiantes menaces de Guy Martin au Grand Véfour (« ce qui, sous nos tropiques, ne se fait pas »), à oublier d’être heureux chez Guy Savoy, à chipoter de pataudes langoustines estampillées Laetitia, rue Balzac, dans un endroit chicos dont le propriétaire s’appellerait Johnny Halliday…
Pire encore, nous irions nous dévergonder au Fouquet’s et goûter à cette avanie, l’« énigmatique côte de cochon cul noir accompagnée de…caviar. L’idée semble insolente (donner des prunes à un cochon) mais en bouche, c’est un non-sens consternant : le caviar glacé vient perforer frontalement une viande superbe dans sa rusticité, et scier vicieusement le câble d’un ascenseur qui menait notre porc au firmament de sa vocation bucolique. »
C’est une constante chez François Simon : cet homme qui aime les constructions bien dégagées, qui sait décrire à la perfection l’ondulation d’une femme qui se lève, au restaurant, trouve essentiellement les motifs de son inspiration dans les failles, les ratages, les rendez-vous manqués, les créations variqueuses, les bouffissures de l’ego de certains cuisiniers.
Ce qui lui vaut sans doute davantage d’ennemis que de vrais lecteurs. Dommage.
Quelques très beaux portraits. Ils prouvent, si nécessaire, que notre avatar d'enquêteur aime vraiment la gastronomie. Celui de Alain Dutournier : "Avec sa bonne tête penchée, douce et apaisée, comme sa cuisine, un homme plus attiré par les corridas de Pampelune que les coups tordus, l’amitié plutôt que les relations, les copains plutôt que les coquins. Un homme bon. "
Bien vu !
Celui également de Claude Peyrot, fiévreux et lumineux, inoubliable chef du Vivarois. Je vivrai avec ce regret, celui de n’avoir pu goûter sa cuisine. Surtout après avoir lu ces lignes : » J’étais là à son dernier dîner. C’était bouleversant d’excellence. L’assemblée ne comprenait rien à son départ. Lui, non plus. En cuisine, il ressemblait à un enfant de quatorze ans qui vient de commettre une bêtise. Celle de partir si tôt. »
Comme un canard sans ailes...
Des défauts à la cuirasse ? Oui, oui...
Difficile d’être en avance sur ses livres, François Simon écrit plus vite que son ombre et se trouve donc condamné au recyclage, à la compilation. Tout (ou presque) est déjà paru sur son blog. A peu de lignes près. Compliqué de faire du neuf en permanence. Pourvu que cela ne m’arrive pas un jour…
Et puis, c'est souvent le cas de celles et ceux que la nature a pourvu de trop de dons : il a tendance, le critique diaphane, à vivre sur ses rentes, à faire le cabotin, à virer « dandy des écuelles », chipoter sur l’essentiel, se faire des petites frayeurs, s’inventer des plans foireux.
A l’instar des fameux canards de la Tour d’Argent qu’il décrit si bien. Ceux-ci s’annoncent merveilleusement. D'une façon épatante, dirait notre commensal. Précédés par leur propre réputation, ils ont tous les talents de la terre.
Mais voilà, en chemin, ils s’usent, perdent la foi, nous arrivent avec des déconvenues mal dissimulées, des estocades dans les magrets... Est-ce le temps qui passe, l’amour du cuisinier qui s’effiloche, la vie qui est injuste ? On venait pour la fête ; on en sort un peu chagrin, déçu par tant de promesses en allées.
On se consolera avec cette évidence frottée aux herbes des grands désenchantements : « Les grandes tables, c’est bien, quand c’est vraiment grand… »
Notons au passage, pour ne rien conclure, que notre chroniqueur n’a pas, mais alors pas du tout, les mêmes orientations culinaires de Robert Parker, lequel encense à longueur d’édition de son Wine Advocate l’Ami Louis à Paris (à croire que notre preux chevalier y a également le couvert, le gîte et le parking), établissement passé à la mandoline par François Simon.
– Alors un mec bien ou pas, ce François Simon ?
A vous d’en juger
Egger Ph.