La présence de cellules malignes n'est détectée que chez 10 % des patients porteurs de nodules. © EFREM LUKATSKY/AP / SIPA
Le principe de précaution devenant désormais la norme, l'étude réalisée par l'endocrinologue Juan Brito et ses collègues de la Mayo Clinic de Rochester (Minnesota) ne devrait pas surprendre, même si elle pointe un vrai problème. Publiée mardi par le British Medical Journal dans le cadre d'une série consacrée au surdiagnostic, elle souligne le fait que les cancers de la thyroïde sont "surdiagnostiqués" et, par conséquent, "surtraités". On le savait déjà pour les cancers de la prostate et du sein, et les raisons en sont les mêmes : s'il est possible de dépister des cancers de taille de plus en plus réduite ou de mesurer les niveaux de marqueurs sanguins de la maladie (le PSA pour la prostate), il est toujours difficile de connaître leur dangerosité et leur risque d'évolution dans le temps.
"En finir une bonne fois pour toutes"
Selon les chercheurs de Rochester, l'incidence du cancer de la thyroïde a triplé aux États-Unis au cours des 30 dernières années, passant de 3,6 cas à 11,6 pour 100 000 personnes en 2009. La progression est similaire à l'échelle mondiale et, partout, les femmes sont les plus touchées. Mais la présence de cellules malignes n'est détectée que chez 10 % des patients porteurs de nodules. C'est pourquoi les recommandations actuelles préconisent de réaliser une échographie puis, éventuellement, une biopsie. L'analyse des fragments prélevés permet de différencier, le cas échéant, les cancers dits "anaplasiques" - rares, mais de très mauvais pronostic - des cancers "papillaires", fort peu évolutifs et qui ne nécessitent en général pas de traitement intensif.
Et pourtant, la majorité des malades porteurs de ces dernières tumeurs - découvertes souvent de façon fortuite et non en raison de symptômes particuliers - ne s'en tirent pas avec une simple surveillance. Pour le prouver, l'équipe de Juan Brito s'est appuyée sur une étude menée entre 1993 et 2004 aux États-Unis : lorsque les patients atteints d'un cancer papillaire avaient le choix entre une intervention chirurgicale et une surveillance active, moins d'un quart optait pour la surveillance. Il faut dire que le mot de cancer fait toujours peur et qu'il n'est pas répréhensible de vouloir "en finir une bonne fois pour toutes". Juan Brito et son équipe ajoutent que, malgré des recommandations opposées à l'utilisation d'iode radioactive pour traiter ces petits cancers à faible risque d'évolution, le recours à cette thérapie augmente. Elle était pratiquée chez deux patients américains sur cinq en 2006. Or, ce traitement est associé à un risque de second cancer ...
Hormones de substitution
La suite de la publication est intéressante : aucune des personnes ayant choisi la surveillance n'est décédée de cette maladie, et quelques tumeurs ont même régressé. Pour les chercheurs, c'est bien la preuve qu'il n'est pas nécessaire de "surtraiter" ces cancers à faible risque évolutif. À cela, il faut ajouter les conséquences de l'intervention chirurgicale : la nécessité fréquente de prendre des hormones thyroïdiennes de substitution durant toute la vie (sans compter les risques liés à l'opération elle-même).
Pour nuancer la portée de leur analyse, les auteurs rappellent que leurs observations s'appuient sur des études épidémiologiques et observationnelles qui comportent de nombreux biais. Néanmoins, ils préconisent de bannir le nom de cancer thyroïdien pour les formes papillaires de diamètre inférieur à 20 millimètres et de les appeler "lésions micropapillaires peu évolutives". Bref, une "simple" lésion qu'il est juste nécessaire de surveiller de temps à autre, et qui ne doit pas susciter d'inquiétude démesurée.
Anne Jeanblanc