Les personnes obèses ayant un déficit en certaines bactéries intestinales ont un risque accru de développer des maladies liées à leur état (diabète, cholestérol, problèmes cardiovasculaires...). Cette découverte relance l'espoir d'une prévention plus efficace, selon deux études parues mercredi. Conduites par l'Institut national de recherche agronomique (Inra), avec des partenaires français et internationaux, les études ont été réalisées conjointement au Danemark et en France, alors que l'épidémie d'obésité ne cesse de se développer à travers le monde et pourrait concerner plus de 700 millions de personnes en 2015, selon des projections de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Elles pourraient ouvrir la voie à "la mise en place de marqueurs bactériens spécifiques pour identifier les personnes à risques" et à "de nouvelles thérapies basées sur des bactéries pour lutter contre la prise de poids", a indiqué à l'AFP Stanislas Dusko Ehrlich, directeur de recherche à l'Inra, qui a coordonné les deux études. Maladie multifactorielle, l'obésité est généralement attribuée à des causes à la fois environnementales (mode de vie, nourriture trop riche et abondante) et génétiques. Mais de plus en plus de données indiquent que des variations de notre "autre génome", le microbiome, c'est-à-dire le génome global de toutes les bactéries colonisant notre corps, pourraient également jouer un rôle très important.
Surpoids
Publiées dans la revue scientifique Nature, les deux études ont permis de distinguer deux groupes d'individus se différenciant par la faible ou forte richesse de leur flore intestinale et par leur susceptibilité face aux maladies liées à l'obésité. En comparant les deux groupes, les chercheurs ont découvert que les personnes "pauvres" en bactéries intestinales (360 000 gènes microbiens différents en moyenne contre 580 000 dans le second groupe) avaient un risque plus important de développer des maladies métaboliques comme l'excès de cholestérol ou le diabète, mais également des problèmes hépatiques et cardiovasculaires, voire certains cancers. Ils ont identifié six espèces bactériennes capables de différencier les personnes ayant une flore intestinale "riche" ou "pauvre" avec une précision de 95 %.
Ils ont enfin observé que les personnes faisant partie du premier groupe prenaient plus de poids dans le temps en se basant sur l'étude de 292 adultes danois (169 obèses et 123 non obsèses) suivis depuis 1999. Chez les personnes ayant pris plus de poids, huit espèces bactériennes étaient soient manquantes, soit en faible quantité, "ce qui pourrait signifier qu'elles jouent un rôle protecteur contre la prise de poids", selon M. Ehrlich. L'étude menée en France sur 49 personnes obèses ou en surpoids a de surcroît montré qu'un régime alimentaire riche en fibres et en fruits et légumes et poursuivi pendant 12 semaines était capable d'améliorer la diversité de la flore intestinale (ou microbiote) et réduire du même coup certaines des complications liées à l'obésité.
100 000 milliards de bactéries
De nouvelles études seront toutefois nécessaires pour conforter les résultats des deux études et déboucher sur des marqueurs spécifiques, voire des recommandations nutritionnelles adaptées, ajoute le chercheur. Il reconnaît également que la mise en place d'un régime alimentaire chez les individus pauvres en espèces bactériennes n'avait pas permis de venir à bout des inflammations chroniques liées à l'obésité. Ces "inflammations de bas grade" (également présentes dans des maladies métaboliques et cardiovasculaires) correspondent à une augmentation modérée mais durable de marqueurs d'inflammation dans le sang, contrairement à une infection où l'inflammation peut atteindre des pics avant de disparaître totalement.
Le tube digestif contient près de 100 000 milliards de bactéries, qui pèsent près de deux kilos au total. Ces micro-organismes sont impliqués dans la dégradation des composés de l'alimentation mais également dans l'immunité naturelle et la protection du corps contre les agents pathogènes et les infections. M. Ehrlich dirige le vaste projet français MetaGénopolis, lancé en juillet dernier, pour étudier les milliards de bactéries qui habitent notre système digestif. En 2010, il avait annoncé avoir réussi à décrypter, avec le consortium MetaHIT qu'il coordonnait, plus de trois millions de gènes présents dans la flore intestinale, soit 150 fois plus que le nombre de gènes du génome humain.