A l'occasion du 1er Août, Ueli Maurer a dénoncé les «pressions répétées» de l'étranger. La Suisse, comme le berger David devant le géant Goliath, ne doit pas se laisser impressionner par la taille de son adversaire
Ces derniers temps, la Suisse a été soumise au chantage, a déclaré Ueli Maurer mercredi à Bienne (BE), première étape de son «tour des communes» qui le mènera dans neuf localités. «Certains grands pays et quelques organisations internationales ne cessent de vouloir nous dire ce que nous avons à faire», a critiqué le conseiller fédéral UDC devant un parterre d'environ 200 personnes.
Mais à ses yeux, il ne faut pas céder. Et le président de la Confédération de comparer la Suisse au jeune berger David, qui, selon l'épisode de la Bible, a abattu d'un coup de fronde le géant Goliath, pourtant armé et protégé par une cuirasse.
«Nous pouvons reconnaître David dans un grand nombre de PME suisses, capables de s'imposer sur le marché mondial face à des concurrents bien plus gros», a estimé Ueli Maurer. Malgré sa petite taille et les critiques des «grands», la Suisse a obtenu des succès remarquables et continuera à bien se porter aussi longtemps qu'elle ne se laissera pas intimider.
Pas de cuirasse
David a vaincu Goliath car il a refusé de porter une cuirasse, qui aurait entravé ses mouvements, a poursuivi le ministre UDC dans son allocution prononcée en français et en suisse-allemand. Il a le courage d'être différent et de ne pas singer les grands.
La Suisse peut tirer profit de ce message «symbolique», selon Ueli Maurer. Pour conserver ses particularités, elle ne doit pas se laisser enfermer dans la même cuirasse qui pèse sur d'autres pays.
La Suisse s'engage à l'étranger, a encore souligné le Zurichois. Il a énuméré les contributions financières que le pays fournit à l'Union européenne et au Fonds monétaire international, sa participation au nouvel axe ferroviaire européen nord-sud, son engagement en faveur de la paix ou encore le grand nombre d'emplois créés par les entreprises helvétiques à l'étranger.
Marathon
Après son allocution, Ueli Maurer s'est assis à une table sous la tente qui abritait la fête populaire, au milieu de la foule. Visiblement décontracté, il s'est entretenu avec les citoyens venus lui serrer la main.
La fête nationale est «l'occasion de faire connaissance avec notre pays et avec les citoyens de toutes les régions linguistiques», s'est-il réjoui. Après Bienne, le président de la Confédération devait s'exprimer mercredi soir au Val-de-Ruz (NE) et Port-Valais (VS). Jeudi 1er août, il était attendu à Gonten (AI), Obersiggenthal (AG), Rapperswil-Jona (SG), Breil/Brigels (GR), Sessa (TI) et Zweisimmen (BE).
«J'ai le temps et j'ai un hélicoptère», a-t-il ajouté, interrogé sur son programme marathon, admettant qu'il n'aimait pas ce mode de transport. «Mais c'est seulement la deuxième fois cette année que je l'utilise».
Pour «La Liberté», le conseiller fédéral UDC développe sa vision du monde d’aujourd’hui.
- Que représente la fête nationale pour vous, au-delà de votre marathon en hélicoptère?
Ueli Maurer: C’est un jour de fête, un anniversaire. C’est aussi l’occasion d’un regard en arrière, d’une prise de recul et d’un coup d’œil vers l’avenir.
- Quel sera votre message?
Ces derniers mois, la pression internationale s’est intensifiée sur la Suisse. Ces pressions sont alimentées par l’endettement colossal de certains pays, qui cherchent de l’argent par tous les moyens. C’est ce qui explique à la fois le différend fiscal avec l’Union européenne (UE) et les attaques contre notre place financière. Mais l’histoire montre que les petits ont aussi une chance s’ils réagissent de la bonne façon.
- La Suisse paie-t-elle aussi pour l’accueil de fonds étrangers non déclarés?
La Suisse n’est pas responsable du fait que des citoyens étrangers s’acquittent correctement ou pas de leurs obligations fiscales. Notre responsabilité s’arrête à nos propres citoyens.
- Avez-vous fait le deuil du secret bancaire?
Non. Je reste convaincu que la loi suisse, qui assure la confidentialité des données bancaires, est la bonne. Dans une démocratie, le citoyen contrôle l’Etat, pas l’inverse.
- Vous restez donc opposé, pour la clientèle étrangère, à l’échange automatique d’informations entre autorités fiscales?
Oui, à moins que l’ensemble des places financières soient soumises aux mêmes conditions et qu’elles les mettent réellement en pratique. Cela n’apporte rien de jouer les bons élèves si c’est pour se retrouver pénalisé à la fin. Dans tous les cas, il n’est pas question d’abolir le secret bancaire des contribuables suisses.
- Le Conseil fédéral n’a-t-il pas cédé trop vite aux exigences des Etats-Unis en reprenant Fatca, une forme d’échange automatique, et en soutenant la «Lex USA»?
Les Etats-Unis sont malheureusement coutumiers de ce type de passage en force. Washington veut faire de Fatca un standard mondial. Dans ces circonstances, il fait peu de sens de s’y opposer, il en va des intérêts de notre place économique. On ne peut rien y faire, à part demander une réciprocité que Washington, de manière relativement inconséquente, rechigne à accorder.
- N’êtes-vous pas trop faibles aussi vis-à-vis de l’UE, qui demande l’abolition de certains régimes fiscaux suisses?
Quand il y a une marge de manœuvre, nous cherchons des solutions alternatives. Vis-à-vis de Bruxelles, le but n’est pas de céder, mais de maintenir l’attractivité de notre système fiscal, voire de l’améliorer.
- Pourquoi en veut-on à la Suisse, selon vous?
On ne nous critique pas parce que nous avons fait des erreurs, mais parce que nous avons du succès.
- Bref, nous sommes les meilleurs?
Sur le fond, nous n’avons rien à nous reprocher: le projet suisse est une «success story». Après, tout le monde commet des erreurs. Nous avons ainsi réalisé trop tard à quel point la communauté internationale était sensible à la question du secret bancaire, ou combien les rémunérations de certains dirigeants économiques étaient incomprises dans l’opinion. Mais la démocratie directe permet au peuple de corriger une situation qu’il juge déséquilibrée, comme on l’a observé avec le oui à l’initiative Minder.
- La Suisse n’est-elle pas trop petite pourrésister comme David contre Goliath?
Non. Notre pays s’est trouvé sous pression tout au long de son histoire. Pensez à la Seconde Guerre mondiale, à la votation sur l’Espace économique européen, à la période napoléonienne. On pourrait remonter jusqu’en 1291!
- En Suisse romande, des voix de droite reprochent au Conseil fédéral d’avoir cédé aux pressions de la France en ce qui concerne l’imposition des successions. C’est comme ça que vous imitez David?
Peut-être que la Suisse romande pourrait nous fournir une fronde? Pour le moment, je ne vois malheureusement pas de meilleure solution que celle proposée par le Conseil fédéral. C’est vrai, dans beaucoup de domaines, nous avons cédé, trop et trop vite à mon avis. Mais je rappelle quand même que toutes les décisions ont été avalisées par le parlement.
- Le parlement a refusé la «Lex USA»!
Il a simplement demandé au Conseil fédéral de se débrouiller tout seul. I
Sa Suisse à lui
Vous êtes plutôt cervelas ou saucisse de veau?
Cervelas
Raclette ou fondue?
Les deux, impossible de choisir!
Fête de lutte suisse ou match de foot?
Fête de lutte.
Feu d’artifice ou feu de bois?
Feu de bois.
Fendant ou bière?
En Valais, fendant. Sinon, je bois volontiers une bière.
Marche en montagne ou bronzette au bord d’un lac?
Marche en montagne.
Le 1erAoût, vous préférez prononcer le discours ou chanter l’hymne national?
Je parle mieux que je chante!
Ces Chinois qui nous ressemblent tellement…
- En tant que président de la Confédération, êtes-vous assez présent sur la scène internationale?
Ueli Maurer: On ne doit pas surestimer l’importance de notre présidence tournante. En une année, le président en exercice peut entretenir quelques contacts, je le fais, bien qu’un peu moins que mes collègues. Mais une poignée de main et un entretien de quinze minutes ne sauveront pas la Suisse!
- La Suisse n’est-elle pas isolée sur la scène internationale?
Non. Peut-être nous sommes-nous trop focalisés ces vingt dernières années sur l’Union européenne, aux dépens d’autres partenaires: les Etats-Unis surtout, mais aussi l’Amérique du Sud, le Canada, la Russie, la Chine. J’estime malgré tout que nous pouvons toujours nous appuyer sur un bon réseau à l’étranger.
- Vous vous méfiez des cénacles internationaux, comme l’OCDE ou le G20. Sauf que des décisions y sont prises qui nous concernent directement!
Nous courons le risque que ces organisations prennent toujours plus de décisions pour l’ensemble du monde, et ce sans légitimation, au nom des intérêts des grandes puissances qui les composent. La puissance se substitue ainsi progressivement au droit dans les relations internationales, et nous devons nous défendre contre cette dangereuse évolution.
- D’où vous vient votre méfiance vis-à-vis del’Union européenne?
En soi, l’UE est une bonne chose, mais pas pour la Suisse. Comme chaque grande construction, elle a engendré une certaine bureaucratie. Et la Commission européenne, son pouvoir exécutif, prend des décisions sur des domaines toujours plus larges quand bien même ses membres ne sont pas démocratiquement élus. C’est contraire à nos principes.
- La Russie et la Chine, qui ne sont pas desmodèles de démocratie, sont-elles despartenaires plus recommandables?
Neutre, la Suisse doit entretenir des relations avec tous les Etats. En outre, la Russie et la Chine constituent pour nous d’importants partenaires économiques.
- Lors de votre dernier voyage en Chine, vous avez créé la polémique en affirmant qu’il fallait tirer un trait sur le massacre de la place Tian’anmen, en 1989. Regrettez-vous ces propos?
Non. Nous avons conclu avec la Chine un accord de libre-échange. Ce faisant, nous avons effectivement tiré un trait sur le passé. Cela ne veut pas dire que nous approuvons les événements de 1989 ou que nous les oublions. Mais nous tournons la page pour écrire un nouveau chapitre de notre histoire commune. En outre, nous entretenons un dialogue sur les droits de l’homme avec les Chinois.
- N’est-ce pas un pur exercice alibi?
La Chine est en profonde transformation. Avec un succès étonnant, ses dirigeants sont déjà parvenus à faire sortir des dizaines de millions de personnes de la pauvreté. En outre, les Chinois nous ressemblent beaucoup: ils sont travailleurs, appliqués, intelligents, ils sont capables de s’adapter et ils sont humbles. Je ne veux pas peindre la situation en rose, mais les dirigeants chinois font réellement des progrès, y compris en matière de droits de l’homme. Et vous savez, dans cette polémique, j’ai l’impression qu’on s’en est pris d’abord à l’UDC Maurer. Mais là aussi, bon prince, je suis prêt à tirer un trait!
Guillaume Meyer
Serge Gumy