Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

dimanche 1 décembre 2013

Le tilleul de Morat (à Fribourg)


Le célèbre végétal planté en 1470 fait partie des « lieux de mémoire » fribourgeois symbolisant une identité et un destin communs.


La prochaine fois que vous serez coincés dans les bouchons, en bas de la route des Alpes en ville de Fribourg, vous y penserez peut-être. C’est à cet endroit, en effet, que se trouvait le célèbre tilleul aussi appelé « tilleul de Morat ». Un arbre qui a disparu de la circulation, c’est le cas de le dire, renversé par une voiture une nuit de 1983.

Un arbre de justice

Planté en 1470 à la limite des bannières (quartiers) du Bourg, des Places et de la Neuveville, le tilleul se trouvait sur un petit espace à l’extrémité d’une grande place en cours d’aménagement où fut construite, entre 1504 et 1522, le nouvel Hôtel de Ville. Une place qui, jusqu’à la fin de l’ancien Régime et sous la Restauration, fut un lieu de justice.




L’Hôtel de Ville était en effet le siège des divers tribunaux. Le tilleul était même doté de son propre tribunal qui traitait des différents entre « ceux des campagnes » durant les jours de marché. Une instance apparemment peu efficace qui a été supprimée en 1612.

Le végétal continua d’y tenir un rôle important puisque les condamnés à mort, en route vers le lieu de supplice, faisaient halte devant le tilleul où l’avoyer brisait une baguette en signe d’exécution…




Un arbre d’agrément

Quatre colonnes en pierre ont servi, dès le milieu du XVIIIè siècle, de structure au tilleul qui s’est développé au fil des ans offrant un ombrage et un lieu de promenade agréable. Les gens de bonne famille s’y donnaient rendez-vous bientôt remplacés par une foule plus bigarrée, surtout les jours de marché. Sous la Restauration, c’est le repère des « oisifs » qui prennent leurs quartiers sur le banc de la « tille » comme on l’appelait alors vulgairement. Des oisifs « fumant sous le feuillage, le ventre au soleil » qui appartenaient au « panthéon bolzique ».





Ce lieu de détente a bien failli disparaître au grand désespoir de ses utilisateurs. Le Conseil général de la ville vota sa suppression au début du XXè siècle afin de permettre la construction de la route des Alpes (1906-1909), Tout le pays protesta contre cette décision car le tilleul appartenait, disait-on, à « la Suisse entière ». 

Le Conseil communal et le Conseil d’Etat ordonnèrent dons le maintien de l’arbre qui perdit toutefois son banc et sa structure remplacée par un simple triangle peu gênant pour la circulation.




Un arbre sacré

Le tilleul était considéré comme un arbre sacré. Pour le comprendre, il faut remonter aux guerres de Bourgogne qui ont été marquées par la victoire de Morat le 22 juin 1476. Berne, qui emmenait les Suisses contre Charles le Téméraire, et Fribourg, qui était l’allié des Confédérés, administraient en commun le bailliage de Morat. Et de mentionner qu’une chapelle, sise à Morat, avait été construite à cette époque afin d’y recueillir les ossements des Bourguignons vaincus. Monument par excellence de la bataille, elle fut malheureusement détruite en 1798 par les Français.



La République de Fribourg souhaitait avoir son propre « lieu de mémoire » consacré à la bataille de Morat car cette dernière lui avait ouvert les portes de la Confédération. Elle commanda ainsi en 1480 un grand tableau au peintre bernois Heinrich Bichler.



Conservée jusqu’au début du XIXe siècle à l’hôtel de ville de Fribourg, l’œuvre fut perdue peu après. Martin Martini a reproduit le tableau en 1606 dans une grande gravure sur cuivre, qui constitue aujourd’hui la principale référence en image du déroulement des combats.

Sur la base des témoignages écrits, ce déroulement a été étudié en profondeur par les historiens du XIXe siècle. Les premiers à s’y intéresser furent Emanuel von Rodt (1843/44), Gottlieb Friedrich Ochsenbein (1876) et Ulrich Meister (1877). Hans Wattelet, juriste et historien amateur, originaire de Morat, publia en 1894 une analyse considérée valable jusqu’à nos jours. Louis Braun, qui était en contact avec Wattelet, basa son panorama sur les acquis de ce dernier, qui furent développés ensuite par Georges Grosjean en 1974 dans une étude sur la gravure de Martini.





Von Rodt situa le camp principal bourguignon et le «Grünhag» à l’ouest de Cressier, loin de la ville assiégée de Morat, et le camp du comte de Romont et des Lombards en bas près du lac, vers Montilier et Meyriez.

Meister plaça la tente de Charles sur le coteau de vigne près de Courgevaux, le camp des troupes autour de Morat et le «Grünhag» à l’ouest de Cressier. Wattelet enfin déplaça, comme sur la gravure de Martini et les illustrations d'anciennes chroniques, la tente de Charles sur la colline du Bois Domingue, avec vue sur la ville assiégée et le camp de l'armée. Le «Grünhag», selon lui, se trouvait sur le versant en direction de Salvagny. 



La célèbre bataille ponctua en outre, et durant de longues années, le calendrier religieux et politique de Fribourg.  Une messe anniversaire était ainsi chantée à la Saint-Nicolas, suivie d’une procession, le 22 juin.




Ce sont des poèmes du XVIIè et XIXè siècles qui évoquent l’arbre comme témoin vivant de la bataille de Morat. C’est probablement cette qualité d’être vivant, dont étaient dépourvus les tableaux ou autres chroniques, qui permirent l’attachement des Fribourgeois à ce tilleul, poursuit l’historien. Un Hollandais, qui faisait halte à Fribourg en 1720, a été le premier à écrire, rapportant les propos de ses hôtes, que le tilleul avait été planté en mémoire de la bataille de Morat en …1476.



Joseph Michaud,  lui a dédié un poème:


Ô toi, symbole de liberté
Que des ancêtres
Fiers et courageux
Ont laissé en héritage
Puisses-tu constamment rappeler
A tous ceux qui s’abritent
Sous ton branchage
Le prix de leur indépendance




Un arbre et des légendes

C’est au XVIIIè siècle qu’une légende, aux relents grecs, a commencé à se transmettre aidée par la parution de textes littéraires patriotiques, publié outre-Sarine, sur la bataille de Morat. A l’instar du drame « karl von Burgund » (1771) de Johann Jakob Bodmer qui est une adaptation, la première en allemand, de la tragédie « Les Perses » d’Eschyle (472 av. J.-C.) racontant la défaite de ces derniers contre les Athéniens en 480 av. J.-C. « Charles le Téméraire est Xerxès, Berne est Athènes et Morat est Salamine ». Une légende qui se poursuit grâce à Voltaire qui établit un parallèle entre les batailles de Morat et de Marathon dans le IIIè chant du « Pèlerinage du chevalier Harold » qui fut largement diffusé.





Et la légende du coureur et son rameau ? C’est le professeur au collège Saint-Michel à Fribourg, le jésuite Joseph Michaud, qui publia en 1776 un poème pour le troisième centenaire de la plantation du tilleul de Morat. Il mentionne pour la première fois le mythe du tilleul planté par un soldat. Sauf que selon Michaud, le héros plante un rameau de … laurier !

L’histoire du coureur ayant participé à la bataille et qui mourut son rameau de tilleul à la main après avoir crié victoire est encore racontée à Alexandre Dumas lors de sa visite en août 1832.

Il la narre d’ailleurs dans ses « Impressions de voyage en Suisse » parues en 1834. Dès lors, la légende alimentera les guides touristiques.



La légende de l’abbé Joseph Genoud (1851-1919)

C’était le 15 avril 1476. Le sire Nicolas de Mackenberg célébrait une étrange fête dans sa résidence de Fribourg, près de l’Hôtel-de-Ville. Huit seigneurs étaient assis à la même table. Egalement recommandables par leur noblesse, leur fortune et leurs qualités, ils prétendaient tous à la main de la fille du chevalier, la jeune et pieuse Béatrice. Celle-ci avait réservé une place auprès de cette brillante société à son ami d’enfance, le brave Rodolphe Wydegg, fidèle domestique du château. Nul ne saurait redire l’émotion de tous ses cœurs, car l’heure était solennelle et tout un avenir devait dépendre.




Vers la fin du repas, l’austère vieillard, auparavant presque silencieux, parla longuement des dangers qui menaçaient le pays. Une journée de Grandson, en effet approchait et verrait peut-être les ruines des libertés helvétiques. A mesure qu’il causait, son langage s’animait, devenait plus éloquent et remuait plus profondément tous ses fils de la jeune Suisse. C’était comme le testament de son patriotisme. Quand tous les auditeurs eurent jurés de courir aux armes et de ne point songer à leurs amours avant d’avoir triomphé du « téméraire Bourguignon », Mackenberg continua :

- Vous le savez, je vous aime et je vous estime tous au même degré ; à chacun de vous je confierai tranquille le destin de ma fille adorée. Allez tous au combat : le plus vaillant sur le champ de bataille sera le préféré dans ma maison…
- Et si le plus brave meurt, interrompit timidement Béatrice, m’accorderez-vous la liberté de la veuve ?
- Oui, liberté pour vous et gloire pour lui !

Puis les convives se retirèrent, tous enflammés d’un noble enthousiasme et prêts à affronter tous les périls pour s’assurer la conquête la plus chère à leur cœur.

Quelques semaines, plus tard, une petite troupe sortait de Fribourg pour rejoindre Boubenberg à Morat. Arrivés au sommet du monticule qui domine le Palatinat, tous se retournèrent une fois vers la cité pour saluer la foule qui les avait accompagnés de ses vœux et de ses acclamations. L’écuyer Rodolphe distingua dans la multitude la fidèle Béatrice et la vit agiter une branche de tilleul, témoignage d’un chaleureux : Au revoir !

Vite il comprima les battements de son cœur, et, s’adressant à ses compagnons, il leur dit :

- Entonnons un chant de guerre, et en avant !

A Morat, il se distingua parmi les héros qui défendirent la place pendant douze jours. Le 22 juin se leva enfin. Rodolphe combattit auprès de Jean de Hallwyl. Il fut digne de cette grande journée qui sauva notre indépendance. Tels furent aussi les huit seigneurs que nous avons rencontrés chez Mackenberg. Chacun pensait à Béatrice et chacun accomplit des prodiges de valeur.

Quand la déroute de l’ennemi fut complète, quand le carnage commença à s’exercer parmi les fuyards, Rodolphe regarda vers Fribourg et tressaillit. Du sang, partout du sang sur son brillant uniforme ! Il avait tué beaucoup d’adversaires, mais il était blessé lui-même. Sa poitrine souffrait d’une plaie béante. La prudence lui conseillait de se faire soigner aussitôt, l’amour lui commanda de partir à l’instant.

Il partit en chancelant. Peu à peu, la fièvre rendit de l’assurance à sa marche et ses douleurs s’endormirent. Il pressa le pas, il courut. Une idée le transportait : il fallait arriver le premier !

Le premier, il voulait annoncer à Fribourg victoire et salut ! Le premier, il voulait rappeler à Béatrice sa promesse sacrée. Il fit taire toutes les autres considérations. Déjà il voyait les larmes de joie que soulèverait la bonne nouvelle. Déjà il voyait les larmes de bonheur répandues sur toutes les figures.

Déjà il recevait, avant tout autre, les félicitations de Béatrice. Il rebondissait dons sous l’aiguillon de pareils rêves, une force supérieure le transportait à travers l’espace, lui cachant toute fatigue, l’aveuglant sur tout péril.

- J’arriverai ! J’arriverai ! Se disait-il souvent pour s’encourager.

Enfin il entra dans Fribourg. La ville était morne et déserte. Vieillards, femmes et enfants priaient dans les églises le Dieu des batailles et nul ne savait encore l’issue de la journée.

Cependant un citoyen rencontre Rodolphe. Il le voit couvert de sang et de poussière, la figure abattue et les vêtements en lambeaux. Le soupçonnant porteur d’un sinistre message, il n’ose l’interroger. Il avertit la foule qui gémit au pied des autels. On accourt, toute la ville se réveille, on rejoint Rodolphe au moment où il débouche sur la place, sous les fenêtres de la demeure de Mackenberg.

L’infortuné lève les yeux, il entrevoit le vieillard et sa fille, et ressuscitant par l’énergie de la volonté ses forces  défaillantes, il crie d’une voie vibrante : Victoire ! Victoire ! Pendant que sa main agite fiévreusement une branche qu’il avait détachée du tilleul de Morat, témoin, le matin, de la prière des Suisses.

Ce suprême effort fut le dernier. Il tombe sous les regards de la multitude compatissante.

En présence de cette sène tragique, Mackenberg a embrassé sa fille en lui disant :

- Voilà ton époux !

Joie et terreur traversent à la fois l’âme de Béatrice. De son balcon, elle a tout vu et tout compris. Elle accourt alarmée, fend la foule respectueuse et parvient enfin auprès du héros agonisant. Nulle plume ne saurait dépeindre son agonie. Rodolphe la reconnaît à travers la vision de la mort, sa main tremblante lui offre la branche de tilleul, ses lèvres remuent convulsivement, Béatrice se penche vers son fiancé et peut encore saisir ces mots : Patrie !... Amour !... Au ciel !

Ce furent ses dernières paroles, ce fut son dernier adieu.

Béatrice était veuve avant d’être épouse.

Digne de ce martyr du patriotisme, elle s’inclina une seconde fois, baisa respectueusement au front son bien-aimé, ouvrit cette main droite que le trépas venait de fermer, enleva pieusement le rameau et le montra au peuple comme une relique sacrée.

La foule émue comprit. Une bêche fut apportée, on creusa à l’endroit même où le brave était tombé, on y planta la branche vénérée, encore humide du sang versé pour la patrie.

Le sol fut une terre féconde : le rameau est devenu le vaste tilleul que quatre siècles ont admiré.

Quand à Mackenberg et sa fille, ils ont vite disparu de la scène du monde. Le vieillard a pu voir l’entrée de Fribourg dans la Confédération ; son vœu le plus cher était exaucé et il est descendu dans le tombeau de ses pères. Pour Béatrice, tout était mort, puisque Rodolphe n’était plus ; elle s’enferma donc dans une cellule de la Maigrauge, insensible à toute sollicitation, parce que le tendre vase de son cœur était brisé à jamais.






Un arbre et des sportifs

Une course allait donner corps à cette légende qui n’avait qu’une existence orale et écrite. Le sculpteur Théo Aeby proposa en 1904 de créer une course pédestre entre Morat et Fribourg et cela en souvenir du fameux messager de 1476. Une idée qui ne se concrétisa pas mais, en juin 1931, on demanda au peintre bernois Adolphe Flückiger de parcourir la distance entre les deux cités, en costume d’époque et un rameau de tilleul à la main. L’ingénieur Béda Hefti, fondateur du Club athlétique de Fribourg, créa deux ans plus tard la course qui se courait initialement en juin puis reportée à octobre en 1936 à cause de la chaleur.



Un arbre et ses survivants

Dès 1974, afin d’empêcher l’agonie du végétal, le Père Aloïs Schmid, professeur à l’institut botanique de l’Université de Fribourg préleva trois rameaux permettant une reproduction par bouture de descendants biologiquement identiques au tilleul d’origine. L’un d’entre eux a été planté à Castel Gandolfo, résidence d’été des papes. 



Le plus vigoureux, de 5.2 m de haut, a été replanté par les autorités en 1984 sur la place de l’Hôtel de Ville près de la fontaine Saint-Georges.

Le 2 juin 1985, le jour de la fête patronale d’Avry-sur-Matran, un autre descendant direct du tilleul de Morat était planté à proximité de la chapelle. Le Père Schmid, de la Communauté des Pères Rédemptoristes de Matran, tenait ainsi à témoigner son amitié à la commune d’Avry. A l’époque où le Conseil communal organisait un Concours des maisons fleuries d’Avry, est le Père Schmid qui présidait le jury.

Une autre bouture existe à Morat

Il a été obtenu par le bouturage d’une branche de l’ancien arbre. Il commémore directement la victoire de Morat (1476) et, indirectement, l’entrée de Fribourg et Soleure dans la Confédération (1481) en conséquence à la bataille.




Rappelons tout de même que la victoire de Morat ne concernait pas les régions du canton de Fribourg qui seront conquises ou annexées après 1476. Les Broyards, les Veveysans, les Glânois et les Gruériens étaient du côté de Charles le Téméraire ! Et Fribourg n’était pas encore suisse au temps des guerres de Bourgogne, mais simplement allié de Berne. Quand au lieu où se trouvait jadis le tilleul, il est aujourd’hui signalé par un monument constitué de trois colonnes de pierre de 1756 et de poutrelles métalliques sur lesquelles reposaient les branches du tilleul. Réalisé en 1989 par les artistes fribourgeois Emile Angéloz et Bruno Baeriswyl, il représente le coureur de Morat…



L’arrivée de Morat–Fribourg a quitté le tilleul pour le haut de la route des Alpes en 1977, celles et ceux qui ont continué à s’en souvenir se sont faits de plus en plus rares: les étrangers ne savent pas; les jeunes Helvètes ne savent plus; les anciens finissent par oublier…




Ecoliers, écolières, un jour que vous aurez bien travaillé en classe ou à la leçon de gym, demandez à votre maître ou à votre maîtresse de vous emmener lui dire bonjour… Vous devez aller le voir, et vous souvenir de ce que je vous en ai dit !




Egger Ph.