Les électeurs du FN ne sont ni racistes ni néonazis, ce sont des Français moyens qui vivent à 30 km des grandes villes et rêvent d'accéder à la propriété.
La "France des pavillons" traitée par le mépris par les politiques constitue le gros de l'électorat Front national (photo d'illustration). © Loïc Venance / AFP
C'est un peu la France de nulle part, ni citadine ni campagnarde. Elle est coincée entre un couloir aérien, une autoroute et/ou une voie de chemin de fer. À chaque élection, elle tente de se faire entendre. "La France des marges et des lisières", résume le député PS Olivier Faure, élu de la 11e circonscription de Seine-et-Marne, l'un de ces lieux où prospère sans bruit le Front national. Dimanche, encore une fois, la France des périurbains a donné sa voix au Front national.
Plusieurs études, notamment de l'Ifop, l'ont démontré : dans le coeur des grandes villes et en périphérie proche, à Paris, à Marseille ou à Toulouse, les partis traditionnels (PS, UMP...) remportent les suffrages, loin devant le FN. Plus on s'en éloigne, plus le vote frontiste croît. À 30-40 kilomètres du centre urbain, il est au plus haut, avant de refluer ensuite. À cette distance, en Seine-et-Marne, voici Pontault-Combault (25 % au premier tour des municipales de mars, même score dimanche) ou Nandy (22 % en mars, 26 % dimanche).
Déprimant
De petites villes qui ont grandi trop vite, ni laides ni moches, avec leurs petits pavillons et quelques barres d'immeubles, un peu de délinquance, mais pas trop, de rares magasins, peu de services publics, et beaucoup, beaucoup de frustrations. Les anciens voient d'un mauvais oeil l'arrivée des nouveaux, surtout s'ils sont plus aidés qu'eux, et les nouveaux voient leur rêve - être enfin propriétaire - tourner court : à part courir (pour emmener les enfants à la crèche, se garer, prendre le RER ou le train, puis le métro...), que leur proposent ces villes sans âme et sans services ? La Seine-et-Marne est ainsi classée 100e et dernier département selon le taux d'encadrement scolaire.
Déprimant pour ceux qui, chassés des centres-villes trop chers, pensaient trouver là une jolie vie à vivre. "Ces personnes ont le sentiment de participer à la mondialisation sans en profiter, note Olivier Faure. Alors, certains baissent les bras, ils se disent qu'ils ne seront jamais le centre de quoi que ce soit. Ils veulent qu'on les laisse tranquilles et qu'on leur assure le minimum : la sécurité et pas trop d'impôt." Au FN, on se frotte les mains. En 1995, le parti remportait de grandes villes (Toulon, Marignane...). "Maintenant, notre progression se fait dans ces zones, surtout depuis 2012", observe Nicolas Bay, l'un des experts de la carte électorale du FN.
"Arrêtons de considérer ces Français comme des Deschiens"
Au ministère de la Ville, curieusement, ces Français d'à côté ne semblent pas être une priorité. Quelques discours un peu vagues pour dire qu'il faut les "associer à la conception des politiques", c'est à peu près tout. Il y a pourtant beaucoup à faire. Délaissée, déclassée, la France des pavillons veut de la reconnaissance. "Arrêtons de considérer les Français des zones périurbaines comme des Deschiens, remarque François Kalfon, élu socialiste de Seine-et-Marne. Leur idéal, c'est un pavillon, un bout de jardin pour le barbecue, un garage pour bricoler et un berger allemand. Si vous abordez leurs aspirations par la moquerie, vous avez déjà tout raté."
Olivier Faure souhaite ainsi, à rebours de son parti, ouvrir les magasins de bricolage le dimanche. Les cinémas ne sont-ils pas ouverts ? "Considérer que les bricoleurs ne méritent pas de s'occuper ce jour-là, c'est encore du mépris", dit-il. Et des bricoleurs qui font leurs courses le dimanche dans les zones commerciales, ce sont des "flux", des gens qui se rencontrent, des restaurants qui tournent.
Ces Français d'à côté ont aussi besoin d'une aide matérielle. À la courbe de l'Ifop selon laquelle le vote FN croît avec l'éloignement du centre, on peut ajouter un autre paramètre, la distance de la gare, ce lien vers la ville et la vie. "Dès qu'on se trouve à dix ou quinze minutes d'une ligne RER, le vote FN s'envole de 10 à 20 %", remarque Olivier Faure. Il y a aussi beaucoup à faire pour accélérer les temps de trajet - la SNCF a diminué de plusieurs heures le voyage Paris-Marseille, mais ne sait pas raccourcir de dix minutes un Melun-Paris - et pour relier les zones périurbaines entre elles. Le nouveau Grand Paris Express, ce super-métro du futur, ne les desservira pas toutes. Un comble.
Michel Revol