Les chiffres donnés par Genève Place financière se passent de commentaires : 75 % des exportations de pétrole russe et 60 % des exportations de céréales russes passent par Genève. Le magazine économique Bilan livre une liste impressionnante d'oligarques russes qui apprécient les bords du Léman, de Zurich et de Zoug. Du milliardaire Guennadi Timtchenko, fondateur du groupe de trading pétrolier Gunvor, membre du premier cercle autour de Vladimir Poutine, à Arkady Rotenberg, également sur la liste des sanctions américaines. Quant à Andreï Klishas (exploitation du nickel), il est carrément interdit d'entrée dans l'Union européenne. Tous trois résident dans la Confédération.
Samedi dernier dans la presse suisse, Victor Borisenko, président de l'antenne suisse de la banque russe de développement économique Vnesheconombank, prédit que les sanctions occidentales, qu'il qualifie de "fuites en avant", pourraient entraîner "une entrée massive de capitaux russes chez nos amis suisses". Dans ce contexte, la Confédération ne manifeste qu'un enthousiasme mesuré pour sanctionner la Russie, tout particulièrement dans le domaine financier.
Neutralité et business
Johann Schneider-Amman, ministre de l'Économie, a donc déclaré clairement dimanche dans la Schweiz am Sonntag qu'il était opposé à l'application de sanctions, qui ont atteint "une nouvelle dimension" depuis leur durcissement. Cet ancien industriel, autrefois président de l'Association suisse des industries mécanique, électrique et métallique, estime que si à cause de l'embargo des sociétés russes se retrouvent dans une situation critique, "cela affecterait aussi notre économie".
La Suisse, pays neutre, considère que l'application ou non des sanctions décidées par l'Union européenne "doit rester de [son] ressort". Malgré tout, Johann Schneider-Amman, qui a effectué une partie de ses études en France, sait bien que la Suisse, considérée comme un refuge pour les fraudeurs du fisc, est dans la ligne de mire de tous ses voisins.
Profil bas
Les vingt-huit ont notamment décidé d'interdire aux banques publiques russes l'accès aux marchés financiers. Or, pour Genève et Zurich, il est tentant de profiter de la situation pour prendre des parts de marché à Londres, en accueillant à bras ouverts Sberbank, Gazprombank, Vnesheconombank, Rosselkozbank. "Depuis une semaine, plusieurs sources au sein des banques genevoises relèvent que la clientèle russe afflue. Plus que des oligarques, ce sont des particuliers fortunés mettant 1 ou 2 millions à l'abri", constate le quotidien Le Temps.
Résultat, tout en s'opposant aux sanctions, le ministre de l'Économie assure que son gouvernement prendra des mesures afin de s'assurer que la Suisse ne sera pas utilisée "comme une plateforme de contournement". Et que si la Russie était reconnue responsable du tir de missile contre l'avion de la Malaysia Airlines, la position de la Confédération pourrait changer...
Ian Hamel