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jeudi 16 octobre 2014

Comment Shanghai produit les meilleurs élèves du monde


Les écoliers de la métropole chinoise arrivent en tête du classement international Pisa. Reportage à la Datong High School, une école réputée des quartiers Sud.

«Je veux devenir femme d’affaires, lance Kelly Wang. Et fonder un jour ma propre entreprise.» Pour arriver à ses fins, la jeune fille de 17 ans qui fréquente Datong High School, une école du sud de Shanghai, vise dans un premier temps une admission dans une université canadienne. «C’est mon plan depuis toute petite! En ce moment, je travaille mon anglais pour obtenir le meilleur score possible au test Tofel. Je commence en général vers 7h du matin et m’arrête à 19h.»

Shanghai se distingue au niveau mondial pour ses performances en matière d’éducation. En 2009, la ville avait créé la surprise lors de sa première participation à l’étude Pisa de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui évalue tous les trois ans les aptitudes des élèves, en prenant la tête du classement devant des pays réputés pour leurs performances scolaires, tels que la Finlande. En 2012, elle a réitéré sa prouesse, creusant encore l’écart avec les autres participants. Réalisée auprès d’élèves âgés de 15 ans, l’enquête se concentre sur trois disciplines: l’écrit, les mathématiques et les sciences.

«Shanghai est une ville à l’économie florissante, une métropole d’importance internationale, souligne Sheng Yaping, la directrice de Datong High School. L’éducation doit y être excellente pour conserver cette position.» L’école de 1’200 élèves âgés de 16 à 18 ans, fondée en 1912, est l’une des plus réputées de la ville. Outre les disciplines traditionnelles, elle propose des programmes d’art et de sport, et des échanges scolaires dans 12 pays, dont la Suisse. «Un entraînement militaire et un séjour à la ferme font également partie du cursus», ajoute la principale. Rhétorique parfaitement huilée, elle insiste sur le caractère exemplaire de son établissement, érigé en modèle pour le reste du pays. Avant d’envoyer le visiteur admirer le grandiloquent musée de l’institution où se succèdent les photos d’anciens élèves devenus dignitaires.

Pression sur l’héritier

De petits groupes de jeunes en survêtement bleu marine, l’uniforme réglementaire, se pressent d’un bâtiment à l’autre pour rejoindre le prochain cours. En classe, ils sont 40 à écouter un professeur. Un défi pour maintenir le calme? «La discipline n’est jamais un problème, s’amuse Sheng Yaping, presque étonnée de la question. Cela fait partie de la culture chinoise: le respect des parents et des professeurs est inculqué aux enfants depuis leur plus jeune âge. Et les élèves affichent une forte volonté d’apprendre.»

Cette détermination constitue une des raisons principales de la performance de Shanghai au test Pisa. Dans la tradition chinoise, il est possible de tout réussir et de grimper dans l’échelle sociale par la seule force du travail. Un contexte qui valorise l’éducation et des résultats exemplaires aux examens. «Dans de nombreux pays, les élèves cherchent des excuses s’ils n’ont pas une bonne note, explique Jenny Bradshaw, qui dirige la division Pisa à l’OCDE. En France, par exemple, la plupart des étudiants se justifient en arguant que le matériel de cours est trop compliqué ou rejettent la faute sur le professeur. A Shanghai, les élèves se sentent personnellement responsables de leurs succès et de leurs échecs.»

A cela s’ajoute l’insistance des parents. «Ils s’impliquent sans compter, note Cao Shiyun, responsable des échanges internationaux à Datong High School. Avec la politique de l’enfant unique, ils placent tous leurs espoirs dans celui ou celle qui doit assurer la réputation et le niveau de vie de la famille.» Ils n’hésitent d’ailleurs pas à envoyer leur progéniture suivre de multiples cours d’appui en plus du cursus normal.

Formatés pour les examens

Corollaire de cette soif de réussite, le système se caractérise par sa rigidité. De l’étranger, les enfants chinois sont avant tout perçus comme des machines formatées pour réussir des examens, gavés de savoir à régurgiter au moment opportun. L’entretien avec la directrice de Datong High School, qui récite pendant près de trente minutes un discours qui semble appris par cœur et rembarre toute tentative d’interruption des journalistes, n’adoucit en rien cette réputation.

Pourtant, Shanghai s’escrime à se détacher de pratiques trop axées sur les examens. La Ville a ainsi assoupli le cursus scolaire et pousse les enseignants à impliquer davantage les écoliers pendant les cours. Mais les traditions ont la vie dure et la volonté de changement se traduit pour l’instant par des résultats mitigés, soulignent des experts cités dans un rapport de l’OCDE. Ils analysent que les écoliers shanghaiens, pour excellents qu’ils soient, continuent de manquer d’autonomie.

La consécration de Shanghai ne repose pas uniquement sur la docilité des élèves. Forte de sa prospérité, la Ville a réalisé d’importants investissements dans l’éducation. Les dépenses par écoliers y sont 18 fois supérieures à celles consenties dans certaines autres provinces de Chine. Depuis la fin des années 1980, les autorités locales ont par ailleurs orchestré plusieurs vagues de réformes: augmentation de salaire et formation continue obligatoire pour les instituteurs, jumelage des écoles «faibles» avec leurs pairs les plus exemplaires, vaste programme de rénovation des établissements. «Contrairement à de nombreux systèmes où les origines sont un frein à l’éducation, les enfants défavorisés réussissent souvent aussi bien que ceux issus de milieux fortunés, souligne encore Jenny Bradshaw. Le pourcentage d’élèves désavantagés socialement qui affiche un bon parcours scolaire se monte à 77%, contre 26% en moyenne pour les pays de l’OCDE.»