Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

vendredi 6 mars 2015

Souriez, vous êtes sans cesse localisé !


La nouvelle application suisse Vya permet de retrouver très facilement ses amis. © VYA/DR 


Avec l’explosion des «apps» pour smartphones, l’usage généralisé de la géolocalisation et les «super cookies», notre sphère privée se réduit comme peau de chagrin. Faut-il s’en faire une raison? L’avis d’un expert.

Sur les routes, dans les transports publics, en ville comme à la campagne, pendant nos loisirs de ski et même lors du footing, partout, nous sommes suivis! Bien sûr, par des amis qui nous veulent du bien… mais aussi, plus insidieusement, par des gens, des sociétés ou même des services secrets particulièrement curieux de votre vie privée, à des fins publicitaires, sécuritaires, voire crapuleuses. Bienvenue dans le cybermonde de la géolocalisation! Un univers trouble, aussi méconnu que sous-estimé, mais devenu incontournable dans notre société du «tout connecté». Visite guidée avec le spécialiste du Big Data Philippe Cudré-Mauroux, professeur d’informatique à l’Université de Fribourg.

«Le matin, mon téléphone portable m’avertit des embouteillages qu’il y a sur le chemin du travail. Cela sans même lui avoir notifié que j’allais travailler ni précisé où se situe mon bureau», raconte le professeur fribourgeois. Pareil service, fourni par Google Now, a pu être déduit grâce à la géolocalisation quotidienne par GPS de son smartphone. Mais aussi grâce à l’énorme quantité de données que le géant Google a pu collecter, pendant des années, sur sa vie professionnelle, associative ou privée.

«Les grandes compagnies informatiques, comme Google ou Facebook, cherchent à obtenir un maximum de données sur les utilisateurs pour leur offrir des services personnalisés meilleurs que les services génériques. Mais l’établissement de ces profils de clients, toujours plus précis, leur permet aussi de devenir de puissantes entreprises de marketing, qui proposent désormais des publicités très ciblées en fonction des goûts et des intérêts de chaque utilisateur», explique le spécialiste. Il précise: «Plus les données sont riches et spécifiques, plus elles ont un intérêt marketing. C’est un atout considérable pour négocier les tarifs publicitaires avec les sociétés commerciales.»

Localiser ses amis

La récolte de nos données personnelles, principalement sur les réseaux sociaux, est désormais considérablement enrichie par la géolocalisation fournie par nos inséparables smartphones. «Cette nouvelle dimension est une source de données extrêmement intéressante. Elle permet par exemple de faire du marketing non seulement ciblé sur le client, mais aussi sur le lieu où il se trouve. Par exemple pour lui proposer un restaurant en temps réel», commente Philippe Cudré-Mauroux.

Les applications mobiles sont toujours plus nombreuses à utiliser la localisation par GPS. Dernier venu en date en Suisse romande, l’«app» Vya. Ce service, développé par la société lausannoise «Appswiss», permet depuis la fin février de localiser précisément ses amis Facebook à travers sa ville. L’idéal pour les retrouver. «Pour augmenter la sécurité, l’utilisateur peut en tout temps bloquer ses amis et les autres utilisateurs un par un, temporairement ou définitivement», précise Yakut Sinan, directeur de projet, soulignant que Vya transmet une seule fois la position lors de l’ouverture de l’application et «ne traque pas en continu».

Les informations sont toutefois conservées, mais «uniquement pour améliorer l’application. Elles ne sont pas partagées ni vendues.» Une précision qui rassure le professeur Cudré-Mauroux: «Si le partage de la géoposition est consenti par les utilisateurs, ce peut être une application utile. De manière générale, il importe de bien lire le contrat d’utilisation, pour éviter des surprises… ce que les gens font rarement!»

Même à ski

En fait, aujourd’hui, la récolte d’informations personnelles n’a plus de limites. Dans certaines stations de ski, par exemple, la carte d’accès aux pistes est munie d’une puce RFID, qui permet aux sociétés de remontées mécaniques d’analyser les déplacements des skieurs pour optimiser le trafic. Ce système, utile en soi, est aussi à disposition des usagers qui, sur le site internet de Skiline, peuvent obtenir le diagramme de leur dénivelé réalisé pendant la journée, le nombre de kilomètres parcourus et les installations empruntées.

«Pareille surveillance du trafic se retrouve aussi en ville, dans la gestion des transports publics. A Dublin, par exemple, un réseau de bus a pu être optimisé avec la création de nouveaux arrêts et le doublement de certaines lignes», observe le professeur. Aux Etats-Unis, les données spatio-temporelles des usagers permettent de rendre plus efficaces les rondes des patrouilles de police. «La géolocalisation offre un énorme potentiel pour améliorer la sécurité, souligne le spécialiste. Mais il faut des garde-fous, des lois pour éviter au maximum des abus.

Concernant l’espionnage, depuis l’affaire Snowden, on sait qu’une augmentation du nombre de données personnelles recoltées permet la génération de modèles prédictifs beaucoup plus poussés. Ces dernières années, de grands progrès ont été accomplis dans l’analyse des données de masse.»

Sa santé sous surveillance

La géolocalisation prend des chemins parfois surprenants. Ainsi, certaines montres pour sportifs peuvent transmettre sur internet les variations de la fréquence cardiaque en fonction du chemin parcouru sur le terrain. Si l’utilisateur le permet, ces informations de santé et de géolocalisation peuvent être mises à disposition d’autres usagers. «C’est un moyen sympa pour comparer ses performances sur le Cousimbert ou le Moléson», se réjouit un sportif fribourgeois. L’application, fournie par divers équipementiers, n’est toutefois pas sans risque. D’éventuels assureurs maladie pourraient s’y intéresser de près, trier les «bons risques» et pénaliser les clients ayant des difficultés à souffler…

La géolocalisation est d’ailleurs déjà exploitée par certaines assurances automobiles, qui proposent la mise en place d’un «mouchard» dans le véhicule en échange d’une baisse des primes. Cette sorte de «boîte noire», qui est proposée depuis déjà dix ans en Angleterre, peut enregistrer la vitesse, les freinages, les accélérations, en fonction des conditions météo ou du profil de la route. La surveillance de la conduite peut aussi se faire grâce à une application GPS installée sur le téléphone du conducteur.

La géolocalisation est véritablement à double tranchant. Très utile, elle peut sauver des vies. Mais placée dans de mauvaises mains, elle peut déboucher sur des vols d’identité, des achats abusifs, des effractions de domicile… «Tout est hackable! Ce n’est qu’une question de moyens», avertit le spécialiste. Heureusement, selon lui, en Suisse, les grandes sociétés protègent particulièrement bien les données: «Cela s’inscrit dans la culture suisse du secret. Elles évitent par exemple de stocker nos données sur des serveurs à l’étranger. Au niveau technique, en revanche, la protection n’est pas meilleure qu’ailleurs, la plupart des solutions étant américaines…» Mieux vaut alors rester vigilant… quitte à couper parfois son téléphone portable!


Un eldorado virtuel

Le marché de la protection des données numériques est en plein essor. Et la Suisse se profile comme le nouveau coffre-fort de la branche. Les lois helvétiques, qui comptent parmi les plus poussées du globe en matière de protection de la sphère privée, contribuent à ce succès. Le scandale entourant les révélations d’Edward Snowden en 2013, qui dévoilait la dimension industrielle de l’espionnage mené par l’Agence nationale de sécurité états-unienne (NSA), a d’autant plus stimulé le secteur. De nombreuses compagnies internationales se sont pressées au portillon.

Afin de bénéficier des garanties législatives de notre pays, certaines entreprises ont même établi leur siège social en Suisse. C’est le cas du fabricant de téléphones portables ultrasécurisés Silent Circle. D’autres compagnies mettent leurs données à l’abri au travers de sociétés suisses spécialisées. Parmi elles, Wuala ou Artmotion hébergent autant de données de particuliers que de grandes compagnies dans des centres où les normes de sécurité sont à la pointe de la technologie. L’entreprise Swiss Fort Knox propose même un stockage dans d’anciens bunkers de l’armée, creusés dans la roche et capables d’éprouver une attaque nucléaire. Reflet d’un marché en pleine expansion, le plus grand centre de données de Suisse, qui accueillera plus de 80'000 serveurs informatiques sur une surface de 14'000 m2, ouvrira ses portes en 2016 à Gland, selon l’entreprise SafeHost.

Julien Repond

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Bientôt des cybercourtiers

Avec le développement de «super cookies» très complexes, qui arrivent à suivre les internautes à travers plusieurs sites, nos profils deviennent toujours plus précis et complets. «Un jeu de données isolé peut être anodin, un autre restera toujours anodin. Mais la combinaison de ces données par des techniques informatiques peut créer d’énormes problèmes d’abus de la vie privée», avertit le professeur Philippe Cudré-Mauroux.

Pour lui, il importe dans le futur que l’on protège légalement toutes les données accessibles, qu’elles soient privées ou publiques, pour qu’elles ne puissent pas être combinées avec d’autres données. «On a vu récemment aux Etats-Unis des combinaisons de données de crimes et de géographie, avec la publication de cartes interactives marquant les voisins qui ont eu des problèmes avec la justice!», explique le scientifique, soulignant que ce problème de «jointure» est encore mal perçu, mais qu’il deviendra toujours plus important au niveau légal, social et technique.

Alors, comment se protéger? Peut-être en faisant appel à des «personal data brokers», des courtiers de données personnelles, comme il en existe déjà aux États-Unis, estime le professeur. Pareilles entités peuvent gérer toutes nos données privées vis-à-vis de tous les autres sites. Et bloquer tout ce que nous ne voulons pas voir apparaître de notre personne sur internet. Evidemment, cela coûtera. Ce sera le prix de notre vie privée…

Pascal Fleury